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Le cas du mois

Papa ou maman

[ 10 septembre 2024 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Papa ou maman

Depuis le divorce de ses parents, Joe a changé. 

D'un naturel effacé, le petit cousin de nos deux comparses manifeste une inhabituelle agressivité et tend de plus en plus à défier l'autorité, notamment celle de son père, chez lequel il a passé les dernières vacances d'été. Entre le patriarche et l'adolescent, la cohabitation fut houleuse. Déjà fréquentes, leurs disputes se sont multipliées en même temps que les sorties de Joe, ce dernier ayant pris la fâcheuse habitude de braver l'interdiction paternelle de rentrer après 23h. Il est vrai que Joe n’a que treize ans, et Jim, son père, estime non sans raisons qu’à compter d’une certaine heure, il n’a plus à traîner dehors avec ses copains. Pourtant, à la fin du séjour, Joe fit à nouveau le mur pour partager un dernier bain de minuit avec la bande d’amis qu'il avait rencontrés sur la plage la plus fréquentée du coin. Pour impressionner les filles de la bande présentes ce soir-là et leur montrer sa témérité, Joe eut alors l'idée de faire partir un feu qui s'est très vite propagé de la plage aux premières habitations situées sur le rivage, dont le local du club nautique, intégralement détruit par l’incendie. Le lendemain matin, le gérant du club découvrit les dégâts en même temps que son auteur grâce à un dispositif de vidéosurveillance qu'il avait récemment pris la précaution d'installer. Une fois Joe identifié, le gérant prit alors contact avec son père pour l'informer que s’il n’entendait pas engager d’action contre Joe, qu’il juge trop jeune pour être tenu pour responsable, il prévoyait en revanche d’engager la sienne, ainsi que celle de la mère de l’adolescent, afin d’être indemnisé du dommage qui lui a été causé. Las des incartades de son fils, Jim estime qu'il n'a pas à payer les frais de ses derniers méfaits, d'autant moins que depuis sa séparation avec sa mère, chez laquelle Joe vit, il n'a plus vraiment de prises sur l'éducation de son fils, qu'il ne voit qu’occasionnellement, soit 2 week-ends par mois et la moitié des vacances scolaires. Naturellement, Jen, la mère de Joe, ne l'entend pas de cette oreille. Elle considère au contraire que Jim doit être, au même titre qu’elle, tenu pour responsable des frasques de leur fils. Malgré leur séparation, Jim reste le père de Joe et Jen juge normal qu’il assume les conséquences des actes de leur rejeton dès lors qu’il participe, au même titre qu’elle, à son éducation. 

Dans la perspective du procès qui l’opposera prochainement à son ex-mari, Jen vous demande si elle a des chances de pouvoir partager sa responsabilité parentale avec lui.

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■ Sélection des faits : Enfant d’un couple divorcé, Joe, qui réside ordinairement chez sa mère, passe ses vacances d’été chez son père. Lors de son séjour, il détruit un local après avoir provoqué un incendie. Le gérant du local prévoit d’engager la responsabilité de ses deux parents. Ne vivant plus avec son fils, Jim, le père de Joe, s’estime irresponsable des dégâts causés par son fils.

■ Qualification des faits : Les parents d’un mineur ont divorcé, et la résidence habituelle de l’enfant a été fixée chez sa mère. Le mineur occasionne un dommage matériel lors de l’exercice, par son père, de son droit d’hébergement. La victime de ce dommage souhaite engager la responsabilité civile de ses parents. L’auteur du dommage résidant ordinairement chez sa mère, son père considère que sa responsabilité parentale ne peut pour cette raison être engagée.

■ Problème de droit : Lorsque des parents séparés exercent conjointement l’autorité parentale, celui chez qui la résidence habituelle de l’enfant a été fixée doit-il être le seul responsable des dommages causés par lui ?

■ Majeure : La responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur est prévue à l’article 1242, alinéa 4, du Code civil, qui dispose que le père et la mère, en tant qu'ils exercent l'autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux.

La responsabilité du fait d’autrui découlant de cet article est ainsi subordonnée à deux conditions. La première tient dans l’exercice conjoint de l’autorité parentale, la seconde dans la cohabitation de l’enfant mineur avec ses parents. Or ces deux conditions appellent des précisions en cas de séparation des parents de l’enfant mineur.

Concernant l’exercice conjoint de l’autorité parentale, son maintien après la désunion du couple est expressément prévu par la loi : « La séparation des parents est sans incidence sur les règles de dévolution de l’autorité parentale » (C. civ. 373-2). Conformément à cette disposition, la jurisprudence est ainsi venue affirmer que l’exercice en commun de l’autorité parentale par les deux parents, même séparés, constitue le principe, son exercice unilatéral, l’exception (Civ. 1re, 20 févr. 2007, n° 06-14.643).

Concernant la condition liée à la cohabitation, la jurisprudence a récemment évolué. Le texte de l’article 1242 al. 4 n'envisageant que la situation de l'enfant habitant avec ses deux parents, la jurisprudence a dû en effet interpréter la notion de cohabitation lorsque les parents ne vivent pas ensemble. En cas de séparation des parents, la Cour de cassation a longtemps considéré que la condition de cohabitation prévue par le Code civil pour engager la responsabilité n’était remplie qu’à l’égard du parent chez lequel la justice avait fixé la résidence habituelle de l’enfant (Civ. 2e, 20 janv. 2000, n° 98-14.479). Dès lors, seul ce parent pouvait être condamné à réparer les dommages causés par son enfant mineur, quand bien même l'autre parent, bénéficiaire d'un droit de visite et d'hébergement, exercerait conjointement l'autorité parentale (Crim. 6 nov. 2012, n° 11-86.857), et que le fait dommageable de l'enfant a eu lieu pendant cet exercice. Le parent non gardien de l’enfant mineur étant ainsi à l’abri d’une action fondée sur l’article 1242 al. 4, il ne pouvait voir sa responsabilité être engagée qu’en application de l’article 1240. Autrement dit, il n’était susceptible d’être inquiété que s’il avait commis une faute d’éducation ou de surveillance et que cette faute avait contribué à la survenance du dommage.

Cependant, tant par souci d’équité entre les deux parents que de mise en conformité du régime avec l’approche objective de la responsabilité parentale, la Cour de cassation a récemment abandonné cette solution. Par un revirement de jurisprudence opéré le 28 juin dernier, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a pour la première fois jugé que les deux conditions érigées par la loi pour engager la responsabilité des parents (exercice de l’autorité parentale et cohabitation avec l’enfant) étaient consubstantielles, en sorte que la cohabitation, qui n’est plus une condition autonome, s’évince de l’exercice conjoint de l’autorité parentale (Ass. Plén., 28 juin 2024, n° 22-84.760). Depuis cette date, il convient donc d’envisager autrement la notion de cohabitation, réinterprétée contra legem par la Haute cour comme la conséquence de l'exercice conjoint de l'autorité parentale. Dès lors, lorsque les parents exercent conjointement l’autorité parentale, la condition de cohabitation doit désormais être considérée comme remplie même lorsqu’ils sont séparés et que l’enfant ne réside plus que chez l’un d’entre eux. Dans ce cas, les deux parents demeurent responsables des dommages causés par l’enfant mineur.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation a également précisé que cette cohabitation des parents avec l’enfant n’était susceptible de cesser que dans le cas où une décision administrative ou judiciaire aurait confié l’enfant à un tiers. Dans une telle hypothèse, l’enfant réside chez cette tierce personne et la responsabilité de ses parents ne pourra pas être engagée, même si ces derniers continuent d’exercer leur autorité parentale.

■ Mineure : L’évolution récente de la jurisprudence ayant admis le principe d’une responsabilité conjointe des parents séparés suppose donc d’écarter la responsabilité exclusive de Jen, malgré la fixation de la résidence habituelle de Joe à son domicile. En effet, sous l’empire de la jurisprudence antérieure, la responsabilité de Jim aurait été écartée, alors même que celui-ci hébergeait son fils le jour où l’incendie a été déclenché, au seul motif que Joe réside habituellement chez sa mère. Immédiatement applicable, la nouvelle jurisprudence prévoyant que la cohabitation résulte du seul exercice conjoint de l’autorité parentale justifie l’engagement de la responsabilité de Jim, qui partage cette autorité avec Jen, du fait dommageable de Joe.

■ Conclusion : Au procès, Jen pourra invoquer avec succès le nouveau principe de responsabilité conjointe des parents séparés de l’enfant mineur à l’origine d’un fait dommageable.

Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz

 

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