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Le cas du mois
Droit des successions et des libéralités
Comptes et mécomptes d’une fée du logis
Une fois tranché le litige qui les opposa à la propriétaire des chiens qui avaient malencontreusement provoqué la chute de l’un d’eux, Désiré et Adhémar ont découvert avec joie ce que, au-delà du prétoire, ils avaient de commun avec elle : l’amour des animaux, le goût des espaces naturels et, contre toute attente, la détestation du conflit. Ils devinrent donc rapidement amis. C’est ainsi qu’un soir, nos deux comparses décidèrent de l’inviter dans un restaurant vegan très en vue.
Peinant à apprécier le goût des mets qu’on leur servait, malgré leur volonté partagée d’adopter ce nouveau mode alimentaire, le trio compensa avec la bière, biologique, qu’ils avaient commandée et qui, manifestement, flattait bien mieux leurs palais. Les langues commencèrent alors à se délier, et leur amie ne se montra pas avare en confidences. Sans précaution, elle leur dit avoir perdu son mari presque trois ans auparavant. « Une attaque foudroyante ». Les garçons se sentirent mal à l’aise, avant que leur amie ajoutât, avec un humour noir qui les surprit : « Oh, remarquez, il n’aura pas été le seul à en avoir été victime… Vous verriez l’attitude de son fils à mon égard… C’est tous les jours que moi, je suis l’objet de ses attaques foudroyantes ! Un miracle que je sois encore en vie ! ». « Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il vous reproche ? », lui demanda Adhémar. « D’avoir tué votre mari ?! », osa ajouter Désiré. « Oh non ! Quand même pas ! Quoiqu’il en serait capable, il me déteste tellement. Et depuis toujours. Non, moins gravement bien que cela me contrarie beaucoup, il refuse que je garde l’appartement que nous avions acheté en indivision, mon mari et moi, quelques mois après notre mariage, et dans lequel je vis d’ailleurs encore. Ce n’est pourtant pas comme si je l’avais mis devant le fait accompli. Pour tout vous dire, trois mois après le décès de mon mari, j’avais fait délivrer à mon beau-fils une assignation, pour lui faire part de mon souhait de conserver l'appartement, conformément à la loi même, avais-je rajouté ». « Ah oui, c’est bien d’avoir précisé cela », répondirent, pour la rassurer, nos deux amis. « Et ce n’est pas tout ! », poursuivit-elle pour les convaincre encore davantage de son sérieux, « deux ans à peine après le décès de mon mari, j’ai chargé un notaire de dresser un acte pour y déclarer expressément vouloir rester à vie dans cet appartement, car l’un de mes amis, qui lui est avocat, m’avait dit avec que j’en avais le droit. Mais un an plus tard, sans que je m’y attende, mon beau-fils, qui est encore moins beau qu’il n’est mon fils soit dit en passant, a refusé de signer cet acte ». « Vous avez donc dû quitter votre appartement ? », s’empressèrent de lui demander ses interlocuteurs. « Non », leur répondit-elle, « mais mon beau-fils veut m’assigner en justice pour me faire partir, m’opposant le fait que juridiquement, ce que je lui avais adressé ne valait rien et que de toute façon, je ne m’étais pas manifestée dans le délai requis. Il paraît que c’est un an, le délai ».
Soucieux du sort de leur ancienne adversaire, et nouvelle amie, Désiré et Adhémar vous demandent si celle-ci risque, selon vous, de devoir quitter son logement.
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Sélection des faits : Une veuve résidant dans un appartement qu’elle avait acquis en indivision avec son mari aimerait continuer d’y habiter, ce dont elle a fait part au fils de son mari, qui s’y oppose, dans une assignation délivrée trois mois après le décès de son conjoint et dans un projet d’acte notarié établi deux ans après le même événement.
Qualification des faits : Par un premier acte établi trois mois après le décès de son mari et confirmé par un second, dressé deux ans après sa mort, une veuve oppose à un cohéritier, en sa qualité de conjoint survivant, un droit d’habitation à vie sur le logement, acquis en indivision avec le défunt, qui constitue sa résidence principale.
Problème de droit : Le conjoint survivant bénéficie-t-il d’un droit viager au logement et le cas échéant, à quelles conditions, notamment de forme et de délai ?
Eléments de résolution : Le conjoint survivant dispose de deux droits successifs destinés à lui assurer la jouissance de son logement :
- il a d’abord le droit de rester gratuitement dans les lieux pendant un an et de bénéficier pendant la même durée de la jouissance du mobilier ;
- il peut ensuite bénéficier jusqu’à sa mort d’un droit d’habitation assorti d’un droit d’usage sur le mobilier du logement.
En l’espèce, c’est ce dernier droit, viager au logement, qui est invoqué.
Le droit viager s’exerce à la suite du droit temporaire et à la même condition d’une occupation effective du logement à titre de résidence principale par le conjoint survivant. Jusqu’à son décès, il bénéficie plus précisément :
- d’un droit d’habitation sur le logement constituant sa résidence principale et appartenant aux époux ou dépendant totalement de la succession, ainsi que d’un droit d’usage sur le mobilier le garnissant (C. civ., art. 764).
- d’un seul droit d’usage viager sur le mobilier du logement, si le logement était loué (C. civ., art. 765-2).
En revanche, lorsque le logement était par le défunt en indivision avec un tiers, le conjoint survivant se trouve privé du droit viager. S’il bénéficie du droit temporaire au logement, il ne peut prétendre au maintien dans les lieux passé le délai d’un an.
En l’espèce, la veuve remplit les conditions nécessaires au bénéfice d’un droit viager d’habitation : celle-ci continue de fait d’occuper le logement, qui avait été acheté, et non pas seulement loué, par les époux pour en faire leur lieu de résidence principale. La condition de propriété est satisfaite par le fait que le logement ait été acquis et détenu en indivision par le couple et non pas, donc, avec une autre personne que le conjoint survivant.
Cela étant, le droit viager ne s’applique pas de plein droit : le conjoint survivant doit manifester sa volonté d’en bénéficier. Il dispose à cette fin d’un délai d’un an à compter du décès (C. civ., art. 765-1), qui correspond en fait à la durée pendant laquelle il bénéficie du droit temporaire. Il reste toutefois libre de choisir le moment où il exprimera sa volonté, dès lors qu’il y procède à l’intérieur du délai.
Enfin, si un écrit doit être recommandé, cette manifestation de volonté n’est soumise à aucun formalisme. Elle peut donc être tacite, c’est-à-dire être induite d’un comportement, comme le maintien dans les lieux.
En l’espèce, la veuve s’est effectivement maintenue dans les lieux et avait en outre précisé, dans une assignation délivrée à son beau-fils, bien avant l’expiration du délai, son souhait de conserver l’appartement, « conformément à la loi ». On peut contester le manque de précision de l’expression, dont la fermeté est pourtant nécessaire à caractériser la volonté du conjoint de se prévaloir de son droit d’habitation et d’usage, à titre viager, sur le logement familial appartenant aux époux : l’emploi de chacun de ces termes eût sans doute été préférable au flou d’une simple référence à ce que la loi prévoit. Cependant, en l’absence de formalisme, et compte tenu d’une habitation effective et ininterrompue dans les lieux, cette imprécision ne devrait pas suffire à nier la manifestation de volonté de la veuve, laquelle peut être seulement tacite pourvu qu’elle soit extériorisée. En outre, la manifestation de sa volonté a été réitérée par un acte de notoriété, certes dressé après l’expiration du délai d’un an, mais qui confirmait son souhait de bénéficier de son droit viager au logement.
Dans une affaire similaire, la Cour de cassation a récemment jugé que le conjoint survivant avait, quoique de manière tacite, valablement manifesté sa volonté de bénéficier d’un tel droit (Civ. 1re, 13 févr. 2019, n° 18-10.171)
Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz
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