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Le cas du mois
Droit de la responsabilité civile
Dégât des eaux
Désiré et Adhémar ne supportaient plus le son lancinant et horriblement énervant des gouttes ruisselant sur des murs de leurs chambres, sans parler des traces sales et jaunâtres qu’elles laissaient, en conséquence.
Ils décidèrent d’en parler directement avec l’intéressée, leur voisine du dessus, Arlette qui est appréciée de tout l’immeuble ; tous n’ignorent cependant pas son caractère fantasque et désinvolte… Nos deux comparses lui firent gentiment part de leur mécontentement, en lui demandant de prendre soin de bien fermer, chaque soir, tous ses robinets, de ne pas arroser à tout va les plantes déposées sur son balcon, de vérifier aussi, éventuellement, l’état de ses canalisations, etc. Arlette leur expliqua alors qu’elle n’y était pour rien, qu’elle partageait leur désarroi car elle-même connaissait peu ou prou les mêmes problèmes qui viendraient, en fait, de son voisin du dessus qui, en faisant (mal) réaliser certains travaux à Noël dernier, aurait endommagé une partie des canalisations desservant son appartement comme le leur. Désiré et Adhémar se rendirent alors à l’étage du dessus… Ils rencontrèrent ce voisin qui leur était inconnu, un dénommé Vincent. « Par chance », ce dernier leur dit tout de suite , « je ne suis presque jamais là ! », son métier l’obligeant à multiplier les déplacements, ce dont il se plaint, lui qui vient d’acquérir, et de rénover, « ce magnifique appartement », situé au troisième étage de l’immeuble. Il se défend aussi immédiatement contre les accusations d’Arlette, leur expliquant qu’après les appels incessants d’Arlette pour se plaindre de ces infiltrations d’eau, il avait, « pour avoir enfin la paix avec ce faux problème », fait intervenir à ses frais un expert, lequel avait conclu de son examen des lieux que la cause de ce sinistre, qu’il jugea mineur, n’était pas identifiée. Tout en se montrant compréhensifs et confiants dans les dires de ce Vincent qui leur semble, a priori, sérieux et honnête, Désiré et Adhémar se considèrent tout de même en droit, vu les dégâts dont le caractère prétendument mineur les perturbe, d’obtenir une indemnisation pour le dommage, sinon sonore, du moins matériel, qu’ils estiment subir. Leurs chambres sont dans un état déplorable… Ils vous demandent d’estimer leurs chances de succès s’ils engageaient une action contre Vincent, malgré toute la sympathie que ce dernier leur inspire, et le cas échéant, sur quel(s) fondement(s) ils devraient la fonder.
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Sélection des faits : Leurs chambres étant endommagées par des infiltrations d’eau provenant de l’appartement situé au 3e étage de leur immeuble, Désiré et Adhémar souhaiteraient engager contre le propriétaire de cet appartement une action en réparation de leur préjudice.
Qualification des faits : Victimes d’un dégât des eaux, deux copropriétaires sollicitent l’indemnisation, par le propriétaire de l’appartement dont ce sinistre provient, du dommage matériel qui en résulte pour eux.
Problème de droit : Quels sont les fondements susceptibles de soutenir une action en indemnisation, à l’encontre du propriétaire d’un bien immobilier, du dommage matériel causé par un dégât des eaux y trouvant sa source ?
Éléments de résolution :
Aucun contrat ne liant les protagonistes entre eux, la responsabilité susceptible d’être engagée se situe nécessairement sur le terrain délictuel.
Aux termes de l’article 1240 du Code civil (anc. art. 1382), tout fait quelconque de l’homme qui cause un dommage à autrui oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. Si ce texte général est potentiellement applicable à l’hypothèse de l’espèce, il subordonne cependant l’octroi d’une réparation à l’existence d’une faute.
En l’espèce, la faute du propriétaire paraît difficile à caractériser. Tout d’abord, en raison de la fréquence de ses déplacements, il est fort probable que le dégât soit survenu en son absence, ce qui exclurait, de fait, qu’il se soit produit par sa faute. Ensuite, le rapport d’expert indique que la cause du sinistre n’est pas identifiée, en sorte que la faute, celle du propriétaire ou même celle, plus probable, de l’entrepreneur ayant réalisé les travaux, ne pourrait être établie avec certitude. Enfin, le même rapport souligne le caractère mineur du sinistre, ce qui implique la légèreté, outre son éventualité, de la faute à rechercher.
En conclusion, il serait sans doute plus efficace d’engager l’action sur un autre fondement.
Aux termes de l’article 1242, alinéa 1er du Code civil (anc. art. 1384), « On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde ».
Ce texte est d’une généralité absolue. Concernant la garde de la chose, il ne distingue pas les choses mobilières des choses immobilières (Req. 6 mars 1928). Dans l’arrêt Jand’heur (13 févr. 1930), la Cour de cassation confirma cette interprétation extensive en visant toutes les choses inanimées, sans distinction ni réserve. Aussi avait-t-elle, quelques années plus tard, expressément reconnu que la présomption de responsabilité du gardien de la chose s’applique à toute chose mobilière ou immobilière, sauf toutefois en cas de ruine d’un bâtiment, hypothèse spécifiquement et autrement régie par l’ancien article 1386 du Code civil (nouvel art. 1244 nouv. (Civ. 4 août 1942), étant précisé que le dommage causé par la ruine provient d’une chute involontaire totale ou partielle d’une partie de la construction édifiée, notamment à usage d’habitation, ce qui exclut tous les désordres et détériorations sans effondrement, en sorte qu’en l’espèce, ce texte ne trouve pas à s’appliquer. Une chose inerte peut donc tout aussi bien qu’une chose en mouvement engager la responsabilité de son gardien, cette distinction jouant seulement un rôle quant à la preuve que la victime doit rapporter. Le gardien d’un bien immobilier peut donc engager sa responsabilité pour les désordres que celui-ci a engendrés, le propriétaire du bien étant présumé responsable.
De surcroît, la responsabilité du fait des choses est une responsabilité de plein droit, indépendante de toute notion de faute, qui pèse objectivement sur le gardien de la chose intervenue dans la réalisation du dommage.
Ainsi le propriétaire d’un bien est-il responsable de plein droit des désordres qu’il a causés.
En l’espèce, le seul fait que les infiltrations proviennent de l’appartement du propriétaire suffirait à engager sa responsabilité, même sans qu’aucune faute ne puisse lui être imputable.
En revanche, en raison de l’immobilité de la chose à l’origine du dommage, Désiré et Adhémar ne pourront bénéficier de la présomption du rôle causal de la chose dans la survenance du dommage, qui ne s’applique qu’aux choses en mouvement et entrées directement en contact avec la victime ; ils auront la charge de prouver ce rôle causal ce qui, cependant, ne devrait guère poser de difficultés, les infiltrations provenant avec certitude de l’appartement du troisième étage.
Références
■ Req. 6 mars 1928 : DP 1928, I, 97, note Josserand.
■ Cass., ch. réun., 13 févr. 1930, Jand'heur: GAJC, 11e éd., n° 193 ; DP 1930. 1. 57, concl. Matter, note Ripert; S. 1930. 1. 121, note Esmein.
■ Civ. 4 août 1942: GAJC, 11e éd., n° 191-192 (I) ; DC 1943. 1, note Ripert; S. 1943, I, 89, note Houin.
■ Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz
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