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Le cas du mois
Droit des obligations
Covid-19 et dispense d’audience
Dès qu’il fut totalement rétabli et eut recouvré toutes ses forces, Désiré n’eut qu’une idée en tête : profiter de l’arrivée des beaux jours pour flâner de nouveau, comme il en avait l’habitude et le goût, dans les rues de la capitale et arpenter les allées du jardin qui longe la rue du studio où il réside. Malheureusement, il apprit au même moment que le chef de l’État et son Gouvernement avaient fait le choix soumettre, dès le lendemain du soir où ils l’annoncèrent, l’ensemble de la population à un confinement général en raison de l’épidémie du covid-19.
Désiré fut alors pris d’un mouvement de panique : comment allait-il supporter, après toutes ces semaines d’alitement et de repos forcés, d’être désormais assigné à résidence et encore privé de sorties et d’activités à l’air libre ? Il fit alors le choix coupable d’ignorer le nouveau dispositif, en même temps que les appels à la prudence d’Adhémar qui, craignant pour la santé qu’il jugeait encore fragile de son acolyte, l’avait incité à respecter scrupuleusement l’ordre de rester chez lui. Pourtant, et sans même prendre le soin de justifier ses déplacements, Désiré multiplia à l’envi les balades, et s’autorisa même quelques footings, ce qui lui permit, au hasard de ses déambulations, de retrouver quelques copains de son quartier et d’échanger quelques mots avec eux. Bien entendu, ces escapades et retrouvailles illégales n’échappèrent pas longtemps au contrôle des policiers postés dans le quartier.
A la troisième amende écopée, l’un d’entre eux prévint Désiré : « Attention monsieur, à la quatrième, ce sera la correctionnelle. Vous savez qu’en qualité de récidiviste, vous risquez des mois de prison ferme ? Franchement monsieur, rentrez chez vous et restez-y. ».
Insensible à cette menace qu’il crut bon de juger excessive, Désiré poursuivit ses irresponsables allers et venues jusqu’à ce que le dernier policier qui l’avait sermonné vienne une dernière fois les interrompre, lui infligeant l’amende qui justifia qu’il reçut, dès le lendemain, une convocation judiciaire lui indiquant qu’il devait se rendre, 48 heures plus tard, au tribunal. Là, Désiré comprit enfin la gravité de l’infraction qu’il avait commise et répétée. Soudain empli d’un sentiment mêlé de honte et de culpabilité, il prit alors conscience du risque auquel non seulement lui s’était exposé, mais qu’il avait également fait courir aux autres. Bel et bien sorti de son déni, Désiré se demanda alors s’il était vraiment raisonnable de se rendre à l’audience à laquelle il était convoqué. N’ayant rien fait pour se protéger du virus, il craignait d’en être porteur, d’autant plus qu’il avait quelques jours plus tôt appris que deux de ses copains de quartier, avec lesquels il avait récemment bavardé, étaient contaminés. Convaincu que sa présence à l’audience ferait courir un risque de contamination inutile aux magistrats et ainsi qu’autres personnes présentes à l’audience, Désiré prit la décision de ne pas s’y rendre, et d’en avertir par courrier le juge qui l’avait convoqué.
N’ayant pas reçu de réponse de sa part, ce qui ne l’inquiète pas démesurément vu le bref délai imparti, il espère simplement que son argument tiré du risque de contagion virale sera pris au sérieux et non comme une dérobade susceptible de constituer une circonstance aggravante des faits, déjà graves, qui lui sont reprochés… Il l’espère d’autant plus qu’il accepte parfaitement l’idée d’être jugé, et même sanctionné. Mais avec la fameuse distance sociale dont il a désormais compris l’intérêt.
A vous d’éclairer Désiré sur la pertinence de son choix d’invoquer un tel motif pour justifier son absence à l’audience.
■ ■ ■
Exposé des faits : Auprès du juge qui l’avait convoqué, Désiré a justifié son absence à l’audience par le risque d’une contamination virale du covid-19, auquel il se serait, par infraction à la réglementation sanitaire actuellement en vigueur, particulièrement exposé. Il craint néanmoins que ce motif, tiré de ce qu’il pense être un empêchement sanitaire, soit jugé insuffisant voire infondé par la juridiction saisie de son dossier.
Problème de droit : L’absence de Désiré à l’audience peut-elle être considérée comme un cas de force majeure ? Plus largement, il convient de savoir si l’épidémie de covid-19 peut être qualifiée comme un événement de force majeure justifiant qu’une juridiction statue hors la présence du justiciable convoqué ?
Eléments de solution :
· Majeure
L’article 1218 du Code civil définit la force majeure ainsi : « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ».
En outre, la récente ordonnance relative au droit des contrats, prise par le Gouvernement pour faire face à l’épidémie du covid-19, (Ord. n° 2020-315 relative aux conditions financières de résolution de certains contrats de voyages touristiques et de séjours en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables ou de force majeure), qualifie expressément l’épidémie de covid-19, en matière contractuelle, d’événement de force majeure.
Générale, la notion de force majeure dépasse cependant la sphère contractuelle. Elle intègre également le domaine extracontractuel, pour caractériser les causes traditionnellement exonératoires de responsabilité ; ainsi d’ailleurs que le prévoit le projet de réforme de la responsabilité extracontractuelle du 13 mars 2017 de la Chancellerie : « Le cas fortuit, le fait du tiers ou de la victime sont totalement exonératoires s’ils revêtent les caractères de la force majeure. En matière extracontractuelle, la force majeure est l’événement échappant au contrôle du défendeur ou de la personne dont il doit répondre, et dont ceux-ci ne pouvaient éviter ni la réalisation, ni les conséquences par des mesures appropriées » (art. 1253).
Traditionnellement, le cas de force majeure vise tout événement présentant, dans le domaine contractuel ou extracontractuel, trois caractères cumulatifs : il est imprévisible, irrésistible et extérieur au débiteur, de ce fait privé de la possibilité de s’exécuter (Cass., ass. plén., 14 avr. 2006, n° 02-11.168), quoique l’article 1218 du Code civil ne reprenne plus explicitement cette dernière condition. L’impossibilité de prévoir la survenance du dommage et d’en éviter ou d’en tempérer les effets est constitutive de la notion : pour prouver avoir été empêché de s’exécuter, le débiteur de l’obligation ou le défendeur doit établir qu’il ne pouvait prévenir la réalisation de l’événement, dans son principe comme dans son ampleur, ni se prémunir, par des mesures appropriées, contre ses conséquences, insurmontables.
Tout événement, sans restriction, pouvant à ces conditions constituer un cas de force majeure, une épidémie est alors susceptible d’être ainsi qualifiée. La jurisprudence rendue en la matière montre toutefois que la réunion des deux critères requis pour caractériser la force majeure, l’imprévisibilité et l’irrésistibilité, fait souvent défaut, soit que l’épidémie, saisonnière et donc récurrente, était alors prévisible, soit qu’il était possible de s’en protéger, par un traitement médical, l’administration d’un vaccin ou toute autre mesure de protection individuelle, en sorte qu’elle n’était pas irrésistible (CA Nancy, 1re ch. Civ., 22 nov. 2010, n° 09/00003 ; CA Basse Terre, 17 déc. 2018, n° 17/00739), soit encore que la qualification même d’épidémie soit douteuse, faute de déclaration officielle en ce sens ou de gravité suffisante (CA Paris, 25e, section B, 25 sept. 1998, n° 1998-024244).
· Mineure
Si l’on transpose ces décisions au covid-19, dès lors que l’État français, de même que l’OMS, ont qualifié ce virus comme une cause épidémique et qu’il est ainsi, dans l’ordre interne comme supranational, officiellement reconnu comme telle, ce virus constitue bien un événement susceptible de caractériser un cas de force majeure. De surcroît, ce virus étant nouveau, le caractère imprévisible requis pour lui faire revêtir cette qualification paraît établi. Reste alors la question de son irrésistibilité : autrement posé, Désiré aurait-il eu la possibilité de se prémunir contre la réalisation ou les conséquences de cette épidémie ? S’il va de soi qu’il ne pouvait en éviter la survenance, la réponse est moins sûre concernant ses effets. Certes, en l’absence actuelle de traitement préventif (vaccin) et curatif (traitement médical) du covid-19, l’épidémie constitue, à première vue, un événement irrésistible ; cependant, le confinement mis en place, de surcroît à titre obligatoire et coercitif, se présente comme une mesure sanitaire (v. la référence légale aux « mesures appropriées ») permettant sinon d’annuler, du moins de réduire, ses conséquences, c’est-à-dire, le risque de propagation du virus et donc de contamination, en sorte que le critère d’irrésistibilité pourrait ne pas être rempli. En effet, si Désiré avait respecté ce dispositif, il aurait affaibli voire évité le risque de contamination et partant, été dans la possibilité de se rendre à l’audience sans faire courir un risque de contagion au personnel présent.
Toutefois, la jurisprudence récente s’est prononcée sur cette question, dans un sens qui pourrait être favorable à Désiré. Ainsi, la cour d’appel de Colmar, saisie dans le cadre d’une prolongation de rétention administrative, n’a pas pu statuer en présence de la personne frappée par cette mesure en raison de l’épidémie de covid-19, qu’elle qualifia d’événement de force majeure. Dans cette affaire, la personne convoquée avait été, à l’instar de Désiré, en contact avec des personnes susceptibles d’être infectées par le virus. Constatant que, dans le bref délai imposé pour statuer, « il ne sera pas possible de s’assurer de l’absence de risque de contagion et de disposer d’une escorte autorisée à conduire X. à l’audience et que le centre de rétention administrative ne disposait pas de matériel permettant d’entendre X. dans le cadre d’une visio-conférence », la cour a jugé que « ces circonstances exceptionnelles, entraînant l’absence de X. à l’audience (…) revêtent le caractère de la force majeure, étant extérieures, imprévisibles et irrésistibles » (CA Colmar, 6e ch., 12 mars 2020, n° 20/01098). La même juridiction avait statué dans le même sens, dans le cadre du maintien en zone d'attente d’un demandeur d’asile : « compte tenu de la pandémie covid-19 en cours et des mesures de confinement prises par l'autorité publique, alors que (le) département du Haut-Rhin constitue un foyer majeur de l'épidémie, caractérisé par un degré de contagion important et de nature à faire courir des risques réels et suffisamment sérieux à l'ensemble du personnel requis pour assurer la tenue de l'audience en présence du maintenu en zone d'attente, il sera statué hors la présence de ce dernier (…), les circonstances susvisées caractérisant un cas de force majeure) (CA Colmar, 6e ch., ord., 23 mars 2020, n° 20/01207).
La cour d'appel de Bordeaux (n° 20/01424) s’est également prononcée en ce sens, le 19 mars 2020, dans le cadre d’une admission en soins psychiatriques, en retenant la qualification de force majeure pour justifier l’absence du justiciable convoqué. Elle juge qu’« en raison de l'actuelle pandémie du coronavirus, suite aux instructions de la garde des Sceaux invitant à actionner les plans de continuation d'activité des juridictions et à ne conserver que les activités essentielles (…), l'audience de ce jour s'est déroulée alors que X. n'a pas été en mesure de se déplacer. Le plan de continuation susvisé (…) ne prévoit pas la tenue d'une audience au sein des locaux aménagés du centre hospitalier. (…) Le recours à la visio-conférence n'a pas été possible pour deux raisons. (…) Il n'est juridiquement pas possible de renvoyer l'examen de l'appel relevé par X. (…). Les éléments mentionnés ci-dessus caractérisent la force majeure et constituent des circonstances insurmontables qui justifient l'absence de X à l'audience de ce jour (…) ».
Cela étant, il est à noter que ces décisions ont été rendues avant ou très peu de temps après la décision d'un confinement national, annoncée au soir du lundi 16 mars 2020 par le Président de la République, lors d'une adresse à la nation, et entrée en vigueur dès le lendemain, à 12 heures. A la date des infractions qu’il a commises, Désiré aura peut-être davantage de difficultés à faire valoir qu’il n’a absolument pas pu éviter, par des « mesures appropriées », aux effets délétères de l’épidémie. Dans cette perspective, il lui faudrait établir et convaincre le juge du fait qu’il n’a pu anticiper et donc satisfaire les obligations sanitaires et de confinement, ce qui reste envisageable puisque à l’époque des faits qui lui sont reprochés, les mesures étaient encore nouvelles, et que l’une des décisions rapportées (CA Colmar, 6e ch., ord., 23 mars 2020, préc.), mentionne expressément le dispositif de confinement tout en retenant le cas de force majeure auquel le demandeur se trouvait confronté et qui justifiait son absence à l’audience.
D’autres éléments doivent également être pris en considération pour affiner la réponse à apporter à Désiré : d’une part, l’élément géographique : son audience doit se tenir à Paris ; à l’instar d’une ville comme Colmar, où deux des décisions précitées ont été rendues, la capitale se situe dans une région, l’Ile-de-France, qui représente (même dans une moindre mesure), un foyer important de contamination. Cet élément pourrait donc lui être favorable. On ne sait rien, en revanche, du dispositif numérique dont dispose la juridiction qui doit procéder à son jugement, alors que cet élément se révèle, dans toutes les décisions récentes rapportées, également déterminant.
Conclusion : Par conséquent, il semble résulter de tout ce qui précède que Désiré a de fortes chances de voir son refus d’être présent à l’audience justifié par la force majeure, malgré les incertitudes qui demeurent, à l’instar de celles qui entourent le virus ravageur dont on ne peut que souhaiter, malgré la désinvolture dont il a fait preuve, qu’il en a été épargné.
Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz
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