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Le cas du mois
Droit des sociétés
Monter sa propre affaire, quelle affaire !
Alors que l’été s’annonce très chaud, notre joyeuse bande souhaite acquérir un restaurant pour se lancer dans le commerce et profiter de la saison touristique, qui s’annonce excellente. Après avoir demandé à leurs proches, Adhémar Tichaud, Désiré Moulade et Maria Doppi (toujours mariée avec Louis, v. le cas du mois précédent), réussissent à convaincre trois amis de rentrer dans « l’affaire ».
Ils jettent leur dévolu sur l’hôtel-restaurant « Le Napoléon », situé à Ajaccio, près de la plage et proche du centre-ville. Leur association prend la forme d’une société anonyme au capital de 225 000 euros, divisé en 22 500 actions de 10 euros réparties de la manière suivante :
Adhémar TICHAUD……………………………………………………………….. 1 500 actions
Désiré MOULADE…………………………………………………………………. 1 400 actions
Louis DOPPI………………………………………………………………….. 4 000 actions
Maria DOPPI………………………………………………………………... 3 600 actions
Léo ZÉNITH………………………………………………………………... 2 400 actions
Marina PEURDERIEN ………………………………………………………………. 7 600 actions
Reggina OLIVIERA……………………………………………………………………… 2 000 actions
La société a pour objet social : l’exploitation de l’Hôtel-restaurant « Le Napoléon ».
Alors que le projet débute à peine, Léo Zénith, qui voit grand, veut développer une activité de thalassothérapie.
Il envisage d’acquérir, par le biais de la société, un droit au bail portant sur un imposant local commercial (1 200 m²) situé juste à côté du restaurant et actuellement mis en vente à un prix assez élevé. Il s’est d’ailleurs déjà adressé aux banquiers qui ont d’ores et déjà donné leur accord pour le financement, mais sollicitent, tout comme le notaire rédacteur de l’acte d’acquisition, une délibération collective des actionnaires autorisant l’achat et modifiant l’objet social pour l’étendre à l’activité de thalassothérapie.
Tous les actionnaires sont favorables à ce projet sauf Reggina Oliviera ainsi que Maria et Louis Doppi, qui ne souhaitent pas que la société prenne ce risque.
L’opposition des époux Doppi et de Reggina Oliviera peut-elle faire échouer le projet ?
Adhémar Tichaud, dirigeant de la société, réussit malgré tout à conserver des liens d’amitié avec les époux Doppi. Cependant, il est très vite lassé des fréquentes oppositions, à son sens injustifiées, de Reggina Oliviera, actionnaire minoritaire. Adhémar souhaite que la société puisse l’exclure pour juste motif.
Qu’en pensez-vous ?
Le conseil d’administration de la société est composé de 3 personnes : Messieurs Adhémar Tichaud, Léo Zénith et Marina Peurderien. Adhémar Tichaud est le PDG de la société. Léo Zénith est titulaire d’un contrat de travail de cuisinier.
Adhémar Tichaud voudrait faire entrer son cousin Désiré Moulade au conseil d’administration.
Sachant que Désiré est titulaire d’un contrat de travail en qualité de sommelier au sein de la société, pensez-vous que cette nomination puisse poser problème ?
1. Les votes des époux DOPPI et de Reggina Oliviera bloquent ils le projet d’acquisition du droit au bail et de modification de l’objet social ?
Les époux Doppi et Regina Oliviera détiennent 33,7 %, soit une minorité de blocage pour les décisions devant être prises en assemblée générale extraordinaire. En conséquence, ils peuvent bloquer la modification de l’objet social, les décisions devant être adoptées à la majorité des 2/3. En revanche, ils ne peuvent pas empêcher l’acquisition du droit au bail qui relève de la compétence de l’assemblée générale ordinaire où les décisions se prennent à la majorité simple.
2. Est-il possible d’exclure Reggina Oliviera ?
Le principe est que l’actionnaire jouit du droit fondamental de rester dans la société. Autrement dit, il ne peut pas être exclu de la société contre son gré (par les dirigeants ou par une décision de l’assemblée générale).
Mais il existe des tempéraments à cette règle. Ainsi, il n’est pas interdit d’insérer dans les statuts une clause autorisant l’exclusion d’un associé. Tantôt c’est la loi qui autorise une telle solution. Il en est ainsi pour les sociétés par actions simplifiée (SAS, v. l’art. L. 227-17 C. com.) et les sociétés d’exercice libéral (SEL). Tantôt c’est la jurisprudence qui a admis expressément la validité de principe de ces stipulations (Com. 8 mars 2005). Cet arrêt concernait une SNC, mais sa portée est telle que la solution est transposable à toutes les autres formes de société.
Des conditions sont cependant à respecter :
■ Le motif de l’exclusion doit être déterminé, même s’il est libre. Il suffit qu’il respecte l’ordre public et ne heurte pas l’intérêt social (exemple : perte de la qualité d’associé en cas de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire de celui-ci) ;
■ L’exclusion doit en outre s’accompagner d’une juste indemnisation de l’associé exclu (lui est due par la société la valeur actuelle de ses droits sociaux) ;
■ Enfin, s’agissant du respect des droits de la défense, c'est-à-dire l’information de l’exclu et mise en mesure de ce dernier de présenter ses observations), certaines décisions antérieures l’ont imposé à propos d’un GIE (Com. 7 juill. 1992) ou d’une association (Civ. 1re, 19 mars 2002) ; pour ce qui est des sociétés, selon une partie de la doctrine (Caussain, Deboissy et Wicker), cela doit être fonction des circonstances fondant l’exclusion :
— si l’exclusion est fondée sur une faute de l’associé, ce qui était le cas dans les arrêts précités, l’appréciation du comportement de l’associé rend nécessaire l’établissement d’un dialogue contradictoire ;
— en revanche, si l’exclusion repose sur une circonstance purement objective (tel que le redressement judiciaire de l’associé), rien ne semble imposer que l’exclu soit informé et mis en mesure de présenter ses observations.
Pour terminer, il convient de souligner que la prudence impose aux statuts de déterminer les conditions du rachat des titres de l’actionnaire : organe compétent, procédure à suivre, fixation de l’indemnité, respect des droits de la défense, conditions déterminées de manière objective, ne comportant aucun risque d’exclusion arbitraire.
En l’espèce, le cas pratique n’indique pas que les statuts prévoyaient une clause d’exclusion. Une telle stipulation pourrait ce faisant y être insérée en cours de vie sociale, à condition toutefois d’une part, de respecter les prévisions ci-dessus évoquées et, d’autre part, de le décider à l’unanimité (ce qui est moins évident).
3. Désiré Moulade peut-il intégrer le conseil d’administration de la SA ?
Le problème ici est de savoir s’il est possible de désigner un salarié administrateur au sein d’un conseil de trois administrateurs dont l’un est déjà salarié.
Il convient de rappeler que l’existence d’un cumul de la fonction d’administrateur avec celle d’un contrat de travail entre en conflit avec deux types de considérations :
■ d’abord la difficulté de concilier l’indépendance qui doit caractériser l’administrateur dans l’exercice de sa fonction avec l’état de subordination dans lequel se trouve le salarié ;
- ensuite, le fait que l’administrateur titulaire d’un contrat de travail risque d’entraver la mise en jeu du principe de révocabilité ad nutum des administrateurs ; la conclusion d’un contrat de travail peut en effet être un moyen de faire échec à ce principe.
C’est pourquoi la loi réglemente les conditions du cumul (art. L. 225-22 C. com.) :
■ l’administrateur en fonction ne peut jamais conclure un contrat de travail avec la société ;
■ un salarié de la société ne peut devenir administrateur de la société qu’à deux conditions :
— d’une part que le contrat de travail corresponde bien à un emploi effectif (lien de subordination) et distinct de sa fonction d’administrateur ;
— d’autre part, que le nombre des administrateurs titulaires d’un contrat de travail ne dépasse pas le tiers des administrateurs en fonction.
En conséquence, ici, la nomination du cousin d’Adhémar au poste d’administrateur n’est pas possible, le problème ne résidant pas dans l’ordre d’entrée en fonction, mais dans la règle du tiers.
Il convient de se demander s’il y aurait une possibilité pour contourner l’interdiction ?
La première solution pourrait être de rajouter deux autres administrateurs, mais en pratique, cela n’est pas simple.
La seconde solution pourrait résider dans la scission de la fonction de PDG en deux : placer Désiré, qui démissionnera de ses fonctions salariales, tout en restant sommelier, aux fonctions de président (donc administrateur, mais fonction plus honorifique que réelle car n’a plus le pouvoir d’agir au nom de la société) et, le jour même, nommer Adhémar (qui est le véritable maître de l’affaire) directeur général, qui reste administrateur ou non (moins précaire que le président).
Ainsi, Désiré entre dans le conseil d’administration, mais n’est plus dans le calcul du tiers, tout en conservant une situation assimilée à celle d’un salarié (rémunération du président bénéficiant d’avantages fiscaux, abattement et déduction et soumission au régime de sécurité sociale des salariés). Quant à Adhémar, il resterait dans ces conditions à la tête de la société.
Références
Article L. 225-22
« Un salarié de la société ne peut être nommé administrateur que si son contrat de travail correspond à un emploi effectif. Il ne perd pas le bénéfice de ce contrat de travail. Toute nomination intervenue en violation des dispositions du présent alinéa est nulle. Cette nullité n'entraîne pas celle des délibérations auxquelles a pris part l'administrateur irrégulièrement nommé.
Le nombre des administrateurs liés à la société par un contrat de travail ne peut dépasser le tiers des administrateurs en fonction.
Toutefois, les administrateurs élus par les salariés, les administrateurs représentant les salariés actionnaires ou le fonds commun de placement d'entreprise en application de l'article L. 225-23 et, dans les sociétés anonymes à participation ouvrière, les représentants de la société coopérative de main-d’œuvre ne sont pas comptés pour la détermination du nombre des administrateurs liés à la société par un contrat de travail mentionné à l'alinéa précédent.
En cas de fusion ou de scission, le contrat de travail peut avoir été conclu avec l'une des sociétés fusionnées ou avec la société scindée. »
« I. - Les décisions prévues au deuxième alinéa de l'article L. 237-25 sont prises :
1° A la majorité des associés en capital, dans les sociétés en nom collectif, en commandite simple et à responsabilité limitée ;
2° Dans les conditions de quorum et de majorité des assemblées ordinaires, dans les sociétés par actions ;
3° Sauf clause contraire, à l'unanimité des associés, dans les sociétés par actions simplifiée.
II. - Si la majorité requise ne peut être réunie, il est statué, par décision de justice, à la demande du liquidateur ou de tout intéressé.
III. - Lorsque la délibération entraîne modification des statuts, elle est prise dans les conditions prescrites à cet effet, pour chaque forme de société.
IV. - Les associés liquidateurs peuvent prendre part au vote. »
« Réunion périodique de tous les membres d’une association ou d’une société (civile ou commerciale) pour approuver la gestion et prendre les décisions les plus importantes.
Outre les assemblées ordinaires, sont tenues des assemblées extraordinaires pour la modification des statuts.
L’assemblée statue à l’unanimité (dans les sociétés de personnes), sauf clause statutaire contraire ; à titre exceptionnel dans les sociétés de capitaux), à la majorité simple (assemblée ordinaire) ou qualifiée (assemblée extraordinaire). »
« Activités qu’une société se propose d’exercer. L’objet social est défini par ses statuts. »
« Acte constitutif d’une société ou d’une association rédigé par écrit comportant un certain nombre de mentions obligatoires qui posent les objectifs ainsi que les règles de fonctionnement de la société ou de l’association. »
Sources : Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010.
■ Com. 8 mars 2005, Bull. civ. IV, n° 47 ; D. 2005. 839 obs. Lienhard.
■ Com. 7 juill. 1992, Bull. civ. IV, n° 265 ; Rev. soc. 1993. 109, note Alfandari.
■ Civ. 1re, 19 mars 2002, Bull. civ. n° 95 ; RTD civ. 2002. 534 obs. Gautier.
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