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Le cas du mois
Droit des obligations
Comment rompre un contrat ?
La rentrée est décidemment agitée pour Désiré et Adhémar, qui connaissent de nouveaux tourments. Depuis plusieurs mois, happés par le monde virtuel, ils sont rivés sur l’écran de leur ordinateur commun pour naviguer sur internet et y trouver et télécharger les derniers jeux vidéo sortis sur le marché ainsi que les dernières musiques à la mode.
Cependant, à multiplier les téléchargements, leur ordinateur connaît des problèmes récurrents qu’ils n’ont pas la capacité de résoudre. C’est la raison pour laquelle ils ont conclu au début de l’été dernier avec une société spécialisée un contrat d’assistance et de dépannage pour régler au mieux et au plus vite les défaillances causées par leur nouvelle activité préférée. Néanmoins, ils ont très vite été déçus par les interventions de leur prestataire, lequel tarde systématiquement à répondre à leurs appels à l’aide téléphoniques et peine à réparer les pannes, malheureusement régulières, de l’ordinateur qu’ils partagent. Désiré et Adhémar ont de surcroît entendu parler par l’un de leurs amis communs d’un autre prestataire apparemment très qualifié et surtout diligent avec lequel ils souhaiteraient, en conséquence, contracter. Ce qui suppose, cela va de soi, de rompre le contrat qui les lie à la première société, laquelle exécute mal, selon eux, ses obligations. Ils ne voient vraiment pas pourquoi ils resteraient dans les liens d’un contrat dont leur co-contractant ne respecte absolument pas les termes… Toutefois, ils rechignent à engager une action contentieuse, dont ils craignent la longueur, le coût et l’aléa. Que leur conseillez-vous ?
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Désiré et Adhémar ont conclu un contrat qu’ils souhaitent rompre. Or, non seulement ils refusent de rester dans les liens du contrat, mais ils souhaitent également éviter un procès.
Il convient par conséquent, dans un premier temps, de s’interroger sur les sanctions possibles, en cas d’inexécution, par un contractant, de ses obligations, dans le cadre d’un contrat synallagmatique et dans un second temps, après en avoir dressé la liste, de les trier à l’effet de ne retenir que la ou les sanctions appropriées à l’hypothèse de l’espèce.
Le problème de droit qui se pose est donc le suivant : quelle est la sanction adéquate à la rupture d’un contrat synallagmatique inexécuté dont les contractants, victimes de son inexécution entendent, pour sa mise en œuvre, éviter de solliciter le juge ?
En cas d’inexécution d’un contrat synallagmatique, plusieurs sanctions sont offertes au contractant qui en est la victime :
- l’exécution forcée en nature ;
- la responsabilité contractuelle ;
- l’exception d’inexécution ;
- la résolution.
Néanmoins, en l’espèce, l’exécution forcée et l’exception d’inexécution doivent être exclues dans la mesure où elles maintiennent le lien contractuel. La mise en œuvre de la responsabilité contractuelle du prestataire et la résolution judiciaire pour inexécution ne doivent pas davantage être prises en compte car elles impliquent le recours au juge. Par conséquent, la seule sanction qui semble adaptée à la demande de Désiré et d’Adhémar est la résolution unilatérale du contrat pour inexécution, à moins qu’ils ne parviennent à régler le litige à l’amiable.
La résolution unilatérale du contrat permet au contractant, victime de l’inexécution par l’autre partie de ses obligations, de résoudre unilatéralement, de sa propre initiative, le contrat. La jurisprudence reconnaît depuis longtemps au créancier victime de l’inexécution, en dépit des termes de l’ancien article 1184 du Code civil [sur l’exception d’inexécution, V. désormais C. civ., art. 1219 s.] imposant de recourir au juge pour résoudre le contrat, le droit de notifier unilatéralement la résolution pour inexécution au débiteur défaillant, sans recours au juge et en dehors de toute disposition légale ou conventionnelle l’autorisant : « la gravité du comportement d’une partie à un contrat peut justifier que l’autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls » (Civ. 1re, 13 oct. 1998, n° 96-21.485; Civ. 1re, 20 févr. 2001, n° 99-15.170). Les manquements du débiteur doivent être suffisamment graves pour justifier la résolution, sinon, l’auteur de la résolution court le risque que ce dernier saisisse le juge pour contester le bien-fondé de la résolution. En effet, dans le cas d’une résolution unilatérale du contrat, le contrôle du juge n’intervient que de manière éventuelle et a posteriori : si la notification par le créancier de sa décision de résoudre le contrat suffit, le juge peut néanmoins, par la suite, le cas échéant, être saisi par le débiteur mécontent de la résolution. Il appréciera dès lors le bien-fondé de la résolution unilatérale, c’est-à-dire qu’il vérifiera si la gravité du comportement du débiteur la justifiait. S’il juge la résolution injustifiée, il pourra prononcer des dommages-intérêts à l’encontre de celui qui a indûment résolu le contrat. Si cette modalité de résolution présente l’avantage d’une plus efficacité et d’une plus grande célérité comparativement à la sanction classique de la résolution judiciaire, le créancier doit néanmoins vérifier, pour se prémunir au mieux de l’engagement par le débiteur d’une action contentieuse, que l’inexécution par ce dernier de ses obligations contractuelles présente bien un caractère de gravité suffisant.
Au regard des précisions apportées, dans le cas d’espèce, il semble que la gravité de l’inexécution, par le cocontractant de Désiré et d’Adhémar, de ses obligations soit suffisamment grave, notamment en raison de son caractère répété, pour justifier la résolution unilatérale du contrat. C’est en outre la seule sanction adaptée aux exigences des créanciers victimes de l’inexécution, c’est-à-dire Désiré et Adhémar.
La résolution unilatérale du contrat a en principe pour effet l’anéantissement rétroactif du contrat, en sorte que le contrat disparaît non seulement pour l’avenir mais encore que ses effets passés sont effacés, la résolution étant alors naturellement suivie de restitutions (V. notam. Civ. 1re, 23 sept. 2015, n° 14-18.131). Ainsi remet-elle « (…) les choses au même état que si l’obligation n’avait pas existé » (C. civ., art. 1183 anc., V. art. 1304-7).
On pourra donc conseiller à Désiré et Adhémar de notifier à leur prestataire la résolution du contrat. Cette sanction satisferait, en effet, leurs exigences, d’une part en ce qu’elle leur permettrait de se délier du contrat qu’ils regrettent d’avoir conclu, d’autre part en ce qu’elle leur éviterait la longueur d’un procès comme l’incertitude de son issue.
Références
■ Sur la réforme du droit des obligations, V. G. Chantepie et M. Latina, Commentaire théorique et pratique dans l'ordre du Code civil, Dalloz 2016.
■ Civ. 1re, 13 oct. 1998, n° 96-21.485 P, D. 1999. 197, note C. Jamin ; ibid. 115, obs. P. Delebecque ; RDSS 2000. 378, obs. G. Mémeteau et M. Harichaux ; RTD civ. 1999. 394, obs. J. Mestre ; ibid. 506, obs. J. Raynard.
■ Civ. 1re, 20 févr. 2001, n° 99-15.170 P, D. 2001. 1568, note C. Jamin ; ibid. 3239, obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 2001. 363, obs. J. Mestre et B. Fages.
■ Civ. 1re, 23 sept. 2015, n° 14-18.131 P, D. 2015. 1953 ; AJ fam. 2015. 618, obs. C. Vernières ; RTD civ. 2016. 174, obs. B. Vareille.
Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz
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