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Le cas du mois
Droit de la famille
Contrôle parental
Désiré et Adhémar n’en croient pas leurs yeux. Nathan, le fils de leur cousine Inès, fait l’objet de publications aussi régulières qu’indécentes sur les réseaux sociaux, dont le responsable n’est autre que son propre père, David, dont Inès s’est séparée l’année dernière, alors que Nathan avait à peine un an.
En raison de leurs divergences quant à l’éducation de leur fils, le couple n’a pas survécu à la naissance de l’enfant. Ainsi, alors que Nathan n’a pas encore deux ans, David a déjà acquis divers outils numériques pour les mettre à la disposition de son fils, ce qui insupporte Inès, consciente des dangers présentés par ce type d’usage par de très jeunes enfants. Mais jamais elle n’aurait cru David capable de diffuser sur Internet des photos de leur fils lorsqu’il est sur le pot, ou bien encore des vidéos prétendument humoristiques le montrant en train de lancer le chat de la famille sur l’enfant pour rendre compte de la réaction effrayée du petit à la communauté qui, et c’est bien là le pire, semble s’en amuser. Outrée, Inès a naturellement ressenti le besoin de se confier à ses cousins, qui partagent son désarroi et son exaspération. S’ils se rappellent du tempérament blagueur et de l’humour souvent décalé de l’ancien compagnon d’Inès, ils jugent ses dernières publications intolérables pour Inès et dégradantes pour Nathan. Ils ne parviennent toujours pas à comprendre comment un parent peut s’amuser de tourner ainsi en ridicule son propre enfant, outre le fait, encore plus révoltant, qu’à son âge, Nathan n’a aucun moyen de se défendre. Après avoir demandé plusieurs fois à David, sans succès, de mettre un terme à ces post indignes, Inès ne sait plus quoi faire. Désormais certaine de ne pas parvenir à le raisonner pour l’empêcher de réitérer ce type de publications, elle demande alors conseil à ses deux juristes de cousins. Elle les interroge notamment sur le point de savoir si, en dernier recours, elle ne devrait pas saisir un juge pour régler ce conflit. Cependant, après avoir lu des études récentes sur les dérives des réseaux sociaux, Désiré et Adhémar ont depuis quelques temps déjà déserté ces espaces virtuels, qu’ils jugent de plus en plus malsains et dangereux. Partant, ils ignorent tout des nouvelles armes juridiques existant pour lutter contre ce genre de dérives. Ils en appellent à vous pour les aider à conseiller au mieux leur cousine et protéger l’image de leur petit-cousin.
Et vous, comment appréciez-vous la preuve obtenue par le propriétaire de la hache : inadmissible … ou imparable ?
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■ Sélection des faits : Inès voudrait contraindre le père de Nathan, leur fils de deux ans, à mettre un terme à la diffusion sur les réseaux sociaux de photos et de vidéos représentant l’enfant dans des situations humiliantes et dégradantes.
■ Qualification des faits : Une mère souhaite mettre un terme à la diffusion sur Internet d’images avilissantes de son enfant par le père de ce dernier.
■ Problème de droit : Quels sont les fondements juridiques de la protection parentale de l’image de l’enfant ?
■ Majeure : Article 9 du Code civil : protection sur le fondement du droit au respect de la vie privée. En matière civile, l’article 9 du Code civil sert de matrice aux autres droits de la personnalité. C’est ainsi que le droit au respect de l’image, dégagé par la jurisprudence dès 1858 sur le fondement de l’ancien article 1382 du Code civil (responsabilité civile, art. 1240 nouv.), repose désormais sur l’article 9 du Code civil, alors même que le texte n’en contient pas le terme. L’image de la personne est ainsi protégée, au titre de son droit au respect de sa vie privée. La CEDH, le 7 février 2012, a en ce sens précisé que « l’image d’un individu est l’un des attributs principaux de sa personnalité, du fait qu’elle exprime son originalité et lui permet de se différencier de ses pairs. Le droit de la personne à la protection de son image constitue ainsi l’une des conditions essentielles de son épanouissement personnel » (CEDH, Van Hannover c/All., n°2, req. n°40660/08). Et qu’un enfant soit, au titre de sa minorité, incapable en droit, n’influe en rien sur le droit qu’il détient au respect de sa vie privée et de son image. L’image de l’enfant mineur est un attribut de sa personnalité dont la captation ou la diffusion non autorisée par l’intéressé est prohibée par la jurisprudence sur le fondement de l’article 9.
Outre des dommages- intérêts, alloués sur le seul constat d’une atteinte à la vie privée ou à l’image, soit sans qu’il soit nécessaire de démontrer une faute, un préjudice et un lien causal entre les deux, l’article 9 alinéa 2 du Code civil prévoit que le juge peut prescrire toutes mesures propres à empêcher ou à faire cesser une atteinte à l’intégrité morale de la personne (vie privée, image). En cas d’urgence, les mesures peuvent en outre être ordonnées en référé, ce qui sera souvent le cas dans la mesure où la seule constatation de l’atteinte aux droits de la personne caractérise l’urgence au sens de l’article 9, al. 2. L’interdiction de publication compte parmi les mesures possibles.
Art. 371-1 s. du Code civil : protection sur le fondement de l’autorité parentale. Depuis une loi du 19 février 2024 visant à garantir le droit au respect de l’image des enfants, la notion de vie privée est introduite dans la définition de l’autorité parentale (art. 371-1, al. 2). Cette disposition vise à redéfinir le rôle des parents en leur conférant un rôle inédit dans la protection de la vie privée des mineurs, à l’origine soustraite à l’autorité parentale dont la finalité résidait traditionnellement dans la seule protection de la sécurité, de la santé et de la moralité de leurs enfants. Désormais, le texte dispose expressément que les parents ont le devoir de protéger l’enfant « dans sa sécurité, sa santé, sa vie privée et sa moralité ». L’article 372-1 du Code civil nouveau prévoit en ce sens que toutes les décisions relatives au droit à l’image seront prises en commun par les parents, dans le respect du droit à la vie privée du mineur et en l’associant aux décisions le concernant. Ce texte impose ainsi un exercice parental conjoint du droit au respect de l’image de l’enfant, au nom de l’autorité parentale. Ce qui signifie implicitement que la publication de l’image de l’enfant n’est pas un acte usuel, entendu comme un acte qu’un parent peut accomplir seul, l’autorisation de l’autre parent étant, pour ce type d’actes, présumée. Au contraire, la diffusion de l’image du mineur, considéré comme un acte non usuel, suppose l’accord exprès des deux parents de l’enfant, même lorsque ces derniers sont séparés, la séparation ou le divorce des parents étant sans incidence sur l’exercice de l’autorité parentale. Edictant une interdiction de publication ou de diffusion de l’image de l’enfant sans l’accord de l’autre parent, la loi nouvelle renforce, en outre, les pouvoirs du juge aux affaires familiales (JAF) en cas de conflit parental. L’article 373-2-6 du Code civil lui confère en effet, en cas de désaccord entre les parents sur l’exercice du droit à l’image de l’enfant, le pouvoir d’interdire à l’un des parents de diffuser tout contenu relatif à l’enfant, en l’absence d’autorisation de l’autre parent. Enfin la loi a prévu un nouveau cas de délégation forcée dans le cas où la diffusion de l’image de l’enfant par ses parents porterait gravement atteinte à la dignité ou à l’intégrité morale de celui-ci (art. 377, al. 4). Le cercle des personnes susceptibles de saisir le JAF, dans cette hypothèse, est identique à celui déjà défini à l’article 377 alinéa 2. Ainsi, le particulier, l’établissement ou le service départemental de l’aide sociale à l’enfance qui a recueilli l’enfant, ou bien encore un membre de la famille, peut désormais saisir le juge aux fins de se faire déléguer totalement ou partiellement l’exercice du droit à l’image de l’enfant.
■ Mineure : En l’espèce, Inès a d’une part la possibilité d’agir au nom de Nathan, en sa qualité de représentatrice légale de l’enfant, pour invoquer la violation du droit de son fils au respect de son image et faire cesser cette atteinte ; si son action aboutit, elle pourrait obtenir du juge, notamment en référé, une injonction de suppression des images en ligne et d’interdiction de publier, dans le futur, des photographies attentatoires au droit à l’image de Nathan. D’autre part, Inès a la possibilité d’agir en qualité de titulaire de l’autorité parentale pour saisir le JAF d’une demande d’interdiction de publication qu’elle obtiendra très probablement, en l’absence d’accord de sa part à la diffusion des images litigieuses.
Bien que ce point ne soit pas directement soulevé par Inès qui n’envisageait que sa propre action en justice, il doit enfin être noté que Désiré et Adhémar pourraient également faire une demande en délégation partielle de l’autorité parentale relativement au droit à l’image de Nathan puisqu’ils sont des membres de la famille d’Inès et que l’atteinte à la dignité et à l’intégrité morale du mineur prévue par l’article 377 al. 4 paraît bien, en l’espèce, caractérisée. Certes, la nouveauté de la loi, qui reste inappliquée en jurisprudence, invite à la prudence. Cependant, les députés qui l’avaient proposée avaient expressément mentionné, parmi les publications les plus courantes ciblées par le nouveau dispositif, celles du « bébé sur le pot » et du lancer d’objets sur les très jeunes enfants. Si elle devait être formée par l’un de nos deux amis, cette demande aurait donc de fortes chances d’aboutir.
Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz
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