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Le cas du mois
Droit pénal général
Les jolies colonies de vacances
Désiré et Adhémar devaient passer un été merveilleux. Leurs parents les avaient inscrits à une colonie de vacances. La société « Route 66 », dont le siège est à Paris, Square Thomas-Jefferson, organise, pour les adolescents, des séjours touristiques itinérants aux États-Unis. Dix jours à la « conquête de l’Ouest Américain » en vans.
Désiré et Adhémar devaient passer un été merveilleux. Leurs parents les avaient inscrits à une colonie de vacances. La société « Route 66 », dont le siège est à Paris, Square Thomas-Jefferson, organise, pour les adolescents, des séjours touristiques itinérants aux États-Unis. Dix jours à la « conquête de l’Ouest Américain » en vans.
Mais le rêve californien vire vite au cauchemar. Adhémar et Désiré, après un voyage en avion de 11 heures et subissant de plein fouet le décalage horaire, découvrent une cadence de séjour infernale. Outre de très longues périodes de conduite, les hébergements ne sont pas tous réservés à l’avance. Le budget ainsi que le matériel prévus sont insuffisants au point qu’il arrive qu’une animatrice soit contrainte de dormir à même le sol à l’entrée d’une tente. Et évidemment, le matériel de communication entre les vans est inopérant. Pire, 3 jours après leur arrivée, le groupe doit improviser un bivouac sur une aire d’autoroute. Cette nuit-là, le sommeil est perturbé par l’arrosage des pelouses ! L’état de fatigue est extrême pour les jeunes comme pour les animateurs !
Le lendemain, un des vans, avec à bord six adolescents, dont Adhémar et Désiré, quitte soudainement la route avant de faire des tonneaux sur le bas-côté. L’animatrice a perdu le contrôle du véhicule. Elle s’est endormie au volant alors qu’elle roulait à 100 km/h. Deux décès (une des passagères et la conductrice-animatrice) sont à déplorer. Adhémar et Désiré ont eu plus de chance, ils s’en sortent avec seulement quelques blessures.
L’enquête révèlera que le permis de conduire de l’animatrice n’était pas valide pour conduire le van, que les animateurs ne bénéficiaient pas de la journée de repos hebdomadaire obligatoire dans les contrats d’engagement éducatif, que la directrice de la colonie avait été recrutée à la hâte quelques jours avant le départ sans pouvoir établir un projet éducatif. Elle a donc été amenée à prendre des décisions en urgence sur place sans l’assistance de la société ou de son président, Monsieur Harley. Ce dernier, alors qu’il était de permanence pour gérer les appels importants et les prises de décisions compliquées, était injoignable en raison de sa participation à un trek au Kenya et aucun des salariés de l'équipe ne disposait d'une délégation de pouvoirs.
Monsieur Harley a été renvoyé devant le tribunal correctionnel des chefs d'homicides et blessures involontaires.
Désiré et Adhémar ne sont pas d’accord. Désiré pense que le tribunal correctionnel n’est pas compétent pour juger les faits puisqu’ils ont eu lieu sur le sol américain. Adhémar soutient pour sa part que puisque les victimes sont françaises, le tribunal est valablement saisi. Qu’en pensez-vous ?
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■ Sélection des faits : Un accident de la route est survenu à l’étranger lors d’un voyage organisé par une société française. Deux victimes sont décédées et deux sont blessées. Des poursuites sont engagées pour homicides et blessures involontaires à l’encontre de l’organisateur français du voyage.
■ Qualification des faits : Dans le cadre d’un accident survenu à l’étranger ayant causé des morts et des blessés, des poursuites sont envisagées en France en application de la loi pénale française.
■ Problème de droit : Dans quelle mesure la loi pénale française est-elle applicable aux faits commis à l’étranger et fonder la compétence de la juridiction française ?
■ Majeure : Le code pénal prévoit différents titres de compétences de la loi française (territoriale, personnelle, réelle, universelle). Si a priori, les faits ayant eu lieu à l’étranger et la nationalité des victimes (françaises) semblent laisser présager une compétence personnelle passive, celle-ci est à exclure. L'article 113-7 du Code pénal dispose que « la loi pénale française est applicable à tout crime, ainsi qu'à tout délit puni d'emprisonnement, commis par un Français ou par un étranger hors du territoire de la République lorsque la victime est de nationalité française au moment de l'infraction ». Cependant L'article 113-8 précise que « la poursuite des délits ne peut être exercée qu'à la requête du ministère public. Elle doit être précédée d'une plainte de la victime ou de ses ayants droit ou d'une dénonciation officielle par l'autorité du pays où le fait a été commis ». Or en l’espèce, rien n’indique ici l’existence d’une dénonciation officielle ou d’une plainte préalable. Le verrou procédural de l'article 113-8 du code pénal empêche donc d’envisager la compétence sur ce fondement.
En revanche, la compétence territoriale peut être envisagée. L’article 113-2 alinéa 2 du Code pénal prévoit que la compétence territoriale de la loi pénale française s'étend aux infractions « réputées » commises sur le territoire français dès lors qu'un de ses faits constitutifs a eu lieu sur ce territoire.
En l’espèce, les faits sont susceptibles de recevoir la qualification de blessures et homicides involontaires : ces infractions supposent pour être établies la réunion de trois éléments : un dommage, une faute et un lien de causalité entre les deux. Par ailleurs, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 10 juillet 2000, les délits non-intentionnels procèdent de la logique suivante : le degré de gravité de la faute constitutive du délit est fonction du caractère direct ou indirect du lien causal entre cette faute et le dommage (F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, 2002, n°798-4 : « La responsabilité́ pénale d’une personne physique nécessite une gravité de la faute inversement proportionnelle à la proximité́ de ses conséquences dommageables »). En d’autres termes, si une faute simple suffit à engager la responsabilité de l’auteur direct, la responsabilité de l’auteur indirect nécessite l’établissement d’une faute qualifiée (délibérée ou caractérisée). L’article 121-3 al. 4 qualifie l’auteur indirect comme celui qui a créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'a pas pris les mesures permettant de l'éviter. La Cour d’appel de Paris en donne une définition explicite : « la causalité́ doit être regardée comme indirecte au sens de la loi nouvelle, lorsque cette faute a créé́ la situation à l’origine du dommage, sans que son auteur ait lui-même physiquement porté atteinte à la victime » (Paris 4 déc. 2000, n° 00/01322, D. 2001, IR, p.433 ; Gaz. Pal. 2001, 1, 115, note S. PETIT ; Rev. sc. crim. 2001, 381, obs. Y. MAYAUD ).
Donc il y a nécessité pour caractériser l’infraction de démontrer une faute qualifiée (délibérée ou caractérisée). L’alinéa 4 de l'article 121-3 du Code pénal précise que la faute caractérisée est une faute exposant autrui à un risque d'une particulière gravité que son auteur ne pouvait ignorer. Cette faute peut être « caractérisée » par la gravité des défaillances ou leur cumul. Et l’établissement de cette faute suppose la connaissance par l’auteur du risque.
■ Mineure : En l’espèce, la cause directe de l’accident est l'état de fatigue extrême de la conductrice résultant notamment de cadences difficiles, de très longues périodes de conduite et de l'absence de réservation de lieux de couchage. Monsieur Harley peut quant à lui être qualifié d’auteur indirect en sa qualité́ d'organisateur de séjour pour enfants. L’inorganisation en amont du voyage a contribué à créer la situation qui a permis ensuite la réalisation du dommage matérialisé́ et localisé aux États-Unis.
De tels faits ne sont constitutifs de l’infraction que si une faute caractérisée peut être établie. Or en l’espèce, ce dernier a commis un cumul de fautes commises dans l'organisation du séjour : ne pas avoir fait respecter le principe du repos hebdomadaire (gérant depuis plusieurs années de sociétés chargées d'organiser des séjours pour enfants, il ne pouvait ignorer l'existence de cette obligation légale), avoir permis le recrutement dans l’urgence d’une directrice impréparée, et ne pas avoir exigé la rédaction d'un projet pédagogique. Or ce cumul est réputé́ commis au siège de la société́, situé sur le territoire français.
■ Conclusion : Désiré et Adhémar ont tort tous les deux. Le tribunal correctionnel est compétent au titre du principe de territorialité de la loi pénale française car Monsieur Harley a commis, au siège de la société́ situé en France, une faute caractérisée, exposant autrui à un risque d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer.
Réf. : Crim. 4 avr. 2023, n° 22-81.195
Sur la décision rendue par le TC, v. M. F. Steinlé-Feuerbach, L’AFFAIRE DES « COUSINS D’AMERIQUE » : INTERROGATIONS SUR LA DEFINITION DE L’ACCIDENT COLLECTIF, JAC, n°, nov. 2019
Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz
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