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Le cas du mois

La chance tourne…

[ 2 janvier 2012 ] Imprimer

Droit des obligations

La chance tourne…

Adhémar est invité par son ami Jack Pote à une soirée poker. Ce soir-là, Adhémar triple sa mise. Ravi de gagner de l’argent en s’amusant, il continue à se rendre une fois par semaine dans ce club de jeu dans l’arrière-boutique d’un petit magasin de souvenirs. Mais rapidement, la chance du débutant disparaît…

Il accumule des dettes auprès de clients habitués que son petit salaire de serveur ne lui permet pas d’acquitter. Adhémar ne peut pas demander à Désiré de l’aider car celui-ci est farouchement opposé aux jeux d’argent. Afin de les rembourser, il s’en remet donc à son ami Pat Prob, joueur plus chanceux, qui accepte facilement de lui prêter un peu d’argent. Il lui jure de le rembourser et signe une reconnaissance de dettes dans laquelle il reconnaît avoir reçu la somme de 25 000 euros pour des besoins personnels qu’il s’engage à rendre au plus vite. Il continue à jouer en espérant que ces gains lui permettront de rembourser Pat. Malheureusement, c’est l’inverse qui se produit et il accumule les dettes. Chaque mois, il signe donc une nouvelle reconnaissance de dettes à Pat Prob.

Il y a quelques jours, Jack Black a appris à Adhémar que Pat avait des problèmes d’argent. Notre ami a peur qu’il lui demande de rembourser les dettes qu’il a accumulées et qui s’élèvent à plus de 500 000 euros. Ses craintes se confirment lorsqu’il est assigné en paiement de cette somme.

Que conseillez-vous à Adhémar ?

 

■ ■ ■

Un contrat a été conclu entre Adhémar et Pat Prob. Il s’agit d’un contrat de prêt, en vertu de l’article 1892 du Code civil selon lequel « Le prêt de consommation est un contrat par lequel l’une des parties livre à l’autre une certaine quantité de choses qui se consomment par l’usage, à la charge par cette dernière de lui en rendre autant, de mêmes espèces et de mêmes qualités ».

Néanmoins, la nature de ce contrat varie selon la qualité des parties. Lorsque le prêt est consenti par un établissement de crédit, le contrat de prêt est un contrat consensuel dans lequel chaque partie a des obligations (Civ. 1re, 19 juin 2008). Le prêteur a l’obligation de remettre la chose objet du contrat et l'emprunteur a l’obligation de rembourser les sommes prêtées, ces deux difficultés étant réglées sur le terrain de l’exécution du contrat (Civ. 1re, 19 juin 2008 , préc.).

En revanche, lorsque le prêt n’est pas consenti par un établissement de crédit, le contrat est un contrat réel, la remise de la chose, cause de l’obligation de l’emprunteur, constitue une condition de formation du contrat.

En l’espèce, Adhémar et Pat Prob sont deux particuliers. Dès lors, il s’agit d’un contrat réel dans lequel la remise des fonds par Pat Prob constitue une condition de formation du contrat de prêt et la cause de l’obligation d’Adhémar.

En présence d’un contrat de prêt, deux solutions s’offrent à l’emprunteur, Adhémar, pour échapper au remboursement des sommes : il peut, d’une part prouver que la remise des fonds n’a pas eu lieu et, d’autre part apporter la preuve de l’illicéité de la cause et soulever l’exception de jeu prévue à l’article 1965 du Code civil.

▪ La preuve de l’absence de remise des fonds

En principe, c’est à celui qui réclame l’exécution d’une obligation de la prouver (art. 1315 al. 1er C. civ.).

En l’espèce, Pat Prob réclame le remboursement des sommes qu’il a prêtées à Adhémar. Il doit donc prouver qu’il lui a bien remis les fonds.

La jurisprudence considère que la charge de la preuve est inversée lorsque l’emprunteur a souscrit une reconnaissance de dette. Il revient donc à celui-ci de prouver l’absence de remise des fonds (Civ. 1re, 19 juin 2008, préc.).

À cette fin, la reconnaissance de dette signée par Adhémar peut être produite par Pat Prob au soutien de sa demande. Il reviendra alors à Adhémar d’apporter la preuve de l’absence de remise des fonds.

Toutefois, prouver l’absence de remise des fonds revient à rapporter la preuve d’un fait négatif ce qui est en pratique difficile voire impossible. On peut donc douter qu’Adhémar réussisse à se libérer de son obligation de remboursement par ce biais.

▪ La preuve de l’illicéité de la cause

En revanche, on sait que pour être valable, le contrat de prêt, comme tout contrat, doit reposer sur une cause licite (art. 1131 et 1133C. civ.). En présence d’un écrit, ici une reconnaissance de dette, la cause de l’engagement qui y est énoncée est présumée valable en vertu de l’article 1132. C’est donc à celui qui la conteste que revient la charge de faire tomber cette présomption en apportant la preuve contraire par tout moyen.

En l’espèce, il est précisé que le contrat de prêt a été consenti à Adhémar pour des raisons personnelles. Or, on sait que ces sommes d’argent ont été versées pour lui permettre de rembourser les dettes qu’il avait accumulées et pour continuer à jouer.

Pour fonder sa thèse, Adhémar peut arguer que l’ensemble des sommes étaient versées en espèce. Il pourra également produire des attestations prouvant qu’il était joueur et que Pat Prob ne pouvait l’ignorer. Les versements réguliers et le montant global des sommes prêtées sont également des arguments qui permettent de prouver que ces sommes ont été prêtées pour qu’il paye ses dettes et s’adonne à des jeux d’argent.

Or, la loi du 21 mai 1836 portant prohibition des loteries et celle du 12 juillet 1983 relative aux jeux de hasard posent le principe général de l'interdiction des jeux d'argent dès lors qu’ils ne sont pas exercés dans des établissements dans lesquels ils sont régulièrement autorisés.

Dans son article premier, la loi du 21 mai 1836 énonce en effet : « Les loteries de toute espèce sont prohibées ». Quant à la loi n° 83-628 du 12 juillet 1983 relative aux jeux de hasard, elle interdit « le fait de participer [...] à la tenue d'une maison de jeux de hasard » ainsi que « le fait d'établir ou de tenir [...] dans les lieux publics [...] tous jeux de hasard non autorisés par la loi dont l'enjeu est en argent ».

La cause de l’engagement d’Adhémar est donc illicite puisque le prêt a été contracté pour rembourser des dettes contractées au cours de jeux prohibés par la loi.

En principe, l’illicéité de la cause est sanctionnée par la nullité absolue et entraîne la restitution des sommes prêtées par l’emprunteur.

Toutefois, les actions tendant au paiement d’une dette contractée à l’occasion d’un jeu font l’objet un régime particulier. En effet, l’article 1965 du Code civil écarte toute action pour dette de jeu ou pour le paiement d’un pari.

Adhémar en prouvant que ces sommes lui avaient été prêtées pour rembourser des dettes de jeu peut invoquer l’exception de jeu visée à l’article précité et ainsi échapper au remboursement des dettes contactées auprès de son ami Pat Prob comme l’a confirmé la Cour de cassation dans un arrêt du 4 novembre 2011.

Références

■ Code civil

Article 1131

« L'obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet. »

Article 1132

« La convention n'est pas moins valable, quoique la cause n'en soit pas exprimée. »

Article 1133

« La cause est illicite, quand elle est prohibée par la loi, quand elle est contraire aux bonnes mœurs ou à l'ordre public. »

Article 1315

« Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.

Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation. »

Article 1965

« La loi n'accorde aucune action pour une dette du jeu ou pour le paiement d'un pari. »

Civ. 1re, 19 juin 2008, D. 2008. AJ. 1825, obs. Delpech ; RTD com. 2008. 602, note Legeais.

Civ. 1re, 4 nov. 2011, n°06-19.753.

 

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