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Le cas du mois
Droit pénal général
Injures transgenres
Toujours convalescent, Désiré profite de ce temps de repos pour passer un peu (plus encore) de temps sur les réseaux sociaux. C’est ainsi que le 10 janvier 2020, il tombait sur le texte suivant, publié sur Twitter par un certain Henri L. : « Transgenres. Les malheureux qui veulent changer de sexe sont des vicieux et des malades qui relèvent de la psychiatrie ». Profondément choqué par ces propos, il interpellait Adhémar, venu prendre de ses nouvelles à son chevet :
- « Adhémar, comment est-il possible de tenir de tels propos en 2020 ? »
- « Je suis moi-même choqué », répondait Adhémar, « malheureusement, mon cher Désiré, tu ne peux pas empêcher que la bêtise et l’ignorance s’expriment sur les réseaux sociaux … internet est une zone de non-droit, tu sais … »
- « Enfin, tout de même … De tels propos ne tombent-ils pas sous le coup de la loi pénale ? Je trouverais absolument inadmissible que leur auteur échappe à toute poursuite … »
- « Il faudrait vérifier mais je ne crois pas … », lui répondait un Adhémar dubitatif qui, il est vrai, avait depuis bien longtemps remisé ses manuels de droit pénal au placard.
Aidez Adhémar à formuler une réponse précise et argumentée à son ami Désiré.
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- « Adhémar, comment est-il possible de tenir de tels propos en 2020 ? »
- « Je suis moi-même choqué », répondait Adhémar, « malheureusement, mon cher Désiré, tu ne peux pas empêcher que la bêtise et l’ignorance s’expriment sur les réseaux sociaux … internet est une zone de non-droit, tu sais … »
- « Enfin, tout de même … De tels propos ne tombent-ils pas sous le coup de la loi pénale ? Je trouverais absolument inadmissible que leur auteur échappe à toute poursuite … »
- « Il faudrait vérifier mais je ne crois pas … », lui répondait un Adhémar dubitatif qui, il est vrai, avait depuis bien longtemps remisé ses manuels de droit pénal au placard.
Aidez Adhémar à formuler une réponse précise et argumentée à son ami Désiré.
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La première question qui se pose est celle de la qualification pénale des faits : les propos tenus par Henri de L. sur Twitter qualifiant les transgenres de « malheureux », « vicieux » et de « malades qui relèvent de la psychiatrie » constituent-ils une infraction pénale ?
L’injure est définie à l’article 29, alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Il s’agit de « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait ».
Concernant ses éléments constitutifs, l’injure requiert, dans sa matérialité, une invective, un terme de mépris ou une expression outrageante, utilisée pour insulter une personne, mais qui ne renferme l’imputation d’aucun fait précis. Seront ainsi inclus les termes grossiers ou désobligeants visant une personne ou un groupe de personnes déterminées (NB : si un fait précis est imputé à cette personne ou ce groupe de personnes, c’est la qualification de diffamation qui s’applique ; L. 29 juill. 1881, art. 29, al. 1er).
En outre, l’injure publique suppose que soit utilisé l’un des moyens de publicité énoncés par l’article 23 de la loi de 1881. À défaut de publicité, l’injure est une contravention.
S’agissant de son élément moral, l’injure est faite avec l’intention de nuire (qui est présumée).
Concernant la peine encourue, l’injure publique envers les particuliers est punie d’une amende de 12 000 euros (L. 29 juill. 1881, art. 33, al. 2). Cette peine est aggravée, passant à un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende lorsque l’injure publique a un caractère racial, ethnique ou religieux, ou a été commise à raison du sexe, de l’orientation sexuelle, de l’identité de genre ou du handicap (L. 29 juill. 1881, art. 33, al. 4).
NB : c’est la loi dite « Égalité et citoyenneté » du 27 janvier 2017 qui a modifié certaines dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse pour punir plus sévèrement les provocations, diffamations et injures lorsque ces infractions sont commises à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur « identité de genre » (auparavant, ces textes visaient le sexe et l’orientation sexuelle).
L’injure non publique est punie de l’amende prévue pour les contraventions de la 1re classe, soit 38 euros (C. pén., art. R. 621-2) ; et de l’amende prévue pour les contraventions de la 5e classe (1 500 euros) lorsqu’elle est raciste ou discriminatoire (C. pén., art. R. 625-8-1).
En cas de provocation, l’injure peut être excusée (l’art. 33, al. 2 de la L. 29 juill. 1881, punissant l’injure envers les particuliers « lorsqu'elle n'aura pas été précédée de provocations »).
La provocation s’entend de tous faits accomplis volontairement dans le but d’irriter une personne et venant par suite expliquer et excuser les propos injurieux qui lui sont reprochés.
L’excuse de provocation n’est prévue par la loi que pour les injures envers des particuliers, mais elle peut s’appliquer à l’auteur d’une injure raciale ou discriminatoire.
La jurisprudence pose plusieurs conditions de recevabilité de l’excuse de provocation. Ainsi, la provocation doit être : personnelle au prévenu (ou à l’un de ses très proches), injuste (la provocation doit constituer une faute et non l’exercice normal d’un droit), directe (il doit exister un rapport de causalité entre la provocation et l’injure), rapprochée dans le temps avec l’injure et proportionnée à cette dernière.
Lorsqu’elle est établie, la provocation constitue une excuse légale qui affranchit de toute peine l’auteur de l’infraction.
· Ici, le qualificatif de « vicieux », qui signifie « dépravé, immoral, pervers et se dit de personnes ayant un comportement réprouvé par le sentiment moral collectif », apparaît comme un terme manifestement outrageant et donc injurieux.
· En revanche, les termes de « malheureux » et de « malades qui relèvent de la psychiatrie », qui font référence au malheur ou renvoient à la maladie physique ou mentale, ne peuvent être considérés comme outrageants ou méprisants (En ce sens, Crim. 7 janv. 2020, n° 19-80.796 : Dalloz actualité, 21 janv. 2020, obs. C. Lamy).
· L’élément moral (dol général) étant présumé, l’injure est caractérisée.
· Le propos visant un groupe de personnes à raison de leur identité de genre, les transgenres, il y a injure discriminatoire (L. 29 juill. 1881, art. 33, al. 4).
· En outre, l’énoncé ne suggère aucunement qu’elle aurait été provoquée.
· L’injure a été proférée sur un réseau social : il y a bien publicité au sens de l’article 23 de la loi sur la presse qui inclut parmi les modes de publicité « tout moyen au public de communication par voie électronique ». En outre, les propos n’ont pas été publiés sur un espace privé de contributions mais bien mis à la disposition du public (à l’ensemble des utilisateurs de Twitter) de sorte qu’aucune « communauté d’intérêts » ne pouvait être caractérisée. Et a priori seul l’auteur est responsable de son tweet (dès lors que le message incriminé n’a pas fait l’objet d’une « fixation préalable » au sens de l’art. 93-3 de la L. du 29 juill. 1982 sur la communication audiovisuelle, applicable aux services de communication au public par voie électronique).
· Ainsi, les faits constituent une injure publique aggravée, car proférée à raison de l’identité de genre du groupe de personnes visées, faisant encourir à son auteur un an d’emprisonnement et 45 000 euros, en application de l’article 33, alinéa 4, de la loi du 29 juillet 1881, tel que modifié par la loi du 27 janvier 2017 précitée.
Question secondaire : les faits peuvent-ils être poursuivis ?
L’injure publique appartient aux infractions de presse, lesquelles obéissent à un régime procédural spécifique.
Le délai de prescription de l’action publique est en principe de 3 mois pour les infractions de presse (L. 29 juill. 1881, art. 65), mais un délai plus long est prévu pour certains délits de presse, dont le délit de l’article 33, alinéa 4, de la loi sur la presse, pour lequel ce délai est d’un an (L. 29 juill. 1881, art. 65-3).
L’infraction ayant été commise le 10 janvier 2020 (et consommée à cette date puisque les infractions de presse sont instantanées), elle n’est pas prescrite.
En outre, la loi sur la presse ne contenant aucune disposition spéciale sur la compétence territoriale, ce sont les règles du droit commun qui s’appliquent (C. pén., art. 113-2 s.) ; s’agissant ici de propos publiés sur internet par un ressortissant français, accessibles depuis la France et destinés au public français, la loi pénale française est applicable et les tribunaux français compétents.
Question subsidiaire : sous quelles modalités l’auteur peut-il être poursuivi ?
Les actes de poursuite en matière de presse sont soumis à un formalisme très lourd sanctionné par la nullité. Il s’agit de la citation directe, du réquisitoire introductif et de la plainte avec constitution de partie civile.
L’article 53 de la loi sur la presse prévoit que la citation directe doit, à peine de nullité, articuler les faits (c’est-à-dire les préciser), les qualifier juridiquement (en sachant qu’en principe, le juge ne peut pas les requalifier, sauf pour le cas, notamment, des provocations, diffamations et injures publiques raciales ou discriminatoires, L. 29 juill. 1881, art. 54-1) et viser le texte applicable (c’est-à-dire le texte qui édicte la peine encourue).
En outre, la citation doit contenir élection de domicile et être notifiée au prévenu (par une citation à domicile) et au ministère public (par exploit d’huissier).
S’ajoutent également des conditions de délai posées à l’article 54 (20 jours devant séparer la citation et la comparution, outre les délais de distance de droit commun de l’art. 552 C. pr. pén.).
NB : l’assignation délivrée devant le juge civil doit également obéir au formalisme de l’article 53 de la loi sur la presse (et ce expressément depuis Cass., ass. plén., 15 févr. 2013, n° 11-14.637), y compris dans les procédures d’urgence (V. par ex. Civ. 1re , 26 sept. 2019, n° 18-18.939 et 18-18.944).
L’article 50 de la loi sur la presse prévoit également une triple exigence d’articulation, de qualification des faits et de visa du texte applicable pour le réquisitoire introductif, et la jurisprudence étend ces conditions à la plainte avec constitution de partie civile.
Comme pour la citation directe et sous les mêmes réserves, le réquisitoire (ou la plainte avec constitution de partie civile) cristallise la qualification.
NB : dans le cas où la plainte avec constitution de partie civile serait incomplète, la jurisprudence admet que le réquisitoire régulier pris dans le délai de prescription de l’action publique puisse pallier cette carence (et mettre en mouvement l’action publique).
On précisera que toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposant, par ses statuts, de combattre les violences ou les discriminations fondées sur l'orientation sexuelle ou identité de genre ou d'assister les victimes de ces discriminations peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne le délit de l’article 33, alinéa 4 (L. 29 juill. 1881, art. 48-4).
Subsidiairement encore, on pourra signaler que les infractions de presse ne permettent pas le recours à certaines procédures spécifiques, alternatives aux poursuites (telles que la composition pénale ; C. pr. pén., art. 41-2), de saisine de la juridiction de jugement (telles que la comparution immédiate et la comparution différée, C. pr. pén., art. 397-6) ou de jugement (telles que la procédure simplifiée de l’ordonnance pénale, C. pr. pén., art. 495 ; la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, C. pr. pén., art. 495-16; et l’amende forfaitaire délictuelle, C. pr. pén., art. 495-17).
Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz
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