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Le cas du mois

Le choix des armes

[ 27 octobre 2020 ] Imprimer

Droit des obligations

Le choix des armes

Au début de l’été 2018, les parents d’Adhémar avaient acheté une maison de campagne, notamment pour que leur fils et leur neveu puissent, au moment de réviser leurs examens, se mettre au vert et échapper ainsi à leurs distractions parisiennes. 

Malheureusement, le couple s’est rapidement aperçu, à l’occasion des premiers travaux de rénovation qu’ils entreprirent, que cette maison était affectée de multiples défauts concernant tout à la fois l’installation électrique, la cheminée, la charpente, la dalle en béton du séjour et la pièce située en rez-de-jardin, bref, autant de désordres apparus dans presque toutes les pièces de la maison dont ils ont su, après avoir fait appel à un expert, qu’ils trouvaient leur origine dans des vices de construction d’une ampleur telle que le vendeur n’avait pu ignorer leur existence.

Furieux, les parents d’Adhémar comprennent alors le piège dans lequel ils sont tombés à l’époque : leur vendeur, qu’un récent veuvage avait placé en grande difficulté financière, leur avait sans doute sciemment dissimulé ces défauts qu’il savait rédhibitoires pour vendre son bien au plus vite. Ils avaient alors prévu de l’assigner en justice sur le fondement de la garantie des vices cachés comme leur fils, auquel ils avaient confié leur déception, le leur avait recommandé.

Également mis au courant, Désiré, manifestement mieux renseigné, les en avait toutefois dissuadés :

« L’action en garantie des vices cachés doit être engagée dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice. Du coup maintenant, pour vous, c’est trop tard ».

« Tu en es sûr ? », lui demandèrent ses oncle et tante, conscients de la fragilité des connaissances juridiques de leur neveu.

« Certain ! », leur affirma Désiré.

« Bon. Alors comment agir dans ce cas, monsieur je sais tout ? ».

« Rien de plus simple », poursuivit Désiré, désireux d’obtenir la confiance que les parents d’Adhémar hésitaient manifestement à lui accorder ;

« Vous n’avez qu’à les attaquer sur le fondement de la réticence dolosive ».

« Et en français, ça veut dire quoi ? », lui demandèrent d’un ton moqueur les parents d’Adhémar.

« C’est un vice du consentement qui consiste à retenir volontairement une information déterminante du consentement pour induire volontairement son cocontractant en erreur et le pousser ainsi à contracter, en méconnaissance de cause si je puis dire. Et là vous serez recevables à agir, car le délai prévu est plus long ».

« Eh bien, tu as l’air calé sur la question », lui dit sa tante, impressionnée par son exposé ; « Malgré tous les problèmes qu’elle continue de nous causer, cette maison aura toutefois eu du bon, elle t’aura au moins permis de travailler sérieusement ton droit ! ».

« Et moi ! », intervint soudain Adhémar, un brin vexé, « vous croyez que j’ai chômé ? J’ai travaillé avec la même assiduité, figurez-vous. La preuve, j’apporterai, si vous me le permettez, un léger correctif à la récitation de cours de mon cher cousin. Je crois bien que l’action en garantie des vices cachés est, pour ce type de problèmes, la seule action possible. D’application exclusive, voilà, l’expression me revient ».

« Pas du tout ! », lui répondit Désiré, vexé à son tour d’avoir oublié ce point.

« Euh… enfin…, pas tout le temps je crois… », tempéra-t-il aussitôt, saisi d’un doute nourri par l’assurance inhabituelle de son cousin dans son propos juridique.

« Bon, faudrait peut-être vous mettre d’accord, les apprentis juristes. Allez, avant d’entamer quoique ce soit, on vous envoie tous les deux à la campagne pour le week-end, en espérant qu’il sera le dernier, avec l’obligation de nous dire dès lundi si et comment agir. Et puis comme vous serez sur les lieux, vous nous ferez, à l’aide de vos portables dernier cri, des photos attestant de l’ampleur des dégâts. Quel que soit le fondement choisi, ça ne pourra qu’émouvoir les juges ! ».

« Oh non, pas ce week-end, on avait prévu de sortir avec les copains », leur opposèrent en chœur les cousins.

« Pas très responsable, en ce moment, ce genre de projet. Vous avez pensé au covid ? Appelez plutôt vos copains pour qu’ils vous aident, de leur côté, à bûcher. Ce sera plus utile et surtout moins dangereux », leur conseillèrent les parents.

« Ils ne voudront jamais bosser un week-end, qu’est-ce que vous croyez ! », répondirent les deux acolytes.

Faute pour eux de connaître un quelconque ami studieux, seriez-vous prêts à prêter main forte à nos deux camarades ? Déjà privés de sortie, il serait injuste de les priver aussi de votre aide…

■ ■ ■

Sélection des faits : Les parents d’Adhémar ont acquis une maison dont les multiples défauts, issus de vices de construction, entravent son habitabilité. Ces défauts leur sont apparus peu de temps après l’achat. Après avoir envisagé, dans un premier temps, d’agir contre le vendeur sur le fondement de la garantie des vices cachés, ils envisagent désormais, par crainte que l’action précédente soit prescrite, d’engager une action fondée sur le dol. Ils s’interrogent toutefois sur la possibilité d’engager cette nouvelle action en raison de l’éventuelle exclusivité d’application de celle en garantie des vices cachés.

Qualification des faits : Un couple avait acquis une maison d’habitation dont les graves et multiples défauts, issus de vices internes de construction du bien compromettant son habitabilité, leur sont apparus peu de temps après l’achat. Après avoir envisagé de solliciter, sur le terrain contractuel, la mise en œuvre de la garantie dont le vendeur est tenu à raison des vices cachés de la chose vendue, ils envisagent désormais, par crainte que cette action soit prescrite, d’engager une action en responsabilité délictuelle fondée sur la réticence dolosive du vendeur. Ils doutent toutefois de la possibilité d’engager cette nouvelle action, que l’exclusivité d’application de celle en garantie des vices cachés conduirait à exclure.

Problème de droit : L’action en garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue est-elle exclusive de l’action en responsabilité délictuelle fondée sur la réticence dolosive commise par le vendeur ?

Éléments de solution :

Concernant la garantie des vices cachés

En droit, aux termes des articles 1641 et suivants du Code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur, informé de ces défauts, ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix. Le vice caché se définit comme un vice interne à la chose, suffisamment grave pour affecter son usage habituel ; un vice structurel, de conception ou de construction, non apparent au jour de la réception de la chose vendue et antérieur à la vente, c’est-à-dire au transfert des risques de la chose, indépendamment de la date de son apparition. En somme, un vice est couvert par la garantie du vendeur lorsqu’il est inhérent à la chose, caché, antérieur à la vente et non réparé.

En l’espèce, les vices internes de construction affectant l’habitabilité de maison, que les parents d’Adhémar n’auraient pas acquise s’ils en avaient eu connaissance (ils parlent de vices « rédhibitoires »), non perceptibles au moment de la vente et antérieurs à celle-ci, répondent à ces conditions. Les désordres qu’ils ont subis s’apparent donc bien à des vices cachés.

En droit, la garantie des vices cachés due par le vendeur octroie à l’acquéreur trois actions, en application des articles 1644 et 1645 du Code civil. Alors que le second de ces textes permet une action indemnitaire, le premier confère à l’acquéreur, ayant pris livraison de la chose, un choix discrétionnaire entre l’action rédhibitoire et l’action estimatoire.

L’action rédhibitoire est une action en résolution du contrat, conduisant donc à son anéantissement rétroactif, en sorte que l’acheteur doit rendre la chose dans l’état où elle se trouvait lors de la résolution du contrat alors qu’en contrepartie, le vendeur doit restituer à l’acheteur l’intégralité du prix de vente.

L’action estimatoire est, quant à elle, une action en réduction du prix. L’acquéreur, qui conserve la chose affectée du vice caché, entend dans ce cas obtenir, du fait de ce défaut, la restitution d’une partie du prix qu’il a versé, proportionnellement à la diminution de la valeur ou de l’utilité de la chose ; le prix du contrat sert donc de boussole au juge pour définir cette proportion et déterminer en conséquent le montant à restituer à l’acheteur. Pour cette raison, l’action rédhibitoire ne saurait se confondre avec l’action indemnitaire, ainsi prévue dans un texte distinct. Cette dernière action tend à réparer les préjudices subis par l’acheteur du fait du vice caché, indépendamment de l’action, rédhibitoire ou estimatoire, engagée (Com. 19 juin 2012, n° 11-13.176) Cependant, la réparation du préjudice subi du fait du vice n’est admise, dans ce cadre, que sur le fondement du régime spécial de la garantie.

En l’espèce, malgré leur hésitation quant au choix de l’action à engager, les parents d’Adhémar semblent animés par la volonté de quitter leur maison de campagne, donc de la rendre et de la restituer au vendeur. Par ailleurs, ils n’émettent pas le souhait d’obtenir une restitution partielle du prix versé, ni même l’octroi d’une indemnité. Il est donc logique d’en déduire qu’ils entendent engager une action rédhibitoire en garantie des vices cachés.

En droit, l’action rédhibitoire en garantie des vices cachés doit être intentée dans un bref délai de deux ans à compter de la découverte du vice (C. civ., art. 1648).

En l’espèce, ce délai est comme, le relevait à juste titre Désiré, expiré depuis plusieurs mois.

Concernant le cumul des actions

En droit, se pose alors la question soulevée par Adhémar de savoir si l’action en garantie des vices cachés est exclusive de l’action en responsabilité délictuelle fondée sur le dol. Cette question méritait en effet d’être posée car la Cour de cassation a plusieurs fois affirmé l’exclusivité d’application de l’action en garantie des vices cachés, mais dans le cas où la victime du vice caché, n’ayant pas respecté le bref délai en garantie, avait fondé son action sur l’erreur commise sur la substance du contrat (Civ. 1re, 14 mai 1996, n° 94-13.921 ; Civ. 3e, 7 juin 2010, n° 98-18.966). Il est vrai que le rapprochement des deux fondements semblait naturel : un défaut que l’acheteur ignorait au moment de la vente a très pu vicier son consentement, son ignorance l’ayant déterminé à contracter, tout en rendant la chose inapte à son usage. Le choix entre les deux actions aurait en outre présenté pour l’acheteur deux intérêts : d’une part, celui de pouvoir agir dans un délai plus long (prescription quinquennale de droit commun pour l’erreur, versus délai de deux ans pour la garantie), d’autre part, celui d’obtenir une même disparition rétroactive du contrat (annulation sur le terrain de l’erreur, résolution dans le cadre de la garantie). D’ailleurs, la Cour de cassation avait un temps admis le cumul de ces actions (Civ. 1re, 28 juin 1988, n° 87-11.918; Com. 8 mai 1978, n° 76-13.575), avant d’opérer, par un premier arrêt rendu le 14 mai 1996 (préc.), un revirement. Quoiqu’il en soit, depuis lors, se dégage donc un principe de non-cumul des actions dont la justification technique résiderait dans la fameuse maxime specialia generalibus derogant, dont l’application conduit, lorsque la règle spéciale (vice caché) déroge à la règle générale (erreur), à faire prévaloir la première sur la seconde. Il s’agirait aussi, en déniant à l’acheteur insatisfait la liberté de choisir le fondement de son action, de le sanctionner pour avoir, comme dans toutes les affaires précitées, laisser expirer le bref délai de l’action en garantie des vices cachés ou du moins, de ne pas lui offrir la voie d’un « rattrapage », sur le terrain des vices du consentement qui lui permettrait de bénéficier du délai quinquennal de droit commun.

Cependant, la même rigueur n’est pas appliquée au dol, même dans l’hypothèse où l’acquéreur aurait, comme en l’espèce, laissé passer le bref délai. La Cour de cassation affirme en effet depuis longtemps que l’action pour réticence dolosive n’est pas soumise au bref délai de l’article 1648 (Civ. 3e, 29 nov. 2000, n° 98-21.224) et que l’action en garantie des vices cachés n’est pas exclusive de l’action en nullité pour dol (Civ. 1re, 6 nov. 2002, n° 00-10.192). Cette divergence de solutions avec l’erreur s’explique difficilement à l’aune de la maxime specialia… de même qu’avec la volonté implicite des magistrats de priver l’acquéreur de la possibilité d’exercer une action sur le fondement du droit commun pour contourner l’impossibilité dans laquelle il se trouve d’exercer l’action en garantie des vices cachés lorsque celle-ci est prescrite en raison de l’application du délai de deux ans. Sans doute est-ce la double nature du dol, à la fois vice du consentement et délit civil, qui justifie que l’auteur d’une faute intentionnelle ne reste pas impuni malgré l’expiration du délai. Cette justification mérite d’autant plus d’être retenue que la Cour de cassation vient de rappeler la possibilité de cumul de ces actions au visa du texte général et fondateur de la responsabilité pour faute (C. civ., art. 1240, 1382 anc.) dont elle rappelle ainsi la teneur : « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». Et d’affirmer une nouvelle fois, pour juger l’action non prescrite, que « l’action en garantie à raison des vices cachés de la chose vendue n’est pas exclusive de l’action en responsabilité délictuelle fondée sur le dol ou la réticence dolosive commis avant ou lors de la conclusion du contrat » (Civ. 3e, 23 sept. 2020, n° 19-18.104).

En l’espèce, les parents d’Adhémar pourront donc agir sur le fondement du droit commun, dont le délai de prescription n’a pas encore expiré, pour obtenir l’annulation de la vente, viciée par le silence fautif de leur vendeur. Et féliciter leur neveu, qui avait vu juste, ou réprimander leur fils, qui s’était grossièrement trompé. Là, au moins, ils auront le choix…

Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz

 

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