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Le cas du mois

Droit de la responsabilité civile
Il n’y a pas que le résultat qui compte
À l’effet de diversifier son activité, le président de l’association « Maison des jeunes en difficulté », avait pris la décision d’annexer à ses locaux une salle spécialement consacrée au bien-être de ses membres, dont les garçons comptent parmi les bénévoles les plus actifs.
Il avait prévu d’en faire à la fois un espace sportif et culturel, ce qui supposait de procéder à des travaux d’aménagement importants. Dans cette perspective, le président de l’association avait confié la réalisation des travaux à un professionnel. Malheureusement, à la réception de ces travaux, le président remarqua l’existence de malfaçons incompatibles avec la viabilité de sa nouvelle installation. Après avoir fait intervenir un expert, il avait d’abord assigné l’entrepreneur et son assureur dommages ouvrage en responsabilité. Puis il s’était résolu à conclure, par l’intermédiaire d’un consultant, un protocole d’accord indemnitaire, qualifié par les parties de « convention de gestion du sinistre ». Cette convention comportait un honoraire de résultat, le consultant devant être rémunéré à hauteur de 50 % des sommes qu'il réussirait à négocier au-delà des indemnités versées pour couvrir le coût des travaux de mise en conformité. Jugeant finalement cette solution trop coûteuse, le président avait mis fin, avant terme, à la convention. Victime de cette résiliation anticipée, le consultant entend depuis la dénoncer en justice. Il a ainsi assigné en réparation le président de l’association et dans cette perspective, demandé à être indemnisé du montant de l'honoraire de résultat prévu, soit 50 % des sommes obtenues via la transaction. Inquiet du montant de l’indemnisation qui lui est réclamée, le président de l’association s’est tourné vers Désiré et Adhémar pour connaître les règles d’indemnisation applicables au cas, qui lui semble être le sien, d’une simple perte de chance dont il serait responsable. Désiré s’est montré confiant, assurant au président que, quand bien même il aurait poursuivi la convention, il n'existait aucune certitude quant au montant exact des indemnités qu’il allait obtenir, et sur la base desquelles l’honoraire de son consultant avait été fixé. Si ce dernier aurait sans doute perçu une rémunération, il était de toute façon impossible de savoir si celle-ci aurait atteint celle prévue au contrat car en matière de perte de chance, conclut Désiré, jamais la chance perdue ne peut être indemnisée à 100 %. Adhémar, pour sa part, s’est montré plus pessimiste : selon lui, il est difficilement contestable que le consultant aurait effectivement perçu ses honoraires si la convention n’avait pas été résiliée puisqu’il est certain, si l’on s’en tient à la matérialité des faits et à la réalité des vices de construction expertisés, que le président aurait touché des indemnités de la part de l'assureur dommages-ouvrage.
Entre éventualité et certitude, le président ne s’est plus très bien à quoi s’en tenir… Il en appelle désormais à vous pour obtenir des éléments de réponse propres à l’éclairer.
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■ Sélection des faits : Le président de l’association Maisons des jeunes en difficulté subit des désordres en suite des travaux qu’il a fait réaliser dans ses locaux. Il assigne le constructeur et son assureur en responsabilité, puis conclut avec un consultant une « convention de gestion de sinistre », qui prévoit au profit de ce dernier un honoraire de résultat équivalent à 50 % des sommes qu'il réussirait à négocier au-delà d'un certain seuil. Le président résilie ensuite cette convention. Le consultant demande réparation du préjudice résultant de cette résiliation anticipée, l’indemnisation demandée correspondant au pourcentage de sa rémunération stipulée au contrat.
■ Qualification des faits : Un maître d’ouvrage est victime de malfaçons dans une construction. Après avoir assigné le constructeur et son assureur en responsabilité décennale, il conclut avec un consultant un protocole indemnitaire. Cette transaction comportait un honoraire de résultat, la convention stipulant que le consultant serait rémunéré de la moitié des sommes qu'il réussirait à négocier au-delà des indemnités versées au maître de l’ouvrage en réparation du coût de travaux de reprise. Le maître de l’ouvrage résilie la transaction avant son terme, puis transige avec le constructeur et son assureur. Estimant cette résiliation infondée, le consultant assigne son ancien cocontractant en réparation de son préjudice de perte de chance et demande à être indemnisé du montant des honoraires de résultat stipulés à la convention.
■ Problème de droit : L’indemnisation du préjudice résultant de la résiliation anticipée d'un contrat, ayant conduit à la disparition de l’éventuelle perception d'un honoraire de résultat par la victime, peut-elle être égale à l'avantage qu'aurait procuré l’obtention de cette rémunération si la convention avait été poursuivie ?
■ Majeure : 1/ Réparation de la perte de chance. L’engagement de la responsabilité personnelle (C. civ., art. 1240) suppose de démontrer la commission d’une faute à l’origine d’un préjudice. La personne dont la responsabilité est recherchée peut alors être condamnée à réparer l’intégralité du préjudice.
Il arrive cependant que la faute commise prive seulement la victime de la possibilité que survienne un événement favorable. On parle alors de « perte de chance » pour désigner ce type de préjudice, qui correspond à une partie seulement de l’entier dommage. À la condition d’être direct et certain, ce préjudice est réparable : la jurisprudence retient en ce sens que l’élément de préjudice constitué par la perte d’une chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu’est constatée la perte, par l’effet du fait générateur de responsabilité, de la probable survenance d’un événement profitable à la victime. Cette double condition liée la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable à la victime signifie que la jurisprudence accepte d’indemniser la chance perdue par la victime dès lors que la réalisation de cet événement n'était pas simplement hypothétique, mais réelle et sérieuse (Civ. 1re, 21 nov. 2006, n° 05-15.674 ; Com. 17 nov. 2021, n° 20-12.954). C’est dire que pour être réparable, la perte de chance doit elle-même présenter, de manière autonome, les caractères que doit réunir tout préjudice réparable.
En outre, sa réparation peut être obtenue même lorsque le demandeur sollicitait, ab initio, la réparation de l’entier dommage : lorsque le demandeur sollicite la réparation intégrale d’un préjudice certain dont la preuve n’est pas rapportée, il pourra néanmoins obtenir une réparation partielle sur le fondement d’une perte de chance qui n’aurait pas été plaidée. En effet, il a été récemment jugé par la Cour de cassation, réunie en formation plénière, que le juge « ne peut refuser d’indemniser une perte de chance (…) dont il constate l’existence, en se fondant sur le fait que seule une réparation intégrale lui était demandée ». Dès lors que le juge constate l’existence d’une perte de chance, il ne peut donc refuser sa réparation au motif que la victime n’en avait pas fait la demande (Ass. plén., 27 juin 2025, n° 22-21.812 et 22-21.146).
2/ Indemnisation de la perte de chance. La réparation de la perte de chance se détermine à hauteur de la chance perdue, lorsque l’entier dommage n’est pas juridiquement réparable. Son évaluation est donc fonction du préjudice intégral, mais ne peut jamais équivaloir, dans son montant, à celui-ci. Cette limite à l’indemnisation s’explique par l’aléa qui caractérise la perte de chance. Ce préjudice désigne la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable. L'aléa est donc consubstantiel à la notion : puisqu'il ne s'agit que d'une éventualité, cela emporte que l'on ne peut jamais savoir si l'événement escompté se serait réalisé. Autrement dit, en matière de perte de chance, la certitude n’est jamais de mise. C'est la raison pour laquelle la perte de chance ne peut jamais être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée, mais seulement à un pourcentage de celui-ci, souverainement estimé par les juges du fond.
■ Mineure : En l’espèce, l’ancien consultant du président demande, à la faveur de sa perte de chance d’avoir perçu un honoraire de résultat, une indemnisation égale à l'honoraire de résultat prévu à la transaction si celle-ci avait été poursuivie. Or même à supposer que le principe d'indemnisation ait été certain, aucune certitude ne pouvait être établie quant au quantum des indemnités perçues. Il est donc difficilement envisageable que les juges accordent au consultant une indemnisation égale à l'honoraire de résultat prévu, d’autant moins que dans une affaire proche de celle rapportée, la Cour de cassation a récemment cassé l’arrêt d'appel ayant retenu que le préjudice subi par le prestataire de services dont le contrat a été résilié fautivement est équivalent à la rémunération qu'il aurait obtenue si la transaction était allée à son terme, alors que la rémunération stipulée dans cette convention sous la forme d’un honoraire de résultat dépendait d'une éventualité favorable, incertaine à la date de la résiliation, sinon quant au principe du moins quant au quantum de l'honoraire de résultat, de sorte que le préjudice s'analysait en une perte d'une chance qui, mesurée à la chance perdue, ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée (Civ. 3e, 11 sept. 2025, n° 23-21.882).
■ Conclusion : Le préjudice du consultant consécutif à la résiliation anticipée de la transaction constitue une perte de chance, en ce qu’elle emporte la disparition d'une éventualité favorable à laquelle était subordonnée sa perception d'un honoraire de résultat. Réparable, elle ne peut toutefois équivaloir au montant de la rémunération prévue à la convention.
Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz
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