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Le cas du mois
Droit des obligations
Force sociale…ou force majeure ?
Tandis que Désiré rentre parfaitement reposé de ses vacances d’été, agréablement passées sur les plages huppées de la côte d’azur, Adhémar se sent épuisé et fortement démoralisé. Resté à Paris pour gagner un peu d’argent avant la rentrée universitaire, il a sans doute trop vite accepté une mission de transporteur routier, qui a rapidement mal tourné.
Recruté pour livrer des produits laitiers auprès d’un distributeur, il était loin d’imaginer ce qui allait lui arriver. Lui qui pensait pouvoir conduire tranquillement son camion sur les routes, ensoleillées et dégagées en cette saison, de la région parisienne, il s’est trouvé pris au piège d’une manifestation particulièrement rocambolesque, trois jours seulement après avoir été embauché. En effet, un mouvement social a été entrepris par des agriculteurs en colère contre la nouvelle augmentation du prix du lait. Les manifestants, qui avaient annoncé en amont leur volonté de barrer les routes en île de France, n’avaient toutefois pas précisé la localisation exacte de ces barrages routiers. Or ils s’étaient notamment positionnés sur le trajet emprunté par Adhémar. Les ennuis ne faisaient que commencer… Après avoir déjà passé plusieurs heures bloqué dans son véhicule en stationnement, Adhémar fut ensuite contraint par plusieurs manifestants, qui le menaçaient d’endommager sa remorque, de quitter son véhicule. L’occasion pour eux de décharger le contenu du camion et de distribuer les bouteilles de lait ainsi subtilisées à la horde de manifestants, assoiffés, restés sur le bas-côté. Sans surprise, lorsqu’il a appris l’incident, l’employeur d’Adhémar reprocha à sa jeune recrue, qu’il a sèchement licenciée, de ne pas avoir anticipé les risques inhérents à ce mouvement social, qui n’était pas spontané mais officiellement annoncé. Ainsi l’estime-t-il pleinement responsable de la perte des produits dont il devra lui rembourser le prix. Adhémar a beau lui expliquer qu’aucune information n’avait été donnée, ni dans la presse ni sur les réseaux sociaux, sur la zone géographique de ce mouvement social, et qu’il n’avait donc eu aucun moyen d’anticiper l’incident qui s’est produit, son employeur ne veut rien entendre et prévoit de l’assigner en justice si Adhémar persiste à refuser de lui rembourser la somme qu’il lui réclame.
Selon vous, Adhémar peut-il arguer de cet imprévu, dont il s’estime d’ailleurs également victime, pour échapper à l’engagement de sa responsabilité ?
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■ Sélection des faits : Adhémar s’est fait voler un lot de produits laitiers, qu’il devait livrer à un distributeur, par des manifestants ayant prévu de barrer la route sur laquelle il circulait. Si le barrage routier était prévisible en raison de l’annonce du mouvement, sa localisation, gardée secrète par les organisateurs, ne l’était pas. Son employeur lui reproche cependant de ne pas avoir prévu l’éventualité de l’incident finalement survenu, et souhaite engager sa responsabilité pour la perte des produits subtilisés.
■ Qualification des faits : Alors qu’un voiturier transportait un lot de produits laitiers, son véhicule a été arrêté par des manifestants qui s’étaient positionnés sur la route qu’il avait empruntée. Pendant le transport, le voiturier a dû descendre de son véhicule, menacé par des manifestants ayant profité de son absence pour décharger et voler le contenu de son camion. Quoique non géo-localisé, ce mouvement social avait été préalablement annoncé. L’employeur du voiturier souhaite en conséquence engager la responsabilité de ce dernier pour la perte des produits transportés.
■ Problème de droit : Un voiturier engage-t-il sa responsabilité en cas de perte des produits transportés dans le cas où celle-ci est la conséquence d’un mouvement social ?
■ Majeure : L’article L. 133-1 du Code de commerce dispose que « le voiturier est garant de la perte des objets à transporter, hors les cas de la force majeure ». La généralité des termes de ce texte pourtant issu du droit spécial n’assigne pas à la force majeure une approche spécifique, qui ne serait applicable que dans le cadre des transports routiers. Il convient donc de se référer au droit commun afin de pouvoir qualifier cette cause exonératoire de responsabilité.
Traditionnellement, la force majeure se définit par la réunion de trois critères cumulatifs, l’extériorité, l’imprévisibilité et l’irrésistibilité de l’événement qui en est constitutif, malgré un doute ayant longtemps persisté en doctrine sur l’applicabilité, incertaine en jurisprudence, du premier de ces critères (Cass., ass. plén., 14 avr. 2006, n° 02-11.168). Une clarification a toutefois été opérée par l’ordonnance de 2016, ayant précisé qu’« il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur » . Confirmé, le triptyque classique de la notion (imprévisibilité, extériorité et irrésistibilité) fait en outre l’objet d’un contrôle serré de la part de la chambre commerciale, sur le fondement de l’article L. 133-1 du code de commerce. En effet, un certain nombre de cassations sont prononcées à ce titre pour défaut de base légale quand les juges du fond ne retiennent pas suffisamment d’éléments pour caractériser la force majeure (v. par ex., Com. 8 mars 2011, n° 10-12.807 et n° 10-13.636). Plus généralement, l’exonération totale de responsabilité à laquelle un cas de force majeure aboutit conduit les juges à apprécier sévèrement cette notion, qui se trouve donc rarement retenue, que celle-ci soit appréciée sur le fondement du droit antérieur à la réforme ou sur le fondement du droit nouveau.
■ Mineure : L’application de la notion aux faits d’espèce doit se discuter notamment quand on sait que le mouvement social des agriculteurs n’était pas spontané mais connu en amont. Si les critères d’extériorité et d’irrésistibilité semblent bien pouvoir être caractérisés, la prévisibilité de l’événement empêcherait toutefois de retenir un cas de force majeure. Cependant, la localisation du barrage routier était légitimement ignorée par Adhémar car si l’événement en lui-même avait été annoncé et était donc prévisible, sa situation géographique, tue par les manifestants, était restée inconnue. Partant, Adhémar était dans l’impossibilité d’accéder à cet élément d’information sans lequel il ne pouvait anticiper et éviter l’événement et l’incident survenus. Autrement dit, l’imprévisibilité pourrait être en sa faveur retenue si l’absence de géolocalisation du mouvement parvient à être établie. C’est ainsi que dans un contexte similaire à celui de l’espèce, la chambre commerciale a jugé imprévisible pour le transporteur le vol de ses marchandises par des manifestants dès lors que les juges du fond avaient établi qu’il n’était pas prouvé « que les informations routières et les réseaux sociaux (aient), le jour de l’incident litigieux, donné les informations utiles qui auraient permis au chauffeur (…) d’éviter un tel blocage » (§ n° 8). Dès lors que rien ne garantissait que le chauffeur avait pu consulter ces éléments précis dans le cadre de ses fonctions, son exonération devait être admise (Com. 5 juill. 2023, n° 22-14.476). Rapportée à l’espèce, cette solution permettrait de considérer que la seule annonce du mouvement social ne suffisait pas à rendre l’événement prévisible.
■ Conclusion : Ajouté aux faits que cet événement lui était parfaitement extérieur et échappait complètement à son contrôle, Adhémar devrait être exonéré de sa responsabilité au sens du texte du code de commerce.
Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz
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