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Le cas du mois
Droit des obligations
Prêt de ses sous
Le droit à une seconde chance. Les cousins l’ont toujours défendu. C’est pourquoi lorsqu’ils ont rencontré Franck dans leur association d’aide aux jeunes en difficulté, ils ont naturellement voulu l’aider.
Ancien délinquant, Franck avait été plusieurs fois condamné, durant son adolescence, pour des faits de vol et d’escroquerie. Depuis sur la voie de la réinsertion, il était venu chercher de l’aide auprès des membres de l’association car Franck nourrissait l’ambitieux projet de créer sa propre entreprise. Comme un pied de nez au destin, celle-ci aurait pour but de fabriquer des antivols ultra-performants, destinés à sécuriser les véhicules non motorisés (vélos, trottinettes, etc.), engins les plus volés en zone urbaine. Mais si Franck était certain que sa société ferait un carton, il lui manquait les fonds nécessaires à sa création. Désiré et Adhémar n’avaient donc pas hésité une seconde. Outre un apport financier au bénéfice de la société, dans laquelle ils avaient même envisagé de devenir associés, ils ont réuni leurs économies pour prêter à Franck les sommes nécessaires à son lancement. Pour sécuriser la situation, ils avaient toutefois pris soin de faire signer à Franck une reconnaissance de dette en bonne et due forme et de lui rappeler, par un courrier adressé quelques semaines plus tard, qu’il serait exclu de l’association s’il ne remboursait pas les sommes. Malgré ces précautions, les cousins n’ont toujours pas récupéré l’argent qu’ils lui ont prêté. Ils avaient pourtant demandé à Franck à être remboursés sitôt après lui avoir remis la majorité des fonds empruntés. Ce dernier ne leur avait jamais répondu. Alors qu’ils étaient sans nouvelles de lui, ce dernier ayant par ailleurs déserté l’association, ils viennent enfin de recevoir une réponse de sa part. Franck s’excuse d’abord pour le retard pris dans sa réponse, qu’il explique par le succès de sa nouvelle entreprise, qui lui laisse très peu de temps. Pour le reste, il leur dit sans détours qu’il refuse d’honorer cette reconnaissance de dette, qu’il aurait signée seulement pour rester membre de l’association, reprochant aux cousins leur chantage de l’exclure de la Maison des jeunes en difficulté en cas de non-remboursement à l’échéance. À son sens, cet engagement auquel il n’a pas librement consenti ne vaut rien. En outre, il ajoute ne pas avoir reçu certains des virements que les garçons prétendent avoir effectué, les autres ne correspondant pas, dans leur montant, à ceux figurant sur son compte. Le prêt n’ayant donc été qu’imparfaitement exécuté, Franck estime n’avoir aucune raison de les rembourser. Déçus par la nouvelle manigance de cet ancien escroc, nos acolytes n’entendent pas se laisser faire et prévoient de l’assigner en justice. Ils s’inquiètent toutefois de l’issue du procès, s’interrogeant sur la validité du document qu’ils lui ont fait signer. S’ils le croyaient parfaitement conforme, les arguments que Franck leur a opposés commencent à les faire douter. Ils se tournent vers vous pour savoir comment convaincre le juge de la réalité de leur créance et de la liberté laissée à Franck de signer la reconnaissance de dette que ce dernier prétend avoir été forcé de signer.
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■ Sélection des faits : Désiré et Adhémar prêtent de l’argent à un ami, auquel ils ont fait signer une reconnaissance de dette formellement valable, mais que leur ami conteste au fond pour deux raisons. Premièrement, il n’aurait pas reçu l’intégralité des sommes convenues. Deuxièmement, il aurait été contraint de signer cette reconnaissance de dette sous peine d’être exclu de l’association à laquelle tous appartenaient, ce dont les cousins l’auraient menacé quelques temps après la signature de l’acte.
■ Qualification des faits : Un emprunteur signe une reconnaissance de dette en faveur de prêteurs aux termes de laquelle il reconnaissait leur devoir une certaine somme, conformément aux exigences légales (C. civ., art. 1376). Faute de règlement à l'échéance, les prêteurs lui réclament le remboursement des fonds prêtés. Pour s’y opposer, l’emprunteur conteste d’une part l’existence du prêt, n’ayant pas reçu le versement effectif de l’ensemble des sommes promises, ce qui rendrait sans objet la reconnaissance de dette. D’autre part, il invoque un vice de violence affectant la validité de cet acte, qu’il aurait signé sous la menace d’exclusion de leur association contenue dans un courrier adressé par les prêteurs postérieurement à sa signature.
■ Problème de droit : Quelles sont, en général, les règles de preuve applicables à la reconnaissance de dette consécutive au prêt d’argent et, en particulier, celles gouvernant la preuve du vice du consentement susceptible de l’entacher ?
■ Majeure : Une reconnaissance de dette est un acte sous seing privé par lequel une personne, le débiteur, s’engage envers une autre personne, le créancier, à rembourser la somme d’agent prêtée. Il s’agit donc d’un écrit qui permet de se prémunir contre toute éventuelle contestation qui pourrait intervenir a posteriori d’un prêt d’argent. Pour produire ses effets, elle doit contenir les mentions obligatoires prévues à l’article 1376 du Code civil.
Concernant la charge de la preuve du prêt à l’origine de sa souscription, il est de jurisprudence constante qu’en présence d’un tel acte, la charge de la preuve est inversée. Conformément au droit commun de la preuve, celui qui demande le remboursement d’une somme d’argent supporte en principe la charge de la preuve du prêt (C. civ., art. 1315, al. 1 ; Civ. 1re, 6 mai 1997, n° 95-11.151 ; Civ. 1re, 7 mars 2006, n° 02-20.374), l’existence du contrat de prêt justifiant l’obligation de restitution ne pouvant s’inférer de la seule preuve de la remise des fonds (Civ. 1re, 28 févr. 1995, n° 92-19.097). Toutefois, la charge de la preuve du défaut ou de l’illicéité de la cause prétendue de la reconnaissance de dette pèse sur celui qui l’invoque (Civ. 1re, 19 juin 2008, n° 06-19.056 ; Civ. 1re, 14 janv.2010, n° 08-18.581) : c’est alors à l’emprunteur d’établir que le prêteur ne lui a pas remis les fonds. En effet, la première chambre civile a clairement affirmé que « (…) la reconnaissance de la dette fait présumer la remise des fonds, de sorte qu’il incombe à celui qui a signé l’acte de reconnaissance et qui prétend, pour en contester la cause, que la somme qu’il mentionne ne lui a pas été remise, d’apporter la preuve de ses allégations » (Civ 1re, 24 nov. 2021, n° 20-23.350). La reconnaissance de dette établit donc une présomption de cause, en sorte qu’ « il incombe à celui qui a souscrit une reconnaissance de dette de démontrer que son engagement manquait de cause, et non au créancier de rapporter la preuve du versement effectif de la somme litigieuse entre les mains du débiteur » (Civ. 1re, 22 janv. 2020, n° 18-24.295).
Concernant le vice de violence qui entacherait la validité de l’acte souscrit, rien ne s’oppose à ce que les règles de preuve du vice du consentement s’appliquent à la reconnaissance de dette. D’une part, en application des principes posés par l’ancien article 1315 du Code civil, il est acquis depuis longtemps qu’incombe à celui prétendant avoir été victime d’un vice du consentement de prouver l’existence de ce vice. D’autre part, en ce qu’elle est par principe exigée au stade de la formation du contrat, la validité du consentement doit s’apprécier au jour de l’engagement de l’auteur de la reconnaissance, même si la preuve de l’existence du vice peut résulter d’éléments postérieurs à la date de formation du contrat (Com. 13 déc. 1994, n° 92-12.626 ; Civ. 3e, 13 janv. 1999, n° 96-18.309 ; Civ. 1re, 17 nov. 2011, n° 10-25.369). Il est alors loisible au juge de tenir compte de tout élément de preuve du vice allégué, a fortiori d’une preuve écrite, même postérieur à la signature d’une reconnaissance de dette, pour établir l’existence d’un vice existant dès la souscription de l’acte. En particulier, la caractérisation du vice de violence morale suppose d’établir des pressions psychologiques (chantage, menaces) visant à contraindre sa victime à contracter (C .civ. 1140). Contrairement à l’erreur – spontanée ou provoquée (dol), le consentement vicié par violence n’est pas atteint dans sa dimension réflexive, mais volitive : ce n’est pas la lucidité du consentement qui est en cause, mais sa liberté. Or force est de constater que ses applications en jurisprudence restent marginales, ce qui s’explique au regard de l’approche restrictive de ce vice par la loi elle-même, la victime devant craindre, sous l’effet de la contrainte exercée, d’exposer sa personne ou sa fortune à « un mal considérable ». On peut toutefois noter quelques illustrations de la notion par la Cour de cassation, par exemple la violence morale exercée sur le membre d’une secte, contraint de vendre son habitation pour héberger cette dernière (Civ. 3e, 13 janv. 1999, préc.)
■ Mineure : Signée « en bonne et due forme », la reconnaissance de dette litigieuse semble, faute d’indications supplémentaires, conforme aux exigences prescrites par l’article 1376. Elle constitue donc un mode de preuve valable. Cependant, pour échapper à l’engagement qu’elle contient, Franck envisage plusieurs moyens possibles.
D’une part, il allègue de l’inexistence du prêt à l’origine de la reconnaissance de dette litigieuse. Il lui reviendra alors de renverser la présomption de remise des fonds faite à son profit. Dans cette perspective, il pourra arguer du faisceau de plusieurs circonstances : comme il le prévoit, il pourra d’abord se prévaloir de ses relevés bancaires, attestant d’une différence de montant entre les virements portés au crédit de son compte et ceux déclarés par les cousins, dont certains n’ont même pas été comptabilisés. D’autres circonstances pourraient également lui servir à démontrer qu’aucun prêt ne lui a été consenti, comme l’absence de qualité d’associé de ses prétendus prêteurs, ainsi que l’apport financier qu’ils ont effectué, susceptible de remettre en cause leur qualité d’emprunteur puisque dans cette configuration, ils revêtiraient plutôt celle de mandataire, ayant la charge d’affecter les fonds au bénéfice de la société. Cependant, dans une affaire récente dont les faits rappellent ceux exposés, la Cour de cassation a approuvé les juges du fond saisis du litige d’avoir jugé l’ensemble de ces circonstances insuffisant à remettre en cause l’existence de la dette que l’emprunteur avait reconnue avoir à l’égard de son prêteur dans l’acte de reconnaissance litigieux (Civ. 1re, 13 mars 2024, n° 22-20.216).
D’autre part, puisqu’il ne pourrait réussir à démontrer le défaut de remise des fonds, Franck peut encore tenter d’obtenir la nullité du prêt en démontrant la violence dont il aurait été victime. Pour échapper à son obligation de remboursement, il devra alors prouver la violence morale qu’il aurait subie au point de souscrire contre son gré la reconnaissance de dette litigieuse. Ce vice étant, dans la pratique jurisprudentielle, rarement caractérisé, il est peu probable, au vu des prétendues « pressions » exercées par le courrier qui lui a été adressé, qu’il sera retenu. En ce sens, dans la même décision précitée, les juges avaient tenu compte du courrier adressé par le prêteur malgré sa postérité, jugée indifférente, à la reconnaissance de dette de l’emprunteur, qui le menaçait d’exclusion d’une communauté religieuse à laquelle les deux parties appartenaient. Cependant, ils avaient refusé d’admettre que ce courrier révélait une contrainte suffisante pour caractériser une violence morale exercée au moment de l’acte (Civ. 1re, 13 mars 2024, préc.).
■ Conclusion : Désiré et Adhémar devraient sans difficultés obtenir le remboursement des fonds prêtés.
Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz
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