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Le cas du mois
Droit de la famille
Comment prouver un concubinage ?
Toujours désireux de venir en aide à leurs amis, Désiré et Adhémar sont néanmoins confrontés à une difficulté inattendue, conséquence du drame que vient de vivre Kassim, le frère aîné de l’un des membres composant le trio d’artistes étrangers que nos deux comparses se sont promis de soutenir (V. cas précédent).
Si ce dernier est, contrairement à son petit frère, depuis longtemps régularisé et professionnellement accompli, sa situation personnelle est, quant à elle, bien malheureuse… Il vient en effet de perdre sa compagne, dont il partageait la vie depuis vingt ans et qui avait fait de lui le père d’une heureuse famille de quatre enfants. Très éprouvé, Kassim, père responsable, s’inquiète aussi et surtout du sort de ses enfants, à la fois sur un plan psychologique et financier. S’il doute pouvoir agir efficacement sur le retour au bien-être moral des quatre bambins, effondrés par le décès encore très récent de leur maman, Kassim pense avoir au moins la possibilité de les sécuriser matériellement, ce qui est aussi, pense-t-il, important pour des enfants.
En effet, Aziza, son ancienne compagne, avait souscrit un contrat d’assurance dont Kassim avait, quelques jours après son décès, demandé auprès de son assureur le paiement du capital décès prévu au contrat et des rentes également stipulées à l’effet de pourvoir à l’éducation des enfants. L’assureur refusa d’accéder à sa demande, lui opposant sèchement qu’il n’avait aucune preuve suffisante que Kassim vivait effectivement avec son assurée au moment du décès. Kassim ne comprend pas très bien car il lui semblait pourtant avoir fourni à l’assureur beaucoup d’éléments qui lui semblaient probants. Déjà, le contrat de bail que lui et Aziza avaient souscrit, quelques mois seulement après leur rencontre, et qu’ils n’avaient jamais résilié. Il avait en outre transmis à l’assureur plusieurs avis d’échéances et factures d’électricité, reposant sur les mentions du bail dont ils reproduisaient l’intitulé mais tous établis postérieurement à sa date de conclusion. Aussi avait-il envoyé à l’assureur plusieurs actes, notamment le contrat d’assurance mais aussi des actes d’état civil (acte de naissance des enfants, acte de décès d’Aziza, carte d’identité de Kassim) mentionnant tous la même adresse, celle du logement qu’il occupait avec Aziza. Enfin, il avait, pour mettre toutes les chances de son côté, réussi à obtenir le témoignage de plusieurs voisins, d’abord celui de la voisine du-dessus, qui avait écrit noir sur blanc que lui et Aziza « ont toujours assuré ensemble l’éducation de leurs quatre enfants depuis leur arrivée dans notre immeuble », ensuite du couple gardien de l’immeuble, ayant dit, peut-être plus maladroitement se dit aujourd’hui Kassim, qu’ils avaient « l’occasion de les voir comme voisins, mais aussi comme amis depuis une vingtaine d’années ». Quoiqu’il en soit, l’assureur d’Aziza s’est manifestement braqué sur un point : leurs avis d’imposition. Kassim reconnaît lui-même qu’ils sont un peu ambigus… En effet, le premier avis d’imposition qu’il a transmis était adressé à M. ou Mme Bakari (le nom de famille de Kassim) et un second à Aziza, or le premier comportait deux numéros fiscaux différents de celui attribué par le second à Aziza, et ne mentionnait aucun enfant à charge… S’il est vrai que Kassim est encore marié à une femme qu’il avait épousé très jeune dans son pays d’origine, qu’il a depuis très longtemps quitté, il ne voit pas en quoi cette circonstance exclurait de fait, aux yeux de l’assureur, qu’il ait été le concubin d’Aziza jusqu’à son décès. En tout cas, il trouverait cela bien injuste car concubin d’Aziza, qu’il pleure encore chaque jour, il l’était ! Et lui le sait. Mais comment le prouver ? Voilà la question qu’il soumet, par l’intermédiaire de son frère cadet, à Désiré et Adhémar, qui entendent bien porter cette bien triste et inique affaire en justice. Mais ignorant tout de la vie de couple comme du droit de la preuve auxquels ils ont toujours voulu, par immaturité dans un cas et par paresse dans l’autre, échapper, ils vous appellent aujourd’hui à votre aide, sans laquelle ils ne pourront offrir la leur.
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Sélection des faits : L’ancien compagnon d’une femme qui vient de décéder se demande comment prouver la relation qu’il entretenait avec elle pour obtenir le bénéfice d’une assurance que celle-ci avait souscrite.
Qualification des faits : Un homme alléguant avoir été le concubin d’une assurée décédée demande le versement du capital décès et de certaines rentes d’éducation pour leurs enfants prévus par le contrat d’assurance souscrit par la défunte.
Problème de droit : Comment rapporter la preuve qui lui incombe qu’il vivait en concubinage avec la sociétaire au moment du sinistre ?
Majeure :
L’administration de la preuve s’effectue au moyen de modes de preuve, définis comme les « moyens employés par un plaideur afin d’apporter au juge la démonstration des faits ou des actes qu’il allègue ».
S’agissant de l’admissibilité (recevabilité devant le juge) et de la force probante (aptitude à convaincre le juge) des modes de preuve, il existe deux systèmes :
- le système de la légalité de la preuve (ou preuve légale), dans lequel la loi énumère et définit les modes de preuve admissibles dont elle détermine la force probante ;
- le système de la liberté de la preuve (ou preuve morale), dans lequel les parties sont libres de choisir entre les modes de preuve licites dont la force probante relève de l’appréciation souveraine du juge.
Le choix entre ces deux systèmes manifeste la volonté de favoriser l’un des impératifs souvent contradictoires qui dominent la matière de la preuve : la quête de la vérité (preuve morale) ou la protection de la sécurité (preuve légale).
Le droit civil, dans un premier temps, hiérarchise les modes de preuve en fonction de la sécurité que l’on peut leur attribuer, de sorte qu’a pu être dégagée la distinction entre :
- les modes de preuve parfaits, offrant la meilleure sécurité juridique, de sorte qu’ils sont admis en toute matière et lient le juge quant à leur force probante ;
- les modes de preuve imparfaits, présentant une sécurité moindre, de sorte qu’ils ne sont admis que lorsque la loi le prévoit et ne lient pas le juge, leur force probante étant au contraire laissée à son appréciation souveraine.
Il se distingue, dans un second temps, par la mixité du système probatoire qu’il retient, en fonction de l’objet de la preuve. On opère schématiquement une summa divisio entre les actes juridiques et les faits juridiques :
- s’agissant des actes juridiques, qui ne doivent pas être remis en cause trop facilement, la loi détermine précisément les modes de preuve admissibles et la force probante qui leur est attachée (preuve légale), et privilégie les modes de preuve parfaits;
- s’agissant des faits juridiques, la preuve est libre, la force probante des modes de preuve utilisés étant laissée à l’appréciation souveraine du juge (preuve morale), les parties étant libres de recourir aux modes de preuve imparfaits.
Or le concubinage est une union de fait qui se caractérise par une vie commune stable et continue entre deux personnes qui vivent en couple (C. civ., art. 515-8). Il se prouve donc librement (C. civ., art. 1358 ; Civ. 3e , 21 nov. 1973, n° 72-12.665 P). Si tous les moyens de preuve sont admis, encore faut-il que les divers éléments probants versés aux débats par le demandeur à la preuve emportent la conviction du juge lequel est libre, dans ce système, de les ignorer, contrairement au système de la preuve légale.
Mineure : En l’espèce, la force probante des éléments de preuve réunis par Kassim, quoique multiples, semble fragile. En effet, s’il détient un bail souscrit à la fois en son nom et au nom de son ancienne compagne, la date de conclusion de ce contrat est ancienne en sorte que ce dernier ne peut à lui seul suffire à établir sa qualité de concubin au jour du décès. En outre, les avis d’échéance et les factures qu’il rapporte, s’ils sont plus récents, ne font que reproduire l’intitulé du contrat de bail et reposer sur ses mentions telles que celles-ci avaient été stipulées à la date de sa conclusion, en sorte que la réalité d’une cohabitation avec l’assurée au moment de son décès ne peut davantage être établie par ces documents. Et le fait, qui pourrait être également avancé, que ces actes n’ont pas été résiliés par l’un ou par l’autre avant le décès, ni que l’un ou l’autre aurait souscrit un autre bail pour l’occupation d’un autre logement, ne serait sans doute pas suffisant pour rapporter la preuve de l’effectivité d’une vie commune au jour du décès. Quant aux témoignages obtenus par Kassim, ces derniers ne semblent pas non plus permettre de certifier que Kassim résidait avec Aziza au moment de son décès en raison du manque de précision qu’ils révèlent quant à la date et à la durée de leur cohabitation et aussi quant à l’exacte nature de leurs relations. Enfin, les avis d’imposition faisant apparaître une « Mme Bakari » dont le numéro fiscal ne correspond pas à celui d’Aziza et ne faisant état d’aucun enfant à charge, s’ils sont impropres à exclure que Kassim et Aziza aient été concubins, même en ce qu’ils trahissent le fait que Kassim est marié à une autre femme, font tout de même naître un doute sérieux sur la réalité de leur concubinage prétendu.
En conséquence, il semble peu probable que la preuve d’une vie commune avec Aziza au jour du décès puisse être, par ces éléments, efficacement rapportée devant un juge. Ainsi, dans un arrêt récent dont les circonstances rappellent celles énoncées, la Cour de cassation a-t-elle approuvé la cour d’appel d’avoir, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation des pièces soumises à son examen, estimé que celles-ci, approximatives et contradictoires, n’établissaient pas la réalité d’une vie commune stable et continue et donc la qualité de concubin, au jour du décès, du demandeur au pourvoi (Civ. 1re, 3 oct. 2018, n° 17-13.113).
En conclusion, Désiré et Adhémar prennent le risque d’un échec judiciaire que l’on ne peut que leur conseiller d’éviter. L’année ne fait que commencer…
Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz
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