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Le cas du mois
Jusqu’où peut rétroagir la loi ?
De retour de leurs vacances marocaines, Désirée et Adhémar ont été victimes d’un accident de la circulation dont ils sont ressortis avec de multiples et graves séquelles. Le procès qu’ils ont alors décidé d’engager pour obtenir réparation de leurs préjudices est actuellement en cours.
Ils se sont réjouis d’apprendre, à l’occasion de l’engagement de cette procédure, qu’un projet de loi favorisant nettement l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation était en cours de discussion à l’assemblée et que celui-ci, paraît-il, prévoyait que la loi s’appliquerait immédiatement y compris aux accidents déjà survenus et dont les procès engagés à ce titre étaient déjà en cours. Cependant, un ami étudiant en droit leur a parlé du principe de non-rétroactivité de la loi, principe dont ils ne saisissent pas très bien le sens exact… Ils se demandent en conséquence ce qu’il signifie exactement et surtout si, concrètement, ils pourraient bénéficier de cette nouvelle législation.
Par ailleurs, toujours animés par leur combat écologique, ils avaient conclu un contrat de bail, sans forme particulière, pour accueillir dans des locaux leur appartenant, les membres de l’association qu’ils avaient souhaité créer à l’effet de combattre les méfaits de la pêche au thon rouge. Or, ils ont entendu parler d’une loi récente qui soumettrait la conclusion de ce type de contrat à la forme authentique. Ils se demandent ce que cela signifie et ce que cette nouvelle loi est susceptible d’impliquer sur la validité de leur contrat.
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Il s’agit tout d’abord de déterminer dans quelle mesure une loi expressément rétroactive peut s’appliquer à une instance en cours.
Par exception au principe de non-rétroactivité de la loi, selon lequel les conditions de validité passées et les effets passés d’une situation juridique, qu’elle soit légale ou contractuelle, sont soustraits à l’application de la loi nouvelle, le législateur peut déclarer une loi expressément rétroactive car en matière civile, le principe de non-rétroactivité n’a qu’une valeur législative; la possibilité est donc offerte au législateur d’y déroger. Cependant, cette dérogation est soumise à certaines conditions, qui font l’objet d’un contrôle judiciaire. La Cour européenne des droits de l’homme, dans une formule de principe que la Cour de cassation reprend régulièrement, énonce que « si, en principe, le pouvoir législatif n’est pas empêché de réglementer en matière civile, par de nouvelles dispositions à portée rétroactive, des droits découlant de lois en vigueur, le principe de la prééminence du droit et la notion de procès équitable consacrés par l’article 6 s’opposent, sauf pour d’impérieux motifs d’intérêt général, à l’ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice dans le but d’influer sur le dénouement judiciaire d’un litige » (CEDH 28 oct. 1999, Zielinski et a. c/ France, n° 24846/94).
Si le législateur a donc le pouvoir de faire rétroagir ses lois, ce pouvoir est néanmoins encadré par le juge européen comme national dès lors que par le jeu de la rétroactivité, le législateur peut influer sur le dénouement d’un litige. Ainsi deux limites sont-elles prévues : le principe de prééminence du droit, qui implique le respect de la séparation des pouvoirs législatif et judiciaire ; la notion de procès équitable, qui implique de ne pas surprendre le justiciable en cours de procès par un changement soudain de législation qui pourrait lui être préjudiciable.
En conséquence, pour être applicable à une instance en cours, la loi rétroactive doit, d’une part, répondre à un impérieux motif d’intérêt général, d’autre part, l’atteinte portée par la loi rétroactive aux attentes légitimes des justiciables en cours de procès doit être proportionnée à ce motif impérieux d’intérêt général.
En l’espèce, le législateur était donc bien en droit d’envisager une telle loi, rétroactive. En outre, la loi, expressément rétroactive, paraît satisfaire un impérieux motif d’intérêt général : en effet, l’amélioration, sous l’angle indemnitaire, de la situation des victimes d’accidents de la route pourrait être ainsi considéré, même s’il est possible de discuter ce point. Par ailleurs, l’énoncé ne permet pas d’apprécier la proportionnalité entre ce motif d’intérêt général et l’atteinte portée aux droits des justiciables (des auteurs des accidents de la route). Il reste un doute, donc, mais l’application de cette loi au procès en cours paraît envisageable.
Le second problème porte sur l’application d’une loi nouvelle à un contrat en cours. Plus particulièrement, il s’agit de savoir si une loi nouvelle peut remettre en cause la validité d’un contrat conclu antérieurement à son entrée en vigueur.
En vertu du principe de non-rétroactivité, les conditions de validité passées, légales comme contractuelles, sont soustraites à l’application de la loi nouvelle. Par conséquent, un contrat qui a été régulièrement conclu sous l’empire de la loi ancienne n’est pas susceptible d’être remis en cause par la loi nouvelle.
Désiré et Adhémar peuvent donc, sans aucun doute cette fois, être rassurés : la loi nouvelle n’aura aucune incidence sur la validité de leur contrat de bail, qui reste inchangée.
Référence
■ CEDH 28 oct. 1999, Zielinski et a. c/ France, n° 24846/94, AJDA 2000. 526, chron. J.-F. Flauss ; D. 2000. 184, obs. N. Fricero ; RFDA 2000. 289, note B. Mathieu ; ibid. 1254, note S. Bolle ; RTD civ. 2000. 436, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 439, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 629, obs. R. Perrot.
Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz
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