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Le cas du mois
Droit de la responsabilité civile
Chienne de vie
Dégoûtés par la montagne et lassés de la ville, Désiré et Adhémar ont choisi de goûter aux joies tranquilles de la campagne. Installés pour le week-end dans un charmant petit hôtel, aussi paisible que son environnement, ils ont aussitôt remarqué, à leur arrivée, que ce dernier était situé à proximité d’un club hipppique.
« Enfin un sport sans risque, et qu’on a l’habitude de pratiquer ! », se réjouit Adhémar, sous l’œil approbateur de Désiré. Cavaliers confirmés, nos deux comparses souhaitent néanmoins rester prudents. Ils envisagent une simple promenade, faisant le choix de deux juments de taille comme de tempérament raisonnables, selon les dires du directeur du club hippique.
Les voici partis, en ce samedi après-midi ensoleillé. Après avoir emprunté sur une vingtaine de mètres la voie de sortie du club hippique, dans laquelle ils s’étaient engagés au pas, deux gros chiens non tenus en laisse, qui jouaient ensemble cachés derrière un buisson, se mettent soudains à courir vers eux. Effrayé, le cheval de Désiré s’emballe, part au galop sortant de la voie empruntée et finit par se prendre les pieds dans une clôture, provoquant l’affolement du cheval d’Adhémar et la chute de son cavalier victime de plusieurs fractures. Après être enfin parvenu à maîtriser son cheval et avoir installé Adhémar dans une ambulance, Désiré rechercha immédiatement le propriétaire des chiens, c’était une femme qu’il trouva sans peine. Navrée, elle lui expliqua néanmoins qu’elle n’y était pour rien. « C’est normal qu’un chien soit agité, rien d’exceptionnel ou d’inhabituel à cela ! Les miens ne se sont pas montrés particulièrement agressifs. En plus, ce serait plutôt la faute de votre cheval, à considérer qu’un animal puisse être responsable, qui, par son comportement, a provoqué la chute de votre ami ! », rétorqua-t-elle à Désiré. « Il n’empêche qu’on va vous assigner en responsabilité ! » lui répondit-il furieux. « M’attaquer, c’est s’attaquer aux animaux, et je suis sûre que vous comme moi, nous les aimons trop pour en arriver là », se risqua à lui dire la propriétaire. « De toute façon, c’est un combat perdu d’avance. Non seulement mes chiens n’ont rien fait de particulier, même s’il est vrai que j’aurais peut-être dû les attacher, mais en plus, ce qui est arrivé fait partie des risques, si j’ose dire, de ce genre de balade. C’était à vous et à votre ami de savoir maîtriser vos chevaux au cas où, par exemple, ils rencontreraient des chiens. Je vous ferai remarquer que le chemin sur lequel nous nous sommes malheureusement rencontrés est ouvert à tous les animaux, sans exception ! ». « Elle exagère vraiment ! », ne put s’empêcher de se dire Désiré. Néanmoins, il s’interroge. Si la défense de la cause animale ne peut tout excuser, cette dame pourrait-elle leur faire l’affront, maintenant qu’Adhémar est enfin sorti de l’hôpital et bien décidé à se faire indemniser, d’échapper à l’engagement de sa responsabilité ?
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Sélection des faits : Adhémar a fait une chute de cheval, après que celui monté par Désiré se soit brusquement mis au galop en réaction à deux gros chiens accourant soudainement vers eux. Victime de plusieurs fractures, il entend assigner en responsabilité la propriétaire des chiens.
Qualification des faits : La victime d’une chute de cheval souhaite engager la responsabilité de la propriétaire des chiens ayant provoqué l’affolement de son cheval ainsi que celui du cavalier qui l’accompagnait.
Problème de droit : A quelles conditions peut-on engager la responsabilité du propriétaire d’un animal pour le dommage que ce dernier a, même indirectement, causé ?
Majeure : L'article 1243 (ancien art. 1385) du Code civil dispose que le propriétaire d'un animal ou celui qui s'en sert, pendant qu'il est à son usage, est responsable du dommage que l'animal a causé, soit que l'animal soit sous sa garde, soit qu'il fût égaré ou échappé. Ce texte édicte une présomption de responsabilité du propriétaire et/ou du gardien de l'animal dont le comportement actif ou passif a causé l'accident.
Le texte précité ne subordonne pas l'engagement de la responsabilité du gardien de l'animal au caractère anormal du comportement de celui-ci, il suffit que celui-ci ait joué un rôle actif dans la survenance du dommage. Cependant, la responsabilité du propriétaire d'un animal supposant la preuve du rôle actif de cet animal dans la survenance du dommage, comme en matière de responsabilité du fait des choses, en l'absence de contact avec la victime, la victime doit pouvoir rapporter la preuve de ce rôle actif de l'animal par celle de l'anomalie de sa position ou de son comportement
Par ailleurs, la jurisprudence rappelle qu'hors le cas de situations particulières, telles que les compétitions sportives, la victime ne saurait se voir opposer son acceptation des risques, mais seulement une faute de sa part de nature à réduire son droit à indemnisation, ou encore le fait d’un tiers constitutif de force majeure, de nature à l’exclure.
Mineure : En l’espèce, il ne saurait être discuté que les chiens à l’origine du dommage étaient bien sous la garde effective de sa propriétaire au moment où l’accident s’est produit.
Même à le supposer normal, le rôle actif des chiens dans la réalisation du dommage est démontré, soit que la vue des chiens courant ait apeuré le cheval d’Adhémar, soit que celui-ci se soit affolé sous l'effet de l'emballement du cheval de Désiré, qui l’accompagnait ; étant précisé que dans la seconde hypothèse, le comportement perturbateur du premier cheval étant la résultante de la course des chiens, il existe bien un lien de causalité entre celle-ci et l'emballement du cheval de la victime. Cependant, en l’absence de contact direct entre les chiens et la victime, Adhémar aura à prouver l’anormalité du comportement ou de la position des animaux. Les deux semblent pouvoir être démontrés, en raison de la course à la fois libre et soudaine des chiens, sortis d’un lieu non visible
En outre, les deux cavaliers se promenant au pas dans une voie normalement ouverte au passage des chevaux, n'ont pas pris de risques particuliers de nature à exonérer la gardienne des chiens de sa responsabilité résultant de la présomption légalement édictée. Au demeurant, sauf à imaginer que chacun devrait renoncer à toute promenade du seul fait de la présence de chiens pouvant avoir un comportement perturbateur, l'acceptation des risques normaux de la part d'un cavalier ne s'étend pas à la rencontre avec deux gros chiens non tenus en laisse et courant en direction des chevaux, en provenance d'un buisson non visible, situation qui a accentué l'effet de surprise ou de peur au moins pour le premier cheval.
Enfin, aucune faute de la victime de nature à réduire son droit à indemnisation ne paraît ressortir des faits énoncés. Les chevaux étaient au pas et Adhémar avait un bon niveau de compétence; quant au fait de Désiré, il ne présente pas les caractères d’imprévisibilité et d’irrésistibilité suffisants pour exonérer la gardienne de la responsabilité qu’elle encourt.
C’est ce que la Cour de cassation a, dans une affaire proche de celle rapportée, récemment jugé, considérant comme anormal le comportement des chiens à l’origine du dommage, dont la propriétaire avait à répondre (Civ. 2e, 17 janv.2019, n° 17-28.861).
Conclusion : Dans ces conditions, il est fort probable qu’Adhémar obtienne l’indemnisation de son préjudice et connaisse une issue heureuse à ses mésaventures…
Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz
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