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Le cas du mois
Droit de la famille
PMA : Papa Maman Aquoibon?
Stéphanie, cousine éloignée d’Adhémar, est toujours par monts et par vaux. Il faut dire que son métier d’hôtesse de l’air ne lui permet pas de mener une vie tranquille et sédentaire à laquelle elle n’a cependant, jusqu’à une période récente, jamais réellement aspiré…
Multipliant les voyages, Stéphanie voit très peu sa famille. Elle a donc pris la décision, il y a une quinzaine de jours, de passer les vacances de Pâques en famille, notamment pour revoir Adhémar, ce cousin qu’elle adore et qu’elle regrette de ne pas assez voir. D’autant que renouer avec sa famille est pour elle, en ce moment, essentiel. En effet, Stéphanie traverse une période difficile qui, d’ailleurs, ne date pas d’hier. Il y a presque vingt ans, Stéphanie rencontra Pierre, à l’occasion d’un trajet Paris-Brésil. Elle en tomba immédiatement amoureuse. Le coup de foudre fut réciproque. Après s’être échangés leurs coordonnées, Pierre et Stéphanie se revirent dès leur retour à Paris. Ils avaient vite entamé une relation sentimentale secrète ; cependant, Pierre était marié et père de trois enfants. Durant plusieurs mois, ils vécurent ainsi, légèrement, librement, sans trop se poser de questions... Puis le temps vint où Stéphanie eut envie d’un enfant… Déjà père d’une famille nombreuse, Pierre ne partageait pas cette envie, d’autant plus qu’après seulement deux ans de relation, il ne se considérait plus vraiment en couple avec elle, Pierre se lassant des contraintes inhérentes à la vie extra-conjugale comme au métier de Stéphanie. Mais à force d’insister, Stéphanie réussit à convaincre Pierre. Elle était tellement heureuse qu’il acceptât d’avoir un enfant avec elle ! Il faut dire qu’elle mit tout en œuvre pour y parvenir, promettant à Pierre de ne jamais le solliciter et d’élever ce futur enfant toute seule. Son bonheur était d’avoir un enfant, avec ou sans lui. Ce bonheur fut de courte durée. Les mois passaient, et Stéphanie n’était toujours pas enceinte… Elle mit d’abord cela sur le compte de son métier, des allers-retours et des absences qu’il implique. Puis au bout d’un an, elle décida de consulter un spécialiste. Le diagnostic fut sans appel : Stéphanie était stérile. Après avoir annoncé la nouvelle à Pierre, Stéphanie lui proposa une solution : recourir à une procréation médicalement assistée. Elle avait auguré son refus, et envisagé déjà de faire appel à un tiers donneur. Mais à sa grande surprise, Pierre y consentit. Lui qui ne voulait pas qu’on lui posât de problèmes… Il devait avoir de réels sentiments pour elle, se dit Stéphanie, et peut-être aussi l’envie d’avoir un quatrième enfant. Elle le savait très paternel. Quoiqu’il en soit, leur médecin leur fit signer, comme l’usage le veut, un document intitulé « Consentement en vue d’insémination artificielle du couple ». Le 20 avril 2006, Pierre donna son accord pour la congélation de son sperme, confié à un laboratoire qui fut chargé à compter de cette date de la conservation de celui-ci. Le 26 mai 2006, l’insémination intra utérine eut lieu. Elle réussit : le 12 septembre de la même année, le médecin certifia que Stéphanie était enceinte, fixant au 26 mai 2006 la date du début de grossesse, et au 26 février 2007, celle de l’accouchement. Stéphanie était ravie, au point d’en avertir tous ses amis et membres de sa famille en postant le jour même un message sur sa page FB ! Malgré leurs difficultés à communiquer, Pierre et Stéphanie arrêtèrent par téléphone, en octobre, le choix du prénom de l’enfant. Il s’appellerait Paul-Louis. Le 10 février 2007, Paul-Louis naquit. Stéphanie inscrivit son nom sur l’acte de naissance de son fils. Pierre, quant à lui, refusa que sa paternité fût établie. Il le dit très nettement à Stéphanie : s’il avait accepté d’être le géniteur de leur enfant, il ne désirait pas en être le père… Pourtant, dès les premières années de son existence, Paul-Louis ne manqua pas d’attention de la part de Pierre, ce dernier allant voir régulièrement son fils et versant périodiquement à son profit de l’argent à Stéphanie. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Stéphanie a longtemps secrètement espéré que Pierre reviendrait sur sa décision et déclarerait sa paternité. Aujourd’hui, elle sait que Pierre ne le fera jamais. Pourtant, elle continue de souhaiter que son fils ait un père officiel. Adhémar lui ayant longtemps vanté, durant ces vacances, vos qualités de juriste, elle vous demande dans quelle mesure elle pourrait parvenir à ses fins et le cas, échéant, par quels moyens.
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L’assistance médicale à la procréation vise les pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, la conservation des gamètes, des tissus germinaux et des embryons, le transfert d’embryons et l’insémination artificielle (CSP, art. L. 2141-1). En l’espèce, il s’agissait d’une insémination artificielle. À la naissance de l'enfant, seule mention de la filiation maternelle était rapportée sur les registres de l'état civil.
Le problème de droit qui se posait était d’identifier les différents modes possibles d’établissement de la filiation paternelle lorsque l’enfant, né d’une procréation médicalement assistée (PMA), est biologiquement issu d’un couple, c’est-à-dire sans tiers donneur.
En droit, les règles divergent, en effet, selon que l’enfant est biologiquement issu d’un couple (PMA endogène) ou que sa procréation a nécessité de recourir à un tiers donneur (PMA exogène).
Au regard de la filiation, lorsque l’enfant est biologiquement issu d’un couple, les règles de droit commun s’appliquent quel que soit le mode de conception. Ainsi l'établissement de la filiation à la suite d'une PMA sans tiers donneur obéit-il aux règles prévues par les articles 327 et suivants du Code civil, à l’exclusion des dispositions des articles 311-19 et 311-20 du même Code, lesquels régissent l'établissement et la contestation de la filiation à la suite d'une PMA avec tiers donneur ; par conséquent, s’agissant de l’établissement de la filiation, la règle selon laquelle aucun lien de filiation ne peut être établi entre l'auteur du don et l'enfant issu de la procréation ne trouve à s’appliquer que dans le cas d’une PMA avec tiers donneur (C. civ., art. 311-19). Au contraire, dans le cas d’une PMA endogène, conformément au droit commun, la filiation maternelle résulte donc de l’indication du nom de la mère dans l’acte de naissance et celle du père peut être établie soit par présomption, soit par reconnaissance, soit par la possession d’état soit, enfin, judiciairement.
La filiation paternelle peut tout d’abord être établie par présomption, celle réservée au couple marié, appelée présomption de paternité : le mari est le père de l’enfant. La filiation paternelle peut également être établie par reconnaissance. La reconnaissance est un acte authentique, personnel, déclaratif, qui peut intervenir à tout moment, avant comme après la naissance, sans condition de délai. Elle peut aussi résulter de la possession d’état. Selon l’article 311-1 du Code civil, celle-ci « s’établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir ». Il convient en particulier de tenir compte des relations mutuelles du présumé parent et de l’enfant (tractatus), du nom que porte ce dernier (nomen) et de l’opinion de l’entourage et de la collectivité sur la réalité de la filiation (fama). Il n’est cependant pas indispensable que l’ensemble de ces éléments soient réunis pour que l’on puisse conclure à l’existence d’une possession d’état. Pour que celle-ci puisse produire ses effets, il faut en revanche impérativement qu’elle revête certaines qualités : en vertu de l’article 311-2 du Code civil, « elle doit être continue, paisible, publique et non équivoque ». En d’autres termes, elle doit être acquise sans fraude ni violence et au su de tous. Une fois la possession d’état constatée, un acte de notoriété peut être demandé par chacun des parents, individuellement ou conjointement, ou par l’enfant (C. civ., art. 317 ; il peut être requis quelque soit l’âge de l’enfant. La filiation paternelle peut, enfin, être établie de façon contentieuse (C. civ., art. 327), notamment lorsque le père refuse de reconnaître l’enfant et, en application des dispositions du second alinéa de l'article 310-3 du même Code, la preuve de la paternité peut être apportée par tous moyens.
En l’espèce, Pierre et Stéphanie n’ayant jamais été mariés, la présomption de paternité ne joue pas ; Stéphanie ne peut donc s’en prévaloir. Cependant, on remarque que Pierre a régulièrement suivi et participé au protocole mis en œuvre pour que l’enfant soit conçu, ce qui permet de présumer qu’il en est le père. En outre, il fait aujourd’hui preuve d’affection et d’attentions à l’égard de l’enfant : les faits démontrent qu’il entretient des relations avec lui et verse à sa mère de l’argent pour son entretien. S’il ne lui a pas donné son nom, il est donc toutefois possible de considérer qu’il le traite comme son fils. En outre, il est très probablement considéré par tous comme le père du jeune garçon, Stéphanie ayant averti, à l’annonce de sa grossesse, tout son entourage qu’elle était enceinte de Pierre. Il convient encore d’ajouter que rien dans l’énoncé des faits ne permet de douter que cette possession d’état est continue, paisible, publique et non équivoque. On peut alors conclure, quoique toutes les conditions ne soient pas réunies, à l’existence d’une possession d’état. Stéphanie pourrait ainsi, dans un premier temps, demander qu’un acte de notoriété soit dressé pour établir la filiation paternelle de son fils. Lui est également offerte la possibilité de l’établir par voie contentieuse, Pierre refusant manifestement de reconnaître l’enfant ; la reconnaissance est, en effet, un acte personnel qui ne peut être effectué que par celui qui fait l’aveu de sa paternité, l’autre parent ne pouvant se substituer à lui. Cependant, Pierre a donné son accord pour la congélation de son sperme pour permettre à Stéphanie de recourir à une PMA, accord contenu dans le contrat de filiation qu’il a signé et sur lequel il n’est jamais revenu. Ainsi le lien existant entre les gamètes qu’il a donnés, l'insémination artificielle pratiquée sur Stéphanie, sa grossesse, l’accouchement et la naissance de l’enfant devrait-il convaincre les juges de déclarer Pierre comme étant le père de Paul-Louis, à moins que Pierre parvienne à remettre en cause ce lien, par exemple en rapportant la preuve que Stéphanie entretenait, durant le temps où elle et lui tentaient de le concevoir, des relations intimes avec d’autres hommes (V. Civ. 1re, 16 mars 2016, n° 15-13.427), ce qui ne semble pas, cependant, être le cas en l’espèce.
Il reste toutefois très probable que Pierre contestera, si Stéphanie parvient d’une manière ou d’une autre à l’établir, son lien de filiation avec l’enfant.
En droit, selon l’article 310-3, alinéa 2 du Code civil, « la filiation (…) se conteste par tous moyens » et selon l’article 335 du même Code, la filiation établie par la possession d’état constatée dans un acte de notoriété peut être contestée par toute personne qui y a intérêt en rapportant la preuve contraire, dans un délai de 10 ans à compter de la délivrance de l’acte. Ainsi, même établie et reconnue, la possession d’état ne fait présumer la filiation que jusqu’à la preuve du contraire, laquelle peut être rapportée par tous moyens ; en pratique, par le recours à une expertise biologique, celle-ci étant de droit en matière de filiation (Civ. 1re, 28 mars 2000, n° 98-12.806). En revanche, contrairement au lien de filiation issu de la procréation naturelle, dans le cadre d’une PMA endogène (V. Civ. 1re , 16 mars 2016, préc.), le lien de filiation, une fois établi, devient incontestable. En effet le consentement donné à la PMA interdit toute action en contestation de filiation. L’article 311-20, alinéa 2 du Code civil dispose que « … Le consentement donné à une procréation médicalement assistée interdit toute action aux fins d'établissement ou de contestation de la filiation à moins qu'il ne soit soutenu que l'enfant n'est pas issu de la procréation médicalement assistée ou que le consentement a été privé d'effet ». Ce texte prévoit donc, de manière restrictive, deux moyens de remettre en cause la filiation : 1/ l’un ou l’autre parent soutient que l’enfant n’est pas issu de la PMA ; 2/ le consentement donné par l’un des parents a été privé d’effet (par exemple parce que l’insémination a été réalisée en dépit de la révocation de l’accord du parent ou de son décès).
En l’espèce, les conclusions de l’expertise génétique, si elle devait être demandée par Pierre, ne lui permettraient certainement pas de remettre en cause sa paternité. En outre, l'argument selon lequel le consentement donné à une PMA interdit toute action aux fins d'établissement ou de contestation de la filiation à moins qu'il ne soit soutenu que l'enfant n'en est pas issu, ou que le consentement donné a été privé d’effet, réservé à l’hypothèse d’une PMA exogène, ne saurait pas susceptible de prospérer. Ainsi Pierre ne serait-il pas autorisé à remettre en cause le fait que Paul-Louis est issu de la PMA réalisée, ni à soutenir qu’il a révoqué son consentement, ce qu’il n’a, de toute façon, jamais fait.
Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz
Références
■ Civ. 1re, 16 mars 2016, n° 15-13.427 P, D. 2016. 706, obs. I. Gallmeister ; AJ fam. 2016. 212, obs. M. Saulier.
■ Civ. 1re, 28 mars 2000, n° 98-12.806 P, D. 2000. 731, et les obs., note T. Garé ; ibid. 2001. 404, chron. S. Le Gac-Pech ; ibid. 976, obs. F. Granet ; ibid. 1427, obs. H. Gaumont-Prat ; ibid. 2868, obs. C. Desnoyer ; RTD civ. 2000. 304, obs. J. Hauser.
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