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Le cas du mois
Libertés fondamentales - droits de l'homme
Passer pour un idiot
Désiré et Adhémar viennent d’apprendre, par le biais d’un reportage télévisé sur lequel ils sont « tombés » l’autre jour, par le hasard du zapping, une histoire folle.
Folle, c’est le cas de le dire : une jeune mythomane avait fait croire, pendant plusieurs années, sur internet, qu'elle était atteinte d'affections graves. Le reportage comportait une séance filmée en caméra cachée, au cours de laquelle deux journalistes, se faisant passer, l'un pour une amie de celle-ci, l'autre, pour son compagnon, consultaient un médecin généraliste, auquel ladite jeune femme s'était adressée à plusieurs reprises. Le cas du médecin appela particulièrement leur attention, et fit même naître en eux une certaine compassion. En effet, nettement identifiable dans le reportage, être montré ainsi comme un pauvre idiot s’étant laissé berner par une jeune déséquilibrée le plaçait fatalement, notamment vis-à-vis de sa clientèle, dans une position proche du ridicule, attentatoire à son image comme à sa réputation. « C’est dégradant pour lui ! », s’insurgèrent-ils en chœur, à la fin du reportage.
Depuis, ils ne cessent de repenser à cette histoire. Ils espèrent que le médecin va réagir à cette odieuse duperie, s’il ne l’a pas déjà fait. Ils s’interrogent toutefois sur les moyens juridiques dont il disposerait pour défendre son cas devant un juge. Ils vous demandent votre avis car, définitivement, cette histoire les révolte !
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Au cœur du cas proposé se trouve le conflit, classique, opposant les droits au respect de la personnalité, et plus particulièrement du droit à l’image, et la liberté d’expression et le droit du public à l’information. Leur valeur normative étant identique, et la nécessité de leur protection également défendue. Le juge saisi de ce type de conflit doit le résoudre in concreto, en recherchant un équilibre entre l’intérêt de l’individu à voir protéger les droits inhérents à sa personne et l’intérêt du public à être informé, en privilégiant « la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime » (Civ. 1re, 9 juill. 2003, n° 00-20.289 ), selon une méthode dite de « la balance des intérêts » d’inspiration anglo-saxonne et dont la Cour européenne des droits de l’homme a promu l’application pour résoudre les conflits susceptibles de mettre en cause les droits de la personnalité. Cette méthode conduit le juge à apprécier si l’atteinte portée à un droit de la personnalité peut être légitimée par les nécessités de l’information du public, et non pas seulement par sa seule curiosité.
Ainsi deux faits justificatifs ont-ils été retenus pour rendre légitimes les atteintes portées à la vie privée ou à l’image de la personne : l’événement d’actualité et le débat d’intérêt général.
Le premier consiste en tout événement public, politique, judiciaire, relevant de l’actualité nationale ou plus simplement de faits divers, tandis que le second renvoie plus globalement à des débats de société pouvant justifier des atteintes à la vie privée et à l’image. C’est d’ailleurs, concernant le droit à l’image, que la Cour de cassation a posé cette exception, en jugeant dans un arrêt du 4 novembre 2004 que « le principe de la liberté de la presse implique le libre choix des illustrations d’un débat de phénomène de société » (Civ. 2e, 4 nov. 2004, n° 03-15.397). C’est pourquoi si la diffusion de l’image permettant d’identifier un individu sans son autorisation est par principe interdite, la liberté de la presse et le droit du public à l’information peuvent justifier une telle atteinte. Cependant, un lien direct entre la publication et un débat d’intérêt général ou un événement d’actualité doit exister.
Il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation que lorsqu’un événement d’actualité ou un débat d’intérêt général sont avérés, le conflit entre les droits de la personnalité et la liberté de la presse et du droit du public à l’information se résout très fréquemment en faveur du second.
Seule la notion de dignité de la personne humaine permet de s’opposer efficacement à toute publication attentatoire aux droits de la personnalité. La dignité de la personne humaine est en cause lorsque la représentation d'une personne présente un caractère indécent et dégradant et qu'il apparaît que leurs diffuseurs ont recherché le sensationnel davantage qu’un objectif informatif. Cependant, il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation que celle-ci ne sanctionne que les représentations particulièrement dégradantes ou violentes de la personne, principalement pour faire obstacle à l’instrumentalisation du corps (V. Aff. Our Body, Civ. 1re, 16 sept. 2010, n° 09-67.456) ainsi qu’à la diffusion d’images choquantes représentant le corps humain. C’est ainsi que l’utilisation publicitaire d’une image fractionnée du corps humain tatoué des lettres HIV a été jugée contraire à la dignité des personnes atteintes du SIDA par la stigmatisation ainsi réalisée (Paris, 28 mai 1996, Sté Benetton Group Spa c/ Assoc. Aides fédération nationale, n° 95/1271). Si l’indécence constitue le critère à l’aune duquel s’apprécie l’atteinte à la dignité, l’appréciation qui en est faite par la Cour, nécessairement subjective, n’en demeure pas moins, parfois, discutable. Ainsi, dans un arrêt du 4 novembre 2004, la Cour de cassation a-t-elle censuré une décision ayant jugé attentatoire à la dignité de la personne humaine la publication sans précaution d’anonymat d’une photographie d’un adolescent, le visage maculé de sang, inanimé, gisant sur un brancard, et décédé à la suite d’une course en scooter (Civ. 2e, 4 nov. 2004, n° 03-15.397).
En l’espèce, il ne semble pas que l’atteinte au droit à l’image du médecin, constituée par son absence de consentement (il était filmé en caméra cachée) et la facilité de son identification, puisse être justifiée par un événement d’actualité ou un débat d’intérêt général sauf, éventuellement, mais les faits énoncés ne permettent pas de l’affirmer, à établir que le reportage avait pour but de prévenir le public des dérives découlant de l'utilisation du réseau internet, ce qui pourrait éventuellement constituer un sujet de société, dont la visée informative justifierait l’atteinte portée au droit à l’image du médecin.
Dans tous les cas, pour qu’une telle justification soit admise, la diffusion du reportage ne doit pas avoir porté atteinte à la dignité du médecin. Appréciée au cas par cas, celle-ci n’est pas fréquemment retenue par la Cour de cassation, sauf dans quelques circonstances extrêmes, repoussant ainsi, au profit de la liberté de la presse et au détriment des droits de la personnalité, le curseur de l’atteinte à la dignité.
Ainsi, dans une récente décision rendue dans des circonstances identiques, (Civ. 1re, 29 mars 2017, n° 15-28.813), la Cour de cassation, tout en commençant par rappeler que la liberté de la presse doit rester limitée par la nécessité de respecter la dignité de la personne, elle reprocha tout de même aux juges du fond d’avoir statué par des motifs « impropres à caractériser une atteinte à la dignité » du médecin filmé en caméra-cachée, la seule dévalorisation de celui-ci n’étant pas, selon elle, suffisante à la constituer.
Références
■ Civ. 1re, 9 juill. 2003, n° 00-20.289 P, D. 2004. 1633, obs. C. Caron ; RTD civ. 2003. 680, obs. J. Hauser.
■ Civ. 2e, 4 nov. 2004, n° 03-15.397 P, D. 2005. 696, et les obs., note I. Corpart ; ibid. 536, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 2643, obs. A. Lepage, L. Marino et C. Bigot ; RTD civ. 2005. 363, obs. J. Hauser.
■ Civ. 1re, 16 sept. 2010, n° 09-67.456 P, AJDA 2010. 1736 ; D. 2010. 2750, obs. C. Le Douaron, note G. Loiseau ; ibid. 2145, édito. F. Rome ; ibid. 2754, note B. Edelman ; ibid. 2011. 780, obs. E. Dreyer ; RTD civ. 2010. 760, obs. J. Hauser.
■ Paris, 28 mai 1996, Sté Benetton Group Spa c/ Assoc. Aides fédération nationale, n° 95/1271, D. 1996. 617.
■ Civ. 1re, 29 mars 2017, n° 15-28.813 P.
Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz
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