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Le cas du mois
Libertés fondamentales - droits de l'homme
Liberté, Égalité, Fraternité !
Si Désiré et Adhémar s’accommodent mal du manque d’éducation de leurs amis (V. cas précédent), ils supportent encore moins l’injustice dont certains peuvent être victimes.
Quelques semaines suivant leur rentrée universitaire, ils ont fait la rencontre de trois jeunes garçons, travaillant dans un bistrot du quartier où ils se rendent quotidiennement, durant leur pause déjeuner. Ils ont très vite sympathisé avec eux et avec étonnement, appris qu’artistes originaires d’un État totalitaire, ils avaient décidé de fuir leur pays. S’ils auraient aimé poursuivre leurs carrières artistiques en France, la vie, leur nouvelle vie, en a malheureusement décidé autrement… Ainsi, quoique en situation irrégulière, ils ont, quelques mois après leur arrivée sur le territoire national, été rapidement embauchés pour œuvrer dans les cuisines de ce café sans autre intérêt que la faiblesse des prix pratiqués, semblable à celle, leur ont dit leurs nouveaux amis, des salaires octroyés… De toute façon, les garçons viennent d’être sèchement licenciés faute, leur a-t-on dit, de clientèle. « Une honte ! », s’insurgent Désiré et Adhémar, « le bistrot est sans cesse rempli ! ». Leur colère retombée, ils se demandent maintenant, sérieusement, de quelle façon ils pourraient venir en aide à leurs nouveaux amis, ayant perdu non seulement leur emploi mais aussi l’hébergement qui leur était offert, comme c’est souvent le cas dans la restauration, par leur ancien patron. N’ayant rien perdu de leur générosité légendaire, que même leurs plus récents déboires n’ont pas réussi à tarir, nos deux comparses ont dans un premier temps décider de leur donner un peu d’argent et quelques vivres, mais cette solution ne pouvait être que temporaire, Désiré et Adhémar étant eux-mêmes souvent démunis … Alors une autre idée, qu’ils jugèrent meilleure et plus efficace, leur est venue à l’esprit ! En attendant que leurs amis retrouvent un nouvel emploi, pourquoi pas, sur le modèle très en vogue des spectacles de rue qui se multiplient dans le quartier, organiser dans ce cadre quelques représentations pour mettre en scène ces artistes de formation ? Désiré s’occuperait de trouver le lieu, ce qui ne devrait pas être trop compliqué, quelques groupes de jeunes se produisant déjà régulièrement sur une place abritée par un jardin proche de l’université, et Adhémar, qui a plus la fibre artistique, s’occuperait de la scénographie. Ils en ont très vite parlé à leurs amis, qui sont évidemment d’accord ! Ils fourmillent déjà d’idées, mais le temps que tout cela se mette effectivement en place, ils prévoient pour l’instant de ne se produire que dans un mois, et seulement le week-end. Une autre bonne idée puisque les passants sont ces jours-là toujours plus nombreux qu’en semaine, ce qui augmente les chances de ce trio désargenté d’obtenir quelques deniers, que Désiré et Adhémar se chargeraient de collecter.
Surtout, Désiré et Adhémar, qui ne font jamais rien à moitié, nourrissent d’autres ambitions pour leurs amis. Plus hautes. Ils aimeraient, gratuitement bien sûr, leur donner des cours de français, que leurs amis parlent encore de manière approximative, et ce dans le but d’engager avec eux une procédure de régularisation. Leurs amis sont pour l’instant quelque peu rétifs au projet. « Trop long, trop compliqué.. ». Mais nos deux comparses leur ont promis qu’ils les accompagneraient dans leur démarche et leur donneraient tous les conseils juridiques et administratifs nécessaires.
Fougueux, altruistes, généreux, Désiré et Adhémar sont aussi des anxieux. Ainsi, et c’est bien normal, commencent-ils à s’interroger sur les risques éventuels que tous ces projets leur feraient encourir, d’autant plus qu’ayant bien retenu leur dernière leçon, le droit ne se mélange pas aux autres systèmes, bienséance, morale ou religion… A peine en supporte-t-il le voisinage. ! Alors la fraternité ?
Que pouvez-vous leur répondre ?
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Après avoir temporairement aidé des amis artistes étrangers, Désiré et Adhémar prévoient de monter avec eux un spectacle, de leur donner bénévolement des cours de français et d’entreprendre les démarches nécessaires à leur régularisation.
Des amis viennent en aide à des étrangers en situation irrégulière en leur fournissant des éléments de subsistance et en leur offrant leurs services pour qu’ils trouvent un travail, perfectionnent leur français et obtiennent, grâce à leurs conseils, leur régularisation.
Existe-t-il des limites à la liberté d’aider un étranger en situation irrégulière ?
Selon l’article L. 622-1, alinéa 1er du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), le fait d’aider directement ou indirectement un étranger à entrer, circuler ou séjourner irrégulièrement en France est un délit puni de cinq ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. Cependant, cette interdiction n’est pas absolue. Sa principale dérogation est contenue à l’article L. 622-4, 3°. Cette disposition était, jusqu’à une période récente, étroitement entendue : d’une part, l’immunité prévue ne bénéficiait qu’à celui qui prêtait son concours pour aider au séjour irrégulier de l’étranger, sans s’étendre à celui qui agissait en sorte de faciliter son entrée et sa circulation sur le territoire national ; d’autre part, aucune immunité ne pouvait être demandée en cas d’aide au séjour irrégulier même lorsque l’acte en cause était accompli à des fins purement humanitaires, sans contrepartie financière.
Cependant, à l’occasion d’une QPC portant sur le délit d’aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irrégulier, le Conseil constitutionnel a conféré une valeur constitutionnelle au principe dit de fraternité, induit du préambule de la Constitution et des articles 2 alinéa 4 et 72-3 alinéa 1er de la Constitution. Ainsi a-t-il affirmé qu’« il découle du principe de fraternité la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national ». Cette affirmation de principe a toutefois été assortie de la réserve classique issue de l’ordre public, d’égale valeur constitutionnelle, et qui doit être, à ce titre, aux termes de la méthode dite de la « balance des intérêts », concilié avec le principe de fraternité à l’effet d’obtenir un équilibre satisfaisant entre ces deux impératifs constitutionnellement garantis.
En conséquence de cette décision, le Conseil a censuré la disposition réprimant toute aide apportée à la circulation de l’étranger en situation irrégulière (CESEDA, art. L. 622-4), étendant ainsi le champ de l’immunité pénale, tel qu’il était délimité par la loi. Il est allé encore plus en s’affranchissant des dispositions de l’article L. 622-4 qui « ne sauraient, sans méconnaître le principe de fraternité, être interprétées autrement que comme s’appliquant en outre à tout autre acte d’aide apportée dans un but humanitaire ». Autrement dit, tous les actes d’aides apportés à des fins humanitaires doivent bénéficier de l’immunité pénale.
Conformément à sa décision, les mots « au séjour irrégulier » figurant au premier alinéa de l’article L. 622-4 du CESEDA en ce qu’ils excluent les actions humanitaires et désintéressées, ont ainsi été considérés comme contraires à la Constitution et afin de faire cesser l’inconstitutionnalité constatée, la loi asile et immigration (L. n° 2018-778 du 10 sept. 2018, art. 38) a expressément étendu le champ de l’exemption pénale prévue au 3° de ce texte aux actes tendant à faciliter ou à tenter de faciliter, hormis l’entrée sur le territoire, la circulation constituant l’accessoire du séjour d’un étranger en situation irrégulière en France lorsque ces actes sont réalisés dans un but humanitaire.
Dans cette configuration, le cas de Désiré et d’Adhémar ne paraît pas bien risqué. Tant les actes qu’ils ont déjà accomplis (donner de l’argent et de la nourriture) que les projets qu’ils nourrissent répondent à une finalité qui peut être qualifiée d’humanitaire », bien que cette notion ne soit pas exactement définie et que la motivation de leurs actions soit également amicale ; le but est d’éviter que leurs amis se retrouvent sans le sou et à la rue, sans pouvoir bénéficier, en leur qualité d’étrangers en situation irrégulière, d’aucune aide financière de l’État. De surcroît, aucune contrepartie financière n’a à aucun moment, et pour quelque service que ce soit, été prévue, la relation des faits ne semblant pas indiquer qu’ils aient à un moment ou un autre entendu monnayer leurs services. Enfin, l’activité de conseils juridiques dont ils souhaitent faire bénéficier leurs amis pour qu’ils obtiennent leur régularisation bénéficie, rappelons-le, d’une exemption pénale indépendante de la finalité poursuivie, outre le fait que cette démarche soutient l’objectif, rappelé par le Conseil constitutionnel dans la décision précitée, de lutte contre l’immigration irrégulière.
Le seul risque serait le trouble que les manifestations de rue seraient susceptible de causer à l’ordre public. La première application du principe de fraternité conduit à juger, en l’espèce, ce risque mineur. Rendu à la suite d’une demande de suspension d’un arrêté municipal « anti-mendicité », un juge des référés avait, pour rejeter cette demande, jugé l’atteinte ainsi portée à la liberté d’aider autrui, en l’occurrence des mendiants, justement proportionnée à la préservation nécessaire de l’ordre public dans les circonstances suivantes : des mendiants étaient présents dans les lieux les plus passants du centre-ville, dont l’étendue était en outre relativement étroite, et bon nombre d’entre eux s’étaient montrés particulièrement agressifs au point que de multiples mains-courantes avaient été déposées. Logiquement, les juges avaient considéré que l’atteinte à la sécurité et à la tranquillité publiques étaient directement et effectivement menacées.
En l’espèce, les amis de Désiré et d’Adhémar ne prévoient pas de mendier mais de recevoir un petit pécule en contrepartie de quelques représentations, de rue certes, mais celles-ci auraient lieu le week-end uniquement, dans un lieu plutôt occulte et situé dans un quartier universitaire, donc fréquenté majoritairement en semaine. Malgré le bruit et l’éventuelle agitation inhérents à tout spectacle, aucun débordement particulier n’est particulièrement à prévoir. Il est donc peu probable que l’ordre public soit, par la réalisation de ce projet, mis en péril.
Références
■ Cons. const. 6 juillet 2018, M. Cédric H et autre, n° 2018-717/718 QPC : Dalloz Actu Étudiant, 1er oct. 2018, note C. de Gaudemont ; AJDA 2018. 1781, note J. Roux ; ibid. 1786, note V. Tchen
■ TA Besançon, 28 août 2018, n° 1801454 : AJDA 2018. 1640.
Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz
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