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Le cas du mois
Droit de la famille
Enfance en danger
À la maison des jeunes en difficulté, Désiré et Adhémar viennent encore de faire une rencontre étonnante.
Fils d’une célèbre actrice française, Pablo, 17 ans, y est venu chercher une aide à la fois juridique et psychologique que sa situation actuelle comme passée permet d’expliquer. Enfant de la balle a priori gâté par la vie, Pablo a en réalité connu un parcours des plus chaotiques. En pleine ascension à la naissance de son fils, la mère de Pablo ne s’est jamais occupé de lui. Enchaînant les tournages, elle était rarement présente au domicile familial, ce qui est à vrai dire à peine regrettable car les quelques fois où elle rentrait, celle-ci multipliait les fêtes, particulièrement arrosées, avec les gens du métier, au lieu de s’occuper de son fils. Superficielle et désinvolte, elle s’est en outre toujours montrée incapable de gérer l’argent qu’elle gagnait, et il n’était pas rare qu’elle laissât son fils sans nouvelles et sans subsides pendant des semaines. Livré à lui-même, Pablo dût alors se débrouiller seul, grâce à l’aide de quelques voisins et de sa grand-mère, qui n’habitait pas loin. À l’adolescence, il tomba dans la délinquance. Dans la drogue aussi. Pour financer sa consommation, Pablo commença à vendre le cannabis dont il avait besoin pour oublier sa solitude et son sentiment d’abandon. Pour subvenir à ses besoins, Pablo multiplia également les vols et cambriolages, ce qui lui a valu plusieurs rappels à la loi. À 14 ans, son état de perdition l’a finalement conduit dans le bureau d’un juge pour enfants. Ce dernier avait alors alerté à plusieurs reprises la mère de Pablo mais celle-ci, exclusivement préoccupée par sa carrière, trouva finalement assez pratique et confortable que son fils fût confié à un tiers. Elle suggéra d’ailleurs au juge de confier Pablo à des services sociaux, aptes à lui offrir un cadre et une sécurité matérielle qu’elle se savait incapable de lui apporter. Face à l’incurie de cette mère manifestement défaillante, le juge des enfants dût se résigner à ordonner le placement de Pablo qui, par ailleurs, n’a jamais eu de père, et dont la grand-mère venait de décéder. Ainsi fut-il confié à l’Aide sociale à l’enfance. Mais non sans surprise, la mère de Pablo a récemment refait surface, manifestant un intérêt inattendu pour ne pas dire inespéré pour son rejeton. Il faut dire qu’ayant maintenant atteint la cinquantaine, sa carrière d’actrice est au point mort. Les rôles se faisant de plus en plus rares, elle s’est dit que le temps était sûrement venu pour elle de changer ses priorités. Elle aimerait donc se rapprocher de son fils pour rattraper le temps perdu. C’est pourquoi il y a quelques semaines, elle a repris contact avec le juge des enfants ayant décidé du placement de Pablo pour lui faire part de sa volonté de récupérer son fils. Malgré le placement de l’adolescent, le magistrat accueillit sa demande d’hébergement, convaincu qu’un mineur n’est jamais mieux qu’avec ses parents. Informé de cette décision judiciaire, le département de l’aide sociale à l’enfance ayant accueilli Pablo a décidé de saisir la justice pour s’opposer à cette mesure d’hébergement, qu’il considère incompatible avec son placement. Déjà en manque de repères, Pablo a été particulièrement déstabilisé à l’annonce de cette procédure judiciaire, dont il ne parvient pas à envisager l’issue. En outre, il ne sait pas trop quoi penser de l’éventualité de revivre avec sa mère. Après des années d’errance et de galères, il aimerait évidemment connaître les joies d’un cocon familial, mais il craint que sa mère n’ait pas vraiment changé et que la stabilité et la protection qui ont justifié son placement ne puissent lui être apportées par celle dont le rôle de mère n’a jamais été la priorité. Raison pour laquelle il redoute plus qu’il n’espère la retrouver. Après avoir confié ses inquiétudes aux membres de l’association, Pablo s’est aperçu que les cousins se sont montrés particulièrement sensibles à son histoire. Ces derniers lui ont d’ailleurs promis de l’aider, non pas tant financièrement (les garçons sont à sec !), mais juridiquement : ainsi cherchent-ils, depuis leur rencontre, à recueillir des éléments d’information sur la protection des mineurs placés et, en particulier, sur l’éventuel droit d’hébergement de leurs parents. Or ils se sont rapidement aperçus que leur cours de droit de la famille ne contenait que quelques lignes sur cette question. Après quelques hésitations, supposant que votre rentrée est sans doute surchargée, ils ont néanmoins décidé de faire appel à vous pour en savoir plus.
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■ Sélection des faits : En raison du désintérêt de sa mère et de son inaptitude à l’élever, Pablo, ayant sombré dans la délinquance, a été placé à l’ASE dans le but d’être protégé. Le juge ayant décidé de son placement a toutefois conféré à sa mère le droit de l’héberger à plein temps.
■ Qualification des faits : Pour la sécurité et la stabilité d’un mineur, un juge des enfants a décidé de le placer auprès du service de l’aide sociale à l’enfance (ASE) mais, dans le même temps, d’accorder un droit d’hébergement complet à l'un de ses parents. Le département du service dans lequel le mineur a été placé conteste en justice cette décision, dénonçant l’incompatibilité des modalités de ce droit d’hébergement avec la mesure de placement de l’enfant.
■ Problème de droit : Lorsqu’un mineur est confié au service de l’aide sociale à l’enfance, son parent peut-il obtenir un droit d’hébergement à temps complet ?
■ Majeure : Si l’enfant est en danger, qu’il ne dispose pas chez ses père et mère de conditions propres à favoriser son épanouissement ou qu’il sombre dans la délinquance, il est possible de recourir à des moyens divers pour l’aider, en même temps que ses parents, à surmonter ces difficultés. Tendent notamment à cette fin les prestations d’aide sociale à l’enfance et l’assistance éducative. Or dans le cadre de ces mesures, il est fréquent que la décision d’éloigner le mineur de sa résidence familiale soit prise et que ce dernier soit confié à l’ASE. Dans ce cas, se pose la question de savoir si un droit d’hébergement au(x) parent(s) du mineur placé peut être octroyé et, le cas échéant, dans quelle mesure il(s) peuvent en disposer. À cette question, la loi et la jurisprudence apportent une réponse nuancée.
Dans le cadre des prestations d’aide sociale à l’enfance, qui consistent le plus souvent en des versements pécuniaires ou dans l’intervention de professionnels chargés de prodiguer un soutien éducatif et social au mineur (CASF, art. L.222-2 s.), il peut également être décidé, lorsqu’il apparaît souhaitable que le mineur réside à l’extérieur du foyer familial, de confier ce dernier au service de l’ASE (CASF, art. L.222-5) ; ses père et mère disposent alors d’un droit de visite et d’hébergement (CASF, art. L.223-2). Il convient d’ajouter que toute décision prise sur le principe ou sur les modalités d’admission dans le service de l’ASE ne peut l’être que par l’autorité administrative, soit par décision du président du conseil général (CASF, art. L.222-1), et avec l’accord écrit des parents du mineur (CASF, art. L.223-2). Ainsi, si ces derniers s’opposent à la décision prise de confier leur enfant à l’ASE alors qu’elle est nécessaire, il convient de saisir l’autorité judiciaire (CASF, art. L.226-4).
Celle-ci peut en effet ordonner des mesures d’assistance éducative si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises (C. civ., art. 375). C’est le juge des enfants qui est alors compétent (C. civ., art. 375-1). La demande peut être présentée par les père et mère conjointement ou par l’un d’eux, la personne ou le service à qui l’enfant a été confié, le tuteur, le mineur lui-même ou le ministère public, et le juge peut aussi se saisir d’office à titre exceptionnel (C. civ., art. 375 ; C. proc. civ., art. 1181 s.). Le magistrat doit se prononcer en stricte considération de l’intérêt de l’enfant et, s’il doit toujours s’efforcer de recueillir l’adhésion de la famille à la mesure envisagée (C. civ., art. 375-1), il peut toutefois passer outre l’opposition des parents lorsque cela lui semble nécessaire.
La solution retenue par le juge des enfants ne consiste pas nécessairement en un placement : chaque fois qu’il est possible, le mineur doit au contraire être maintenu dans son milieu actuel (C. civ., art. 375-2 ; Civ. 1re, 2 oct. 2024, n° 21-25.974, pt.5). Dans ce cas, le juge désigne soit une personne qualifiée, soit un service en lui donnant mission d’apporter aide et conseil à la famille afin de surmonter les difficultés matérielles ou morales qu’elle rencontre (C. civ., art. 375-2). Il arrive toutefois qu’il soit indispensable d’éloigner le mineur de son père ou de sa mère. Le juge des enfants peut ainsi décider de le confier à l’autre parent, à un autre membre de la famille, à un tiers digne de confiance, ou à un service de l’ASE (C. civ., art. 375-3 ; Civ. 1re, 2 oct. 2024, préc., pt 6). Les parents conservent alors un droit de correspondance ainsi qu’un droit de visite et d’hébergement, dont les modalités d’exercice doivent être fixées par le juge des enfants eu égard au seul intérêt de l’enfant (C. civ., art. 375-7 ; Civ.1re, 2 oct. 2024, préc., pt 7). Légalement protégés, les droits parentaux de visite et d’hébergement ne peuvent être suspendus qu’à titre provisoire, et à la condition que l’intérêt de l’enfant l’exige (C. civ., art. 375-7). En revanche, lorsque le juge des enfants décide de confier le mineur à l'aide sociale à l'enfance, il ne peut pas accorder à l'un ou aux parents un droit d'hébergement à temps complet (Civ. 1re, 2 oct. 2024, préc., pt 8). Pour être compatible avec la mesure de placement, ce droit d’hébergement ne peut être accordé qu’à temps partiel.
■ Mineure : Alors que Pablo a été placé à l’ASE, la mère de ce dernier s’est vue octroyer par le juge des enfants la possibilité d’héberger son fils à temps complet. Au regard de ce qui précède, et notamment de la décision récemment rendue par la première chambre civile pour proscrire l’octroi d’un droit de cette étendue, il est fort probable que le jugement en l’espèce contesté par le département de l’ASE concerné qui, tout en maintenant le placement du mineur auprès de l'aide sociale à l'enfance, accorde à sa mère un droit complet d'hébergement, soit annulé. Le droit d’hébergement octroyé à la mère de Pablo pourra être maintenu, mais le nouveau juge saisi devra en fixer les modalités dans un sens conforme à cette interdiction, si bien qu’il est permis d’envisager que seul un droit d’hébergement à temps partiel sera conféré à la mère de Pablo.
■ Conclusion : Le placement de Pablo à l’ASE restera inchangé, contrairement au droit d’hébergement à temps complet octroyé à sa mère, qui sera très certainement réduit à un temps partiel.
Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz
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