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Le cas du mois

Prêter, monnayer, abuser ?

[ 27 juin 2018 ] Imprimer

Droit des obligations

Prêter, monnayer, abuser ?

Lassés des orages du dernier mois de mai, Désiré et Adhémar rêvaient de soleil et de cocotiers… Après avoir plusieurs fois échangé à ce sujet avec l’un de leurs très proches amis réunionnais, ils ont décidé d’acheter un appartement sur cette île dont la beauté ne cessait de leur être vantée par leur ami…

Mais évidemment, ce projet ayant un coût, ils n’avaient pas d’autre choix que celui d’emprunter. Afin de bénéficier d’un taux d’intérêts favorable, ils ont souscrit un prêt libellé en francs suisses et remboursable en euros. 

Ainsi, dans l’offre de prêt qui leur avait été préalablement soumise, avait-il été expressément stipulé que « le prêt, objet de la présente offre, est un prêt de francs suisses, le montant du crédit étant de 460 000 francs suisses. Ne s'agissant pas d'une opération de crédit international, vos versements au titre de ce prêt libellé en francs suisses ne peuvent être effectués qu'en euros pour un remboursement de francs suisses ». 

Par ailleurs, étaient précisées dans cette offre toutes les modalités de conversion en euros des échéances dudit prêt ainsi que le risque que la variabilité du taux de change allongeât la durée du prêt. C’est sur la base de cette offre et de cette dernière mention que Désiré et Adhémar entendent remettre en cause l’emprunt qu’ils viennent de souscrire. Ils considèrent en effet que la clause indexant le montant du remboursement du prêt sur la variation du taux de change euro/ franc suisse, dès lors qu’elle peut avoir pour effet d'allonger la durée du prêt et ainsi, d'augmenter sans limite réelle le montant du capital à rembourser comme celui de leurs échéances, est abusive. 

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Désiré et Adhémar ont signé un contrat de prêt dont une clause leur semble abusive en raison du risque d’allongement de la durée du prêt qu’elle implique, le prêt libellé en francs suisses étant remboursable en euros.

Deux emprunteurs souscrivent un prêt de francs suisses dont les échéances sont remboursables en euros. Ils invoquent la nullité de la clause contractuelle prévoyant l’indexation du prêt sur la valeur du franc suisse, cette clause d’indexation présentant un risque de change déséquilibrant abusivement, à leur détriment, les droits et obligations des parties au contrat.

La clause d’un prêt stipulant que ce dernier est indexé sur la valeur du franc suisse et que le montant des échéances sera remboursable en euros est-elle abusive ? 

L'article L. 212-1 du Code de la consommation (anc. art. L. 132-1) relatif aux clauses abusives énonce que « dans les contrats conclus entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ». Ainsi le droit de la consommation prévoit-il de corriger le déséquilibre économique inhérent au contrat d’adhésion en réputant non-écrites les clauses dont l’abus réside dans le déséquilibre par elles créé dans les droits et obligations respectives des parties. Le critère de l’abus est double : il réside d’une part dans le déséquilibre significatif crée par le contrat entre les droits et obligations de chacune des parties au contrat et, d’autre part, dans la qualité du contractant qui le subit, le consommateur ou non-professionnel.

Cependant, à l’effet de préserver le principe de la liberté contractuelle ainsi que celui de la validité des contrats lésionnaires, (hormis les exceptions prévues par le code civil : partage, etc…), le texte limite le pouvoir de contrôle judiciaire de l’abus en excluant de son champ, notamment, l’objet principal du contrat, entendu, avant que la réforme de 2016 renouvelle la notion en parlant de « prestation » , comme l’objet des obligations souscrites par chacune des parties au contrat. En effet, l'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa du texte précité ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. Le contrôle du juge ne peut aller jusqu’à une sanction de la lésion ou de ce à quoi le débiteur s’est principalement obligé. 

En l’espèce, il convient tout d’abord de s’interroger sur le point de savoir si la clause d’indexation constitue effectivement l’objet du contrat ou si elle correspond seulement à une modalité d’exécution du contrat affectant le mode de financement du crédit. En effet, pour qu’un contrôle judiciaire de l’abus soit possible, il faudrait pouvoir soutenir que l’objet principal du contrat est la fourniture d’un crédit pour l’achat d’un bien immobilier, et non une convention de change. Cependant, les termes de la stipulation de l’offre de prêt reproduite dans l’énoncé (« le prêt, objet de la présente offre, est un prêt de francs suisses »), visant à présenter le crédit souscrit, semble indiquer que davantage qu’une simple modalité d'exécution du prêt, la clause d’indexation constitue bien l'objet principal, l'élément essentiel, du contrat, qui est l'octroi d'un prêt libellé en francs suisses.

Quant à la clarté et à l’intelligibilité des termes de l’offre, celle-ci indiquait a priori sans ambiguïté que le remboursement en euros du prêt libellé en francs suisses dépendait d'un taux de change qui n'était pas immuable, en sorte que son impact sur la durée du prêt et donc sur l’étendue du remboursement de ses échéances paraît ressortir clairement de ses stipulations. 

En définitive, la clause ne pourrait donc être contrôlée au titre des clauses abusives dès lors qu’elle porte sur l’objet principal du contrat et que sa rédaction semble suffisamment claire et précise quant aux conséquences de son exécution. De surcroît, le déséquilibre doit s'apprécier à la date de conclusion du contrat et non en cours de son exécution.

Aussi, dans un arrêt récent dont les faits rappellent ceux énoncés, la Cour de cassation a jugé, à propos de la validité d’un prêt structuré consenti à des particuliers et en vertu de la règle selon laquelle le contrôle des clauses abusives ne concerne pas celles qui portent sur l'objet principal du contrat, pour autant qu'elles soient rédigées de façon claire et compréhensible, que la clause soumise à son examen, en ce qu'elle prévoyait la conversion en francs suisses du solde des règlements mensuels après paiement des charges annexes du crédit, définissait d’une part l'objet principal du contrat et, d'autre part, était rédigée en des termes clairs et compréhensibles, notamment en ce qu’elle précisait expressément que l'amortissement de ce prêt devait être opéré par la conversion des échéances fixes payées en euros selon un taux de change présenté comme étant susceptible d'évoluer à la hausse ou à la baisse, avec pour potentiel effet d’entraîner l'allongement ou la réduction de la durée d'amortissement du prêt et, le cas échéant, de modifier la charge totale de remboursement (Civ. 1re, 3 mai 2018, n° 17-13.593). 

Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz

 

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