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Le cas du mois
Droit de la responsabilité civile
Noyade en eau douce
Désiré n’en revient toujours pas. En ce doux mois de mai, alors qu’il profitait agréablement du retour du printemps dans la résidence secondaire de ses parents, un drame survint.
Après avoir échappé à la surveillance de ses parents, qui ne sont autres que leurs voisins, un enfant de deux ans s’est noyé dans la piscine familiale, située sur le terrain jouxtant la maison. Considérant que cet accident est advenu par leur faute, les parents de la jeune victime ont prévu d’assigner leurs voisins en justice pour homicide involontaire ; ils entendent également se constituer parties civiles pour être indemnisés de leur préjudice. Ils jugent en effet les parents de Désiré responsables du décès de leur fils, dont la noyade aurait pu, selon eux, être évitée s’ils avaient installé un dispositif de surveillance ainsi qu’une bâche rigide de protection pour recouvrir leur piscine et en empêcher ainsi l’accès chaque fois qu’ils s’en tiennent éloignés. Immédiatement après les faits, Désiré a prévenu son cousin Adhémar, resté à Paris durant ce week-end, qui se sera révélé fatal, de la Pentecôte. Une fois arrivé sur les lieux, ce dernier s’insurge : « J’étais certain qu’un problème finirait par arriver ! Je ne compte plus les fois où je vous ai mis en garde. Déjà que votre terrain n’est pas clôturé, vous auriez au moins pu acheter une vraie couverture de protection, et pas cette simple bâche que n’importe qui peut soulever. Enfin, vous êtes complètement irresponsables ! Moi-même je me sens fautif. D’avoir péché par optimisme. Je craignais seulement que des inconnus viennent se baigner à votre insu, pas qu’un petit y laisserait la vie. Mais vous, vous avez péché par imprudence ». « Mais comment voulais-tu qu’on puisse imaginer qu’un enfant aussi jeune puisse pénétrer sur le terrain, se jeter dans la piscine et y perdre la vie ? On est déjà suffisamment rongé par la culpabilité, pas la peine d’en rajouter ! C’est facile de refaire l’histoire après qu’elle s’est produite. On n’aurait jamais pu envisager qu’un drame de cette nature se produise. C’était complètement imprévisible ! », lui rétorquent ses oncle et tante. Après s’être tu un long moment, Désiré prend la parole pour s’adresser à sa mère : « Mais enfin, maman, toi qui es justement une maman, tu sais bien que dans le voisinage résident bon nombre de familles avec enfants, dont la plupart sont aussi jeunes que la victime. Et tu es bien placée pour savoir que les parents ne peuvent pas constamment surveiller leurs enfants et les empêcher de faire des bêtises. Adhémar a raison : on a pris un risque inconsidéré. Et je ne suis pas d’accord avec toi : cet accident était parfaitement prévisible ».
Privés du soutien de leur fils comme de leur neveu, les parents de Désiré, complètement désarmés, en appellent à vous pour préparer leur défense. Dans l’attente d’un avocat qu’ils souhaitent chevronné, leur cause leur semblant perdue d’avance, ils souhaiteraient savoir dans quelle mesure leur responsabilité est susceptible d’être engagée.
NB : seule leur responsabilité civile doit être envisagée.
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■ Sélection des faits : Après avoir échappé à la surveillance de ses parents, un très jeune enfant meurt noyé après avoir chuté dans la piscine appartenant aux parents de Désiré. Située sur un terrain non clos et non surveillé, cette piscine n’était, en outre, recouverte que d’une simple bâche, insuffisante pour en empêcher l’accès. Les parents portent alors plainte contre les propriétaires et leur réclament une indemnisation pour faute d’imprudence.
■ Qualification des faits : Un enfant échappe à la surveillance de ses parents. Après avoir librement accédé à la maison avec piscine de ses voisins, il chute et meurt noyé dans cette piscine. Les parents de la victime décédée entendent engager la responsabilité pour faute des propriétaires de la piscine, considérant que ces derniers ont commis une faute d’imprudence en disposant sur cette piscine une simple bâche, qui n’offrait pas toutes les garanties de sécurité contre le risque de noyade, accru par l’absence d’installation d’un dispositif de surveillance.
■ Problème de droit : La responsabilité civile du propriétaire d'une piscine privée peut-elle être engagée en cas de noyade et le cas échéant, à quelles conditions ?
■ Majeure : < Le principe général de responsabilité du fait personnel trouve son fondement dans l'article 1240 du Code civil (qui reprend à l'identique l'article 1382 ancien), qui dispose que « tout fait quelconque qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». L’engagement de la responsabilité du fait personnel suppose de réunir trois conditions cumulatives : un fait générateur fautif ; un dommage réparable ; un lien de causalité entre ce fait fautif et le dommage subi.
< La faute désigne l'attitude d'une personne qui, par négligence, imprudence ou malveillance, manque à son devoir de ne causer aucun dommage à autrui.
En l’absence d’élément subjectif, la faute est désormais constituée par un seul élément objectif, tenant à l'illicéité de l'acte, généralement appréciée in abstracto.
< Contrairement à la responsabilité contractuelle, la responsabilité délictuelle est insensible à la gravité de la faute. En effet, de même qu'une faute légère peut causer un grave préjudice, une faute grave pourra n'en provoquer qu'un léger. Or, la responsabilité délictuelle, qui a pour fonction de réparer, est à la mesure du dommage, non de la faute. Dans le même ordre d’idées, il est admis qu'une faute peut être constituée non seulement par action (dommage causé par un acte positif), mais également par omission, la faute n'étant pas douteuse lorsque l'omission est dictée par l'intention de nuire, voire par abstention, la faute étant constituée dès lors qu'il est acquis que celui qui s’est abstenu pouvait raisonnablement prévoir et éviter le dommage.
■ Mineure : En l’espèce, il est reproché aux propriétaires de la piscine une faute d’abstention, tenant au fait de ne pas avoir installé un équipement de protection de la piscine suffisamment sécurisé et de n’avoir pas exercé une surveillance constante, ce comportement pouvant en effet revêtir la qualification de faute d’imprudence, par abstention.
■ Majeure : < Concernant le dommage, rappelons qu’il en existe différentes sortes. Schématiquement, on reconnaît l’existence du dommage corporel, constitué par toute atteinte à l'intégrité physique d'une personne (ex. : les blessures), du dommage matériel, constitué par toute atteinte au patrimoine d'une personne, qu'il s'agisse d'une perte subie (ex. : frais médicaux) ou d'un gain manqué (ex. : impossibilité pour un individu d'exercer une activité lucrative) et enfin, le dommage moral, constitué par toute atteinte extrapatrimoniale, ce dernier prenant des formes très variées : douleur physique, atteinte à la vie privée ou à l'honneur, atteinte aux sentiments (ex. : souffrance liée à la disparition d'un être cher).
< Ceci posé, encore faut-il, pour être réparé, que le préjudice allégué revête certains caractères. Pour être réparable, un dommage doit, précisément, remplir trois caractères cumulatifs. Il doit tout d'abord être certain, ie incontestablement éprouvé. Il doit ensuite être direct, ie être la suite directe de l'accident. Cette exigence n'empêche pas que, à côté de la victime principale du dommage, existent d'autres victimes, qualifiées de victimes par ricochet (ex. : le décès du chef de famille dans un accident prive de ressources sa femme et ses enfants, qui peuvent alors, en tant que victimes par ricochet, demander réparation du dommage qu'ils ont personnellement subi. Le caractère direct du dommage n'est donc pas méconnu). Enfin, il doit léser un intérêt légitime juridiquement protégé (par exemple, une personne ne peut être indemnisée pour la perte de revenus illicites).
■ Mineure : Les trois conditions de réparabilité du dommage, en l’espèce moral, éprouvé par les parents, en qualité de victimes par ricochet, en raison du décès de la victime principale (l’enfant), semblent toutes satisfaites. Indubitablement subi, le dommage moral des demandeurs à l’indemnisation résulte directement et légitimement du décès de leur enfant.
■ Majeure : < Quant au lien de causalité, qui suppose que le dommage juridiquement réparable puisse être rattaché au fait générateur de responsabilité par un lien de causalité, la jurisprudence applique deux théories distinctes : l'équivalence des conditions et la causalité adéquate.
< L'équivalence des conditions soutient que toute cause est à l'origine de l'intégralité du dommage. Tous les faits sans lesquels le dommage ne se serait pas produit sont dès lors considérés comme en étant la cause.
Au contraire, la théorie de la causalité adéquate implique l'identification de la cause adéquate, c'est-à-dire de la cause qui a provoqué le dommage.
< Généralement, l'équivalence des conditions s'applique en matière de responsabilité pour faute et la causalité adéquate en matière de responsabilité sans faute (ex. de la responsabilité du fait des choses fondée sur le risque). Mais ce n'est pas toujours le cas, les juges étant le plus souvent pragmatiques.
■ Mineure : A supposer la faute des propriétaires constituées par leur imprudence, le lien entre cette faute prétendue et le décès de la victime semble trop distendu pour être retenu. Même en vertu de la théorie de l’équivalence des conditions, la causalité semble trop éloignée pour être retenue. En effet, il est difficile de concevoir comment les propriétaires pouvaient raisonnablement envisager qu’un très jeune enfant pénètre, seul, sur leur propriété privée. C’est ce que vient récemment de juger la Cour de cassation dans une affaire dont les faits rappellent ceux rapportés. Après qu’un tribunal correctionnel a déclaré recevable la constitution de partie civile des parents de l’enfant noyé dans la piscine de leurs voisins, la cour d’appel avait conclu à l’absence de toute faute du couple propriétaire de la piscine et débouté les parents de leur demande d’indemnisation. La Cour de cassation a confirmé l’arrêt d’appel et rejeté le pourvoi formé par les parents, au motif qu’il ne pouvait être reproché au couple de propriétaires une quelconque faute d’imprudence (le fait de n’avoir pas remis une bâche rigide après le nettoyage du bassin et de n’avoir pas exercé une surveillance permanente), en l’absence de lien de causalité entre leur comportement et le décès de l’enfant qui était laissé sans surveillance par ses parents (Civ. 2e, 9 mars 2023, n° 21-18.713).
■ Conclusion : Dans des circonstances identiques, aucune faute ne devrait donc pouvoir être reprochée aux parents de Désiré, à défaut du lien de causalité qui sera recherché entre leur comportement et le dommage survenu. Les parents de l’enfant défunt devraient donc être déboutés de leur demande indemnitaire.
Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz
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