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Le cas du mois
Droit des obligations
Famille je vous prête !
Désiré et Adhémar n’ont jamais aimé leur neveu Pierre. Sans trop savoir pourquoi d’ailleurs. Un simple manque d’affinités sans doute, se disaient-ils. Jusqu’au week-end dernier durant lequel ils ont enfin trouvé une véritable raison de le détester !
Alors que Désiré et Adhémar avaient prévu d’organiser un repas familial pour célébrer l’anniversaire de leur cousin Jean chez Pierre, celui-ci avait commencé par leur réclamer une somme indécente pour la participation aux frais du repas et du cadeau : 1600 euros ! Certes, toute la famille, et la leur est nombreuse, devait se réunir, et Pierre connaît actuellement quelques difficultés financières, mais tout de même... Bref, de gaîté de cœur, Désiré et Adhémar, en présence de leur autre cousin Sébastien, lui prêtèrent la somme, que Pierre s’était engagé à leur rembourser dans la semaine. Or la semaine est déjà largement écoulée. Désiré et Adhémar aimeraient savoir s’ils peuvent récupérer la somme prêtée, sachant que leur cousin Jean est prêt à témoigner de la réalité de l’emprunt. En outre, Désiré et Adhémar s’étaient également engagés à prêter 300 euros à leur nièce Morgane. Ils ne veulent pas la décevoir mais pour prévenir tout différend, ils veulent lui demander de reconnaître par écrit le prêt. Ils vous demandent quelles sont les conditions requises pour que cette reconnaissance soit valable.
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1. La preuve du prêt
Désiré et Adhémar ont prêté 1600 euros à leur neveu. Pour pouvoir exiger de ce dernier le remboursement de leur créance en restitution des sommes prêtées, il leur faut établir la preuve de ce prêt.
Selon l’article 1353 du Code civil (art. 1315 anc.), la charge de la preuve incombe au demandeur : « Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation. ». En l’espèce, Désiré et Adhémar, parce qu’ils réclament le remboursement du prêt qu’ils ont consenti à leur neveu, sont bien demandeurs à la preuve. Ce n’est que dans l’hypothèse où leur neveu invoquerait le fait de les avoir déjà remboursés que pèserait sur lui la charge de prouver le prétendu remboursement.
Ainsi ont-ils la charge de rapporter la preuve d’un contrat de prêt, c’est-à-dire d’un acte juridique, dont la somme excède 1500 euros. Cette précision est indispensable dans la mesure où le dépassement de ce seuil, fixé par décret, suppose de rapporter une preuve écrite du contrat (C. civ., art. 1359; art. 1341 anc.). En l’espèce, il semble que le prêt a été conclu verbalement. Il convient donc de savoir si un contrat de prêt conclu pour un montant exigeant une preuve littérale peut, à défaut d’écrit, être établi et le cas échéant, quels sont les moyens admis pour rapporter la preuve son existence.
Une exception traditionnellement admise à la règle précitée consiste en l’impossibilité de s’être préconstitué une preuve écrite (art. 1360; art. 1348 anc.). Le demandeur dans l’impossibilité morale ou matérielle de se procurer une preuve écrite est, dans ce cas, autorisé à rapporter autrement la preuve de sa créance. Les juges admettent en effet, outre l’impossibilité matérielle de se procurer un écrit, l’impossibilité morale de l’avoir préconstituée, notamment en raison des liens familiaux, conjugaux ou amicaux, bref, de liens fondés a priori sur un rapport de confiance entre les protagonistes justifiant l’impossibilité morale de se procurer un écrit. En l’espèce, si le lien de parenté est établi, les juges devront souverainement apprécier si celui-ci empêchait effectivement de se procurer un écrit constatant le prêt consenti (Civ. 3e, 24 oct. 1972, n° 71-12.175: jurisprudence constante : Les juges du fond apprécient souverainement le point de savoir si une partie s’est trouvée dans l’impossibilité morale de se procurer un écrit), d’autant plus que les faits indiquent que la parenté, objectivement établie, ne s’accompagne pas, en l’occurrence, d’un lien de confiance et d’affection particulier entre les demandeurs et le défendeur à la preuve. Si Désiré et Adhémar parviennent à convaincre les juges de l’impossibilité morale dans laquelle ils se trouvaient de se procurer un écrit, ils pourront, dès lors, apporter autrement la preuve de leur prêt. Ainsi le témoignage de leur cousin Sébastien, présent au moment où le prêt a été verbalement conclu, pourrait leur servir, mais pas à lui seul, ce dernier ne pouvant que constituer une preuve complémentaire au commencement de preuve par écrit éventuellement susceptible de suppléer l’absence d’écrit ; or en l’espèce, aucun écrit (C. civ., art. 1362 : « Constitue un commencement de preuve écrit tout écrit qui, émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente, rend vraisemblable ce qui est allégué ») ne semble avoir été dressé pour acter le prêt conclu.
En conclusion, il est très peu probable que Désiré et Adhémar parviennent à rapporter la preuve de leur créance en remboursement des sommes prêtées.
2. La reconnaissance de dette
Pour se prémunir du risque de non-remboursement du nouveau prêt qu’ils entendent consentir à leur nièce Morgane, Désiré et Adhémar entendent matérialiser ce prêt par un écrit. L’acte sous signature privée (C. civ., art. 1372) paraît, en l’espèce, le plus approprié ; sans offrir une sécurité maximale, dans la mesure où il n’est pas reçu par un officier public selon les formalités requises par la loi, il offre le double avantage de la rapidité et de la simplicité, aucune condition de forme n’étant spécialement requise, à l’exception de la signature des parties qui s’obligent. Ainsi, le document par lequel Morgane reconnaîtrait sa dette pourrait-il être de toute nature et reposer sur n’importe quel support dès lors qu’il porterait sa signature.
Cela étant, puisqu’il s’agit d’un acte impliquant de sa part un engagement de payer une somme d’argent, la reconnaissance de dette devra comporter, outre sa signature, la mention écrite par elle-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres, de cet engagement de payer. Cette formalité, jadis prévue à l’article 1326 du Code civil et maintenue à l’article 1376 du Code civil, a pour but d’empêcher toute tentative de falsification de l’acte.
A défaut de respecter ce formalisme, l’acte de reconnaissance ne vaudra que commencement de preuve par écrit, obligeant le créancier à apporter des éléments de preuve complémentaires pour pouvoir opposer l’acte à son débiteur.
En conclusion, Désiré et Adhémar devront cette fois veiller non seulement à passer un écrit, mais également à ce que le formalisme légal soit respecté.
Référence
■ Civ. 3e, 24 oct. 1972, n° 71-12.175 P.
Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz
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