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Le cas du mois
Droit de la responsabilité civile
La SNCF de nouveau attaquée
La chance souriait enfin à Désiré. Malgré la grève sans trêve de la SNCF, il avait réussi à obtenir une réservation pour un trajet, le 24 décembre, Paris-Nice, où il devait rejoindre sa famille pour les fêtes de Noël.
S’il craignait une annulation de dernière minute, il n’avait, de toute façon, pas d’autre choix que de prendre le train ayant, depuis toujours, peur de l’avion et depuis son accident de scooter, un bras endolori qui l’empêchait de conduire… Heureusement, sa réservation avait été maintenue, mais le jour du départ, il ne put échapper aux inconvénients annoncés: sur le quai de gare, déjà noir de monde à son arrivée ; les voyageurs ne cessaient d’affluer et se bousculaient tant il était difficile de se frayer un chemin, au point que le temps qu’il lui fallut pour monter à bord de son train lui parut durer une éternité. Et les ennuis ne faisaient que commencer. Voiture 17, place 54. C’est là qu’il aurait dû voyager… Mais le nombre de passagers présents dans le wagon l’en a, dès le départ du train, empêché. Aucune place assise, même réservée, n’était de fait disponible. Le train était bondé et Désiré, à l’instar de nombreux autres passagers, contraint de voyager debout. Collé à ses compagnons de voyage, dont il tentait en vain de se distancer, Désiré parvenait à peine à circuler. Pour s’isoler, il eut l’idée de se réfugier dans la cabine des toilettes, qui se trouvait juste derrière lui. Mais la porte peinait à s’ouvrir. Pressé par les nombreux voyageurs présents dans le wagon et bousculé par ceux d’entre eux qui, comme lui, voulaient se rendre aux toilettes, il força le bouton d’ouverture, ce qui eut pour effet d’écraser son pouce, resté coincé dans cette porte qu’il avait non sans risques réussi à débloquer. La douleur qui le saisit se diffusa ensuite dans tout le bras. Le gauche, celui jusqu’alors resté valide, malgré son dernier accident. Voilà qu’il se trouvait désormais handicapé des deux bras ! Commode pour festoyer… De toute façon, se lamentait-il, son retour à l’hôpital promettait de le priver de réveillon, d’autant plus qu’un message de la SNCF venait d’être diffusé pour informer les voyageurs que le train aurait plus d’une heure de retard. Or il était déjà 18h…
Déprimé par cette nouvelle infortune, Désiré entendit néanmoins réagir. Il fit alors une première réclamation auprès de la SNCF, qui lui répondit ne pas être en faute puisqu’un panneau d’avertissement avait été déposé sur la porte des toilettes pour indiquer que celle-ci était bloquée. Désiré trouva leur réponse culottée ! Lui qui s’était retrouvé écrasé contre cette porte, à l’intérieur de ce wagon surchargé, comment aurait-il pu voir cette pancarte ! Alors la lire… Mission impossible ! Face à cette réponse qu’il jugea particulièrement inappropriée, d’autant plus en ces temps mouvementés, Désiré se résolut à aller plus loin. Si ses souvenirs ne sont plus très sûrs, il croit tout de même se rappeler de ses cours de responsabilité civile que celle des transporteurs ferroviaires est particulièrement favorable, sur un plan indemnitaire, aux voyageurs. Il sait bien que son geste était sans doute imprudent, mais certainement pas au point qu’on puisse le lui reprocher et le priver des indemnités auxquelles il avait droit. Il prévoit donc d’assigner la SNCF en indemnisation pour manquement à son obligation de sécurité. Le 1er janvier 2020 ! Ce sera sa première résolution pour cette nouvelle année. A-t-il de bonnes raisons de s’y tenir ? A vous de répondre…
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Sélection des faits : Désiré, circulant debout dans un train bondé pour se rendre aux toilettes, force l’ouverture de sa porte, malgré l’avertissement de la SNCF indiquant que celle-ci se trouve bloquée. Ayant le pouce écrasé, il prévoit d’assigner la SNCF en responsabilité aux fins d’indemnisation.
Qualification des faits : Voyageant dans un train surchargé rendant difficiles d’accès les informations du transporteur, un passager muni d’un ticket de transport a le pouce écrasé à la suite de l’ouverture forcée d’une porte dont la fermeture avait été annoncée par voie d’affichage par le transporteur. La victime entend assigner la SNCF en sa qualité de transporteur ferroviaire aux fins de la voir contractuellement déclarée responsable de son manquement à son obligation de sécurité et d’être indemnisé de son préjudice corporel.
Problème de droit : La faute simple de la victime peut-elle exonérer le transporteur ferroviaire de son obligation contractuelle de sécurité ?
Majeure : En droit interne, selon l’article 1147 du Code civil (devenu 1231-1), le transporteur ferroviaire est tenu d’une obligation de sécurité de résultat l’obligeant à conduire le voyageur sain et sauf à la destination prévue. Partant, le simple fait de ne pas atteindre ce résultat constitue une inexécution contractuelle permettant d'engager la responsabilité du transporteur.
En principe, ce dernier ne peut s’en exonérer partiellement ; l’exonération totale reste cependant possible, s’il prouve qu’il n’a fait que subir l’action d’une cause étrangère, le fait d’un tiers ou la faute de la victime, présentant les caractères de la force majeure. Concernant les critères constitutifs de la cause exonératoire constituée par la faute de la victime, la jurisprudence, rendue au visa de l’ancien article 1147, était constante : « le transporteur ferroviaire, tenu envers les voyageurs d'une obligation de sécurité de résultat, ne peut s'exonérer de sa responsabilité contractuelle en invoquant la faute d'imprudence de la victime que si cette faute, quelle qu'en soit la gravité, présente les caractères de la force majeure » (Civ. 1re, 13 mars 2008, n° 05-12.551 ; Ch. mixte, 28 nov. 2008, n° 06-12.307).
Cependant, des dispositions d’ordre supranational sont également applicables à cette matière, notamment les articles 11 du règlement CE n° 1371/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007, et 26 de son annexe I. Aux termes du premier, « sans préjudice du droit national octroyant aux voyageurs une plus grande indemnisation pour les dommages subis, la responsabilité des entreprises ferroviaires relative aux voyageurs et à leurs bagages est régie par le règlement ». Selon le deuxième, « le transporteur est responsable du dommage résultant de la mort, des blessures ou de toute autre atteinte à l'intégrité physique ou psychique du voyageur causé par un accident en relation avec l'exploitation ferroviaire survenu pendant que le voyageur séjourne dans les véhicules ferroviaires, qu'il y entre ou qu'il en sorte et quelle que soit l'infrastructure ferroviaire utilisée. Il est déchargé de cette responsabilité dans la mesure où l'accident est dû à une faute du voyageur ».
Ces dispositions, entrées en vigueur le 3 décembre 2009, dominent par principe celles, précitées, relevant du droit interne (Const. 58, art. 55). Elles en font néanmoins également partie puisque ces textes de droit européen ont été repris à l'article L. 2151-1 du Code des transports, lequel dispose que le règlement n° 1371/2007 s'applique aux voyages et services ferroviaires pour lesquels une entreprise doit avoir obtenu une licence conformément à la directive 2012/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 établissant un espace ferroviaire unique européen.
Il en résulte que le transporteur ferroviaire peut s'exonérer de sa responsabilité envers le voyageur lorsque l'accident est dû à une faute de celui-ci, sans préjudice de l'application du droit national en ce qu'il accorde une indemnisation plus favorable des chefs de préjudices subis par la victime.
En cas d’opposition entre la loi spéciale et la loi générale, la première s’applique en priorité (specialia generalibus derogant) ; aussi bien, s’ils se trouvent l’un et l’autre applicables à une même situation, l'article L. 2151-1 du Code des transports devra primer sur l’article 1147 du Code civil (devenu 1231-1).
Enfin, par un récent revirement de jurisprudence, la Cour de cassation a jugé qu’il y avait lieu, en conséquence des dernières dispositions, de droit externe puis interne, précitées, de modifier sa jurisprudence selon laquelle seule la faute de la victime revêtant les caractères de la force majeure pouvait être exonératoire, pour reconnaître au transporteur ferroviaire la possibilité de se prévaloir d’une faute, même simple, de la victime (Civ. 1re, 11 déc. 2019, n° 18-13.840)
La détermination du montant de l’indemnisation continue cependant à relever du droit national dans le cas où celui-ci serait plus favorable à la victime : il résulte en effet du règlement précité que si le droit interne n’a pas à se substituer au régime de responsabilité instauré par la norme européenne, il peut néanmoins le compléter au stade de l’évaluation du dommage, si la méthode d’évaluation de droit interne se révèle plus favorable à la victime.
Mineure : En l’espèce, le lien contractuel existant entre la SNCF et Désiré, détenteur d’un titre de transport, n’est pas discutable. Il demande la réparation intégrale du dommage qu’il a subi à l’occasion d’un voyage qu’il effectuait dans un wagon bondé, circonstance favorable à la commission de la faute, même légère, qu’il a commise, et qui a sans doute partiellement contribué à la réalisation de son dommage : en effet, la présence de nombreux voyageurs, l’anxiété qu’elle lui a probablement causée et l’extrême difficulté de prendre connaissance du panneau d’avertissement expliquent certainement l’imprudence de son geste. Celui-ci constitue, néanmoins une faute, même simple.
En application de la jurisprudence traditionnelle et constante de la Cour de cassation, applicable antérieurement à son récent revirement, Désiré aurait eu toutes les chances d’obtenir la réparation intégrale de son dommage corporel.
Cependant, maintenant que ledit revirement a été opéré, ayant pour effet de limiter l’indemnisation de la victime qui a commis une faute, même simple, il est fort probable, quoique « la règle du précédent » n’existe pas en droit français, que la SNCF parviendra à s’exonérer partiellement de sa responsabilité en sorte que les indemnités susceptibles d’être allouées à Désiré, seront objectivement moins élevées que celles qu’il aurait pu jadis obtenir, quoique celles-ci continuent d’être déterminées dans leur montant selon les règles d’évaluation, qui demeurent inchangées, habituellement mises en œuvre par le juge interne.
Conclusion : Désiré a toutes les raisons de s’en tenir à sa résolution du nouvel an, à la condition toutefois de ne pas surestimer le montant de l’indemnisation espérée.
Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz
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