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Le cas du mois

Ma petite entreprise...connaît bien la crise !

[ 5 décembre 2017 ] Imprimer

Droit des obligations

Ma petite entreprise...connaît bien la crise !

Désiré et Adhémar avaient des envies d’entreprendre ! Et de générer du profit à leur profit ! 

Dans cette perspective, ils firent appel, il y a déjà plusieurs mois, à un notaire réputé pour créer une société d’attribution et conclure un bail à construction avec une société civile immobilière, pour une durée de vingt-cinq ans, en vue de l'édification par cette dernière, sur plusieurs parcelles de terre, de vingt maisons individuelles à usage d'habitation ; et il était surtout prévu qu'au terme du bail, les constructions deviendraient la propriété de Désiré et d’Adhémar, sans indemnité au profit de la société preneuse. Cependant, les résultats de leur opération immobilière se sont rapidement révélés décevants et l’échec de leur entreprise, désormais, se confirme. Ils regrettent aujourd’hui amèrement d’avoir monté ce projet de construction d’immeubles dont la rentabilité escomptée est loin d’avoir atteint leurs espérances. Ils aimeraient donc faire annuler cette opération mais se demandent sur quel(s) fondement(s), éventuellement, agir. Eux savent avoir commis une erreur sur la rentabilité et la viabilité économique de cette opération mais doutent que celle-ci, qui ne relève pas, selon ce qu’ils ont entendu dire, d’une qualification juridique précise, leur permette d’obtenir l’anéantissement du contrat qu’ils ont conclu. Ils aimeraient donc avoir votre éclairage sur cette question pour estimer leur chance de succès s’ils engageaient une action en annulation du contrat. 

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Une société achète un ensemble immobilier et compte faire du profit en le louant, mais n’en fait pas. Les gérants de cette société voudraient invoquer une erreur sur la rentabilité économique pour obtenir l’annulation de leur contrat de bail.

Une erreur sur la rentabilité économique d’une opération immobilière peut-elle être sanctionnée par la nullité du contrat ?

Pour emporter la nullité du contrat, l’erreur doit porter, dans le cas d’un contrat intuitu personae, sur la personne du contractant, et de façon bien plus générale, sur la substance de la chose. L’erreur sur la substance s’entend non seulement de celle qui porte sur la matière même dont la chose est composée mais aussi plus généralement, de celle qui a trait à une qualité considérée comme substantielle par la victime de l’erreur, en considération de laquelle celle-ci a contracté. Aussi, un certain nombre d’erreurs, bien que l’on reconnaisse qu’elles aient été effectivement commises, ne sont pas susceptibles d’emporter la nullité du contrat. Par souci de préserver un minimum de sécurité contractuelle, certaines erreurs sont jugées indifférentes, en sorte que même si la victime de l’erreur parvient à prouver celle-ci, elle ne pourra en aucun cas obtenir l’annulation du contrat qu’elle a conclu. C’est notamment le cas de l’erreur sur la valeur, c’est-à-dire sur ce que vaut la prestation contractuelle ou la chose formant l’objet du contrat. C’est le prix que d’autres personnes pour le même type de choses ou de prestations seraient prêtes à payer. La valeur ne peut pas être une qualité substantielle en droit commun des contrats dans la mesure où l’inverse reviendrait à exiger que tous les contrats soient objectivement équilibrés, ce qui est contraire à notre tradition libérale. Ce serait aussi engorger les tribunaux avec de surcroît, un pouvoir immense donné au juge, celui de déterminer ce qu’est la valeur d’une chose, étant donné que la valeur objective d’une chose est impossible à déterminer. Donc l’erreur sur la valeur n’est pas une cause de nullité autonome. En revanche, si l’erreur sur la valeur découle d’une erreur sur la substance, alors elle pourra être sanctionnée par la nullité. Également indifférente, l’erreur sur les mobiles, entendue comme l’erreur commise sur un objectif propre à sa victime mais resté étranger au champ contractuel car inconnu de son cocontractant.

Concernant l’erreur sur la rentabilité économique du contrat, la jurisprudence fait le départ entre deux configurations, celle où la rentabilité économique constitue, au vu de l’économie du contrat, la finalité directe de la prestation contractuelle ou de l’usage de la chose et celle dans laquelle il ne ressort pas de la nature même de la chose ou de l’opération contractuelle qu’elle est essentiellement destinée à produire de l’argent. Logiquement, l’erreur ne peut être vue comme une erreur substantielle sanctionnée par la nullité du contrat que dans la première hypothèse. Dans la seconde, le fait qu’un contractant invoque un défaut ou une insuffisance de rentabilité ne peut être qu’indifférent puisque l’errans met en cause un dessein particulier qu’il a conféré au bien -dégager des bénéfices -, en sorte qu’il invoque avoir commis une erreur, personnelle donc de surcroît étrangère au champ contractuel, à la fois sur la valeur et sur les motifs de son engagement. Ainsi, dans un arrêt du 31 mars 2005 (n° 03-20-096), la chambre commerciale a jugé que l’achat d’un ensemble immobilier motivé par le seul potentiel locatif du bien et sur lequel le contractant s’est trompé constitue une erreur sur la valeur, par conséquent insusceptible d’être sanctionnée par la nullité du contrat : « l’appréciation erronée de la rentabilité économique de l’opération n’était pas constitutive d’une erreur sur la substance de nature à vicier le consentement de la SCI à qui il appartenait d’apprécier la valeur éco et les obligations qu’elle souscrivait ».

En revanche, dans un arrêt du 4 octobre 2011 (n° 10-20.956), la même chambre a consacré le principe d’une erreur substantielle sur la rentabilité de l’activité entreprise (contrat de franchise), à partir des comptes d’exploitation prévisionnels qu’avait établis le franchiseur et en soulignant que ce potentiel de rentabilité n’était pas illusoire dès le début en s’appuyant sur deux indices : d’une part , l’amplitude considérable de l’écart entre les chiffres annoncés et les chiffres obtenus et d’autre part, la rapidité de la mise en liquidation judiciaire du franchisé.

Ainsi, lorsqu’il ressort clairement de la nature intrinsèque de l’opération contractuelle que son utilité se concentre exclusivement ou principalement dans sa productivité économique, l’analyse doit différer. Cette fois, la rentabilité a pénétré le champ contractuel, et ce qui n’était qu’un motif devient qualité substantielle et dans ce cas, il ressort de toute évidence de l’économie du contrat que ce contrat n’est, du moins pour l’une des parties, qu’un instrument destiné à dégager des profits, en sorte que la qualification d’erreur sur la valeur est inopportune ; en effet, une chose qui sert essentiellement à produire de l’argent est nécessairement touchée dans sa substance si elle est atteinte dans cette fonction. Ainsi en est-il de la vente d’un fonds de commerce ou de la cession d’un office ministériel : pour ces meubles corporels, la productivité, c’est-à-dire la clientèle, constitue l’essentiel contractuel et il est difficile de ne pas qualifier l’erreur commise sur celle-ci d’erreur sur la substance. Dans ce cas, l’erreur sur la rentabilité économique n’est pas une erreur sur la valeur mais sur la substance.

En l’espèce, la rentabilité économique (créer des profits) ne paraît pas pouvoir constituer, selon l’économie du contrat, la finalité directe de l’opération contractuelle, en sorte que l’erreur commise pourrait difficilement être considérée comme une erreur substantielle. De surcroît, la jurisprudence a déjà jugé, dans une configuration voisine à celle-ci, que l’erreur commise devait être vue comme une erreur sur la valeur, insusceptible d’emporter l’annulation du contrat (Com. 31 mars 2005, n° 03-20-096).

En conclusion, Désiré et Adhémar ont peu de chances de voir leur action en annulation prospérer. Il conviendrait donc, vu leurs faibles chances de succès, de les dissuader d’agir en justice.

Références

Com. 31 mars 2005, n° 03-20-096 P: D. 2006. 2082, note C. Boulogne-Yang-Ting.

Com. 4 oct. 2011, n° 10-20.956 : D. 2011. 3052, note N. Dissaux ; ibid. 2012. 459, obs. S. Amrani-Mekki et M. Mekki ; ibid. 577, obs. D. Ferrier.

 

Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz

 

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