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Le cas du mois

Jusqu’à preuve du contraire

[ 10 octobre 2014 ] Imprimer

Jusqu’à preuve du contraire

Au début des vacances, Désiré et Adhémar ont décidé de réaliser des travaux dans l’appartement qu’ils partagent…

Ils ont souhaité casser la cloison entre la cuisine et le salon pour installer un bar qui servira de table pour dîner. Ils ont également décrété qu’il fallait repeindre leur chambre. 

Pour choisir l’entrepreneur, ils ont demandé plusieurs devis.

M. Pasdevisse a estimé les travaux à 2 500 €. Il ne leur a toutefois pas rédigé de devis. Il leur a expliqué qu’il souffrait d’une phobie administrative, comme cela arrive parfois, et qu’il était incapable de s’occuper de toute cette paperasse.

Nos deux compères, bien que fins juristes, se sont laissé convaincre d’autant que son estimation était 1 000 € moins cher que les devis établis par d’autres entreprises.

Malheureusement, une mauvaise surprise les attendait à leur retour de congés. Ils ont, en effet, constaté que si la cloison avait bien été démolie, aucun bar n’avait été installé.

Lorsqu’ils découvrirent que M. Pasdevisse leur avait laissé la facture avec un mot indiquant que les travaux étaient terminés, les deux cousins n’en crurent pas leurs yeux. Ils appelèrent l’entrepreneur pour leur faire part de leur mécontentement. Celui-ci ne voulait rien entendre. Lorsque Désiré et Adhémar lui expliquèrent qu’il était hors de question qu’ils acquittent la facture tant que les travaux ne seraient pas achevés, M. Pasdevisse leur rétorqua : « Je vais vous assigner en paiement de la facture ! À vous de prouver que j’aurais dû poser un bar ».

Désiré et Adhémar sont dépités. Comment prouver qu’ils ont bien commandé la pose d’un bar alors que M. Pasdevisse ne leur a même pas fait signer de devis ?

 

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Désiré et Adhémar avait commandé à M. Pasdevisse une série de travaux. Aucun devis n’a été signé. Les deux cousins s’opposent au paiement de la facture considérant que les travaux ne sont pas terminés. M. Pasdevisse souhaite les assigner persuadés qu’ils n’arriveront pas à rapporter la preuve qu’un bar devait être posé. 

Il convient de se demander à qui incombe la charge de la preuve.

L’article 1315 du Code civil pose le principe selon lequel : « Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver [al. 1er]. Réciproquement, celui qui s’en prétend libéré  doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de l’obligation [al. 2] ». 

En l’espèce, M. Pasdevisse souhaite que Désiré et Adhémar payent la facture et veut les assigner en paiement, alors que ceux-ci s’y opposent considérant que les travaux n’ont pas été achevés.

L’obligation à la charge de deux cousins consiste donc à payer la facture. Dans cette hypothèse, ce sera à M. Pasdevisse de prouver l’existence de sa créance (C. civ., art. 1315, al. 1er). Contrairement à ce qu’il imaginait ce n’est pas aux cousins de prouver que les travaux n’ont pas été correctement réalisés. 

Quels modes de preuves sont à la disposition de l’entrepreneur ? 

L’article 1341 du Code civil rappelle qu’une preuve par écrit est exigée dès lors que les sommes en jeu dépassent 1 500 € (Décr. 80-533 du 15 juill. 1980 mod.).

En l’espèce, le montant de la facture est de 2 500€. Il faudra nécessairement faire valoir un écrit pour prouver que cette somme est due.

Dans le cas présent, M. Pasdevisse aurait pu, s’il avait pris la peine d’en rédiger un, présenter un devis pour prouver les travaux commandés et justifier que la facture devait être réglée. La question se pose alors de savoir si la facture constitue en elle-même une preuve écrite.

Comme l’a récemment rappelée la Cour de cassation, le principe selon lequel nul ne peut se constituer un titre à soi-même fait obstacle, en l’absence de tout écrit, notamment d’un devis accepté, à ce que le créancier se fonde sur la seule facture qu’il a émise pour prouver l’existence de sa créance (Civ. 1re, 10 sept. 2014).

M. Pasdevisse aura donc bien du mal à rapporter la preuve que les travaux ont été commandés et acceptés par les cousins.

Références

 Civ. 1re, 10 sept. 2014, n°10-25.181.

■ Code civil

Article 1315

« Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.

Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation. »

Article 1341

« Il doit être passé acte devant notaires ou sous signatures privées de toutes choses excédant une somme ou une valeur fixée par décret, même pour dépôts volontaires, et il n'est reçu aucune preuve par témoins contre et outre le contenu aux actes, ni sur ce qui serait allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les actes, encore qu'il s'agisse d'une somme ou valeur moindre.

Le tout sans préjudice de ce qui est prescrit dans les lois relatives au commerce. »

■ Décret n°80-533 du 15 juillet 1980 pris pour l'application de l'article 1341 du code civil

Article 1er  

« La somme ou la valeur visée à l'article 1341 du code civil est fixée à 1 500 euros.

Le présent décret est applicable en Nouvelle-Calédonie, dans les territoires d'outre-mer et dans la collectivité territoriale de Mayotte ».

 

 

 

 

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