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Le cas du mois
Droit de la responsabilité civile
Germinator…
Désiré et Adhémar commencent à être un peu las de leurs problèmes de famille. Après l’infertilité, heureusement résolue, de leur cousine Stéphanie, ils viennent d’apprendre que leur marraine, Sabrina, a récemment contracté une infection nosocomiale. Bien qu’ils n’en aient jamais été très proches, cela les préoccupe tout de même.
Victime depuis longtemps d’une fragilité de la vésicule biliaire, Sabrina, désormais âgée de 55 ans, ressentait depuis quelques temps des douleurs abdominales de plus en plus importantes en sorte qu’elle consulta assez vite le médecin spécialiste qui la suit régulièrement. Son diagnostic fut sans appel : il fallait procéder à l’ablation de sa vésicule biliaire.
Après l’opération, Sabrina présenta un hématome lombaire qui s’était fortement infecté et dont le traitement nécessita plusieurs interventions et hospitalisations, à la suite desquelles l’infection, au lieu de disparaître, s’était, au contraire, progressivement aggravée, entraînant un déficit fonctionnel permanent de 3,5%.
Sabrina décida alors de s’en entretenir avec le chirurgien qui l’avait opérée, ce dernier exerçant à titre libéral au sein de la clinique qui l’avait reçue. Sans nier le problème ni sa part de responsabilité éventuelle dans la survenance de l’infection, car il avait pris un peu de retard dans son traitement pré et post opératoire, celui-ci expliqua néanmoins à Sabrina que ce type de complications, ainsi que le risque de leur aggravation, faisaient partie des aléas inhérents à toute opération chirurgicale. Désolée, Sabrina consulta alors son médecin spécialiste. Ennuyé pour sa patiente, qu’il connaît depuis longtemps, il lui déconseilla de se laisser faire et lui suggéra même de porter l’affaire en justice. Déplorant le manque flagrant d’hygiène qu’il constate depuis trop longtemps dans certains établissements de santé, il invita ainsi Sabrina à engager la responsabilité de la clinique, clinique qu’il lui avait pourtant recommandée, ainsi que celle du chirurgien ayant procédé à son opération.
« Vous gagnerez ! », affirma-t-il sans réserve. « S’agissant des infections nosocomiales, les établissements de santé sont toujours responsables, et c’est bien normal ! Aucun moyen pour eux de s’en sortir ! ».
« Même sans faute de leur part ? », lui demanda Sabrina, surprise.
« Oui », lui répondit-il. « Ils n’ont aucun moyen de s’en sortir », vous dis-je. « De surcroît », ajouta-t-il, « n’hésitez pas non plus à assigner votre chirurgien en responsabilité, il a sans doute, compte tenu de la dernière conversation que vous avez eue avec lui et que vous m’avez rapportée, lui aussi une part de responsabilité ».
Désarmée par ce flux d’informations contradictoires, Sabrina ne sait qui croire, de son chirurgien ou de son médecin. Elle en appelle à votre aide pour y voir plus clair et connaître ses chances de succès si elle se décidait à porter l’affaire en justice.
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En droit, la réparation d’une infection nosocomiale contractée au cours d’une hospitalisation, à la suite d’une opération, alors que la victime n’était pas porteuse de son germe lors de son entrée dans l’établissement de santé, obéit à un régime de responsabilité sans faute, sous la réserve d’avoir été contractée postérieurement au 5 septembre 2001. En effet, alors que le premier alinéa de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique pose un principe général de responsabilité pour faute, tant pour les professionnels de santé (qu’ils exercent comme salariés ou à titre libéral) que pour les établissements, services ou organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins, le deuxième alinéa du même texte institue au contraire une différence de traitement dans les conditions d'engagement de la responsabilité médicale pour obtenir la réparation des dommages causés par une infection nosocomiale : ainsi, un régime de responsabilité sans faute s'applique si cette infection a été contractée dans un établissement, service ou organisme de santé ; en revanche, si une telle infection a été contractée auprès d'un professionnel de santé, la responsabilité de ce dernier ne peut être engagée qu'en cas de faute, cette différence de régimes venant d’ailleurs d’être jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel (Cons. const. 1er avr. 2016, n° 2016-531 QPC).
En l’espèce, les faits énoncés indiquent que Sabrina a contracté une infection nosocomiale, dans une clinique. Les faits semblent également indiquer que la survenance de l’infection est récente En conséquence, si elle se décidait à porter l’affaire en justice, l’absence de faute ne serait pas, a priori, susceptible d’exonérer la clinique (Civ. 1re, 11 déc. 2008, n° 08-10.105).
La loi réserve cependant une cause d’exonération à cette responsabilité de plein droit : la cause étrangère. Or il ressort de l’étude de la jurisprudence tant administrative que judiciaire que celle-ci est strictement appréciée par les juges. Ainsi, l’état de vulnérabilité du patient ne peut-il à lui seul suffire à constituer une telle cause (CE 17 févr. 2012, Mme Mau, n° 342366; CE 12 mars 2014, n° 358111), de même que ses prédispositions au développement de l’infection, même avérées, ne sauraient exonérer l’établissement de santé ni le praticien dès lors que l’affection issue de cette prédisposition n’a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable (Civ. 1re, 28 janv. 2010, ONIAM, n° 08-20.571). Récemment, la Cour de cassation a confirmé cette politique globale de fermeté, affirmant que « même si l’infection avait pu être provoquée par la pathologie de la patiente ; liée à un aléa thérapeutique, cette infection demeurait consécutive aux soins dispensés au sein de la clinique et ne procédait pas d’une circonstance extérieure à l’activité de cet établissement ». Ainsi, le fait que l’infection en cause ait pu être provoquée par la pathologie du patient, consécutive à un aléa thérapeutique, ce dernier étant entendu comme un risque connu de complication inhérent à une opération, ne peut constituer une cause étrangère, faute de caractère imprévisible, encore moins d’irrésistibilité ni d’extériorité, dès lors que l’infection nosocomiale reste en toute hypothèse la conséquence, évitable et surmontable, des soins dispensés au sein même de l’établissement de santé. Cette solution est conforme au régime de responsabilité de plein droit prévu par la loi, celui-ci impliquant logiquement que les obligations des établissements de santé en matière d’hygiène et d’aseptie soient de résultat, en sorte que ces derniers doivent supporter les risques d’infection contractée à l’hôpital à l’occasion d’une opération sans que la pathologie du patient, liée à un aléa thérapeutique, puisse les exonérer de leur responsabilité. En effet, la solution inverse conduirait à admettre que l’engagement de leur responsabilité dépend de la preuve de leur faute, ce que proscrit justement l’article L. 1142-1, I, alinéa 2, du Code de la santé publique.
En l’espèce, ni l’état de vulnérabilité de Sabrina, ni ses prédispositions éventuelles au développement ou à l’aggravation de l’infection, ni même le risque connu de complication liée à l’intervention chirurgicale qu’elle a subie, ne sauraient être considérés par les juges comme constitutifs d’une cause étrangère exonératoire de responsabilité. La clinique sera au contraire, très probablement, jugée responsable de plein droit.
Reste enfin à envisager les conséquences de sa responsabilité, si celle-ci devait être effectivement recherchée, puis engagée, sur celle, éventuelle, du chirurgien ayant réalisé l’opération. En effet, sa mise en cause est, à la lecture de l’énoncé des faits, également envisagée, le retard qu’il a pris dans le suivi et le traitement de l’infection de l’hématome étant, selon le médecin spécialiste de Sabrina, constitutif d’une faute.
En droit, si la jurisprudence refuse qu’un praticien soit condamné in solidum en l’absence de toute faute de sa part (Civ. 1re, 28 janv. 2010, ONIAM, préc.), en revanche, si l’infection nosocomiale a pour cause exclusive une faute technique ou une négligence de sa part, il doit garantir la clinique des condamnations prononcées contre elle au titre de sa responsabilité de plein droit (Civ. 1re, 7 juill. 2011, n° 10-19.137) : en effet, dans les rapports entre l’établissement de soins, déclaré responsable de plein droit de l’infection nosocomiale contractée par un patient, et le chirurgien , qui a engagé sa responsabilité pour faute envers ce dernier, la charge définitive de la dette de réparation pèse intégralement sur le médecin fautif en l’absence de faute établie à l’encontre de l’établissement de soins. Enfin, lorsque le manquement du praticien, bien que fautif, n’est qu’en partie la cause de la survenance de l’infection, ce dernier n’est pas tenu de prendre intégralement à sa charge les indemnités allouées à la victime, celles-ci faisant l’objet d’un partage entre l’établissement de santé et lui (Civ. 1re, 14 avr. 2016, n° 14-23.909: relevant que le manquement du chirurgien, consistant en une négligence fautive à l’égard du patient, avait uniquement été à l’origine d’un retard préjudiciable dans le traitement de l’infection, aggravant ses séquelles, la Cour approuve les juges du fond de l’avoir obligé à garantir la clinique uniquement à concurrence de 50 %.)
En l’espèce, soit les juges considèreront, à l’appui de rapports d’expertise, que la faute de négligence imputable au chirurgien de Sabrina est la cause unique de l’infection développée par la victime, auquel cas, celui-ci devra prendre à sa charge l’intégralité de la dette de réparation, soit que sa faute n’est qu’en partie à l’origine du dommage, auquel cas, il ne devra garantir à la clinique l’indemnisation à laquelle celle-ci sera obligée qu’à concurrence d’un certain pourcentage.
Références
■ Cons. const. 1er avr. 2016, n° 2016-531 QPC, Dalloz Actu Étudiant, 9 mai 2016 ; D. 2016. 1064, note J. Philippe Vauthier et F. Vialla.
■ Civ. 1re, 11 déc. 2008, n° 08-10.105.
■ CE 17 févr. 2012, Mme Mau, n° 342366, Lebon ; AJDA 2012. 357 ; ibid. 1665, étude H. Belrhali-Bernard.
■ CE 12 mars 2014, n° 358111, Lebon ; AJDA 2014. 1804 ; RDSS 2014. 383, obs. D. Cristol.
■ Civ. 1re, 28 janv. 2010, ONIAM, n° 08-20.571.
■ Civ. 1re, 7 juill. 2011, n° 10-19.137.
■ Civ. 1re, 14 avr. 2016, n° 14-23.909 P, D. 2016. 894.
Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz
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