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Le cas du mois
Droit des obligations
Professeur ou promoteur ?
Alors que Désiré et Adhémar se réjouissaient de reprendre le cours normal de leurs études de droit, ils eurent la mauvaise surprise, une semaine à peine après la rentrée universitaire, d’apprendre que leur professeur de droit civil continuerait d’enseigner à distance, non pour des raisons sanitaires, mais judiciaires…
En effet, ils apprirent que ce dernier était, depuis plusieurs mois déjà, impliqué dans un lourd contentieux immobilier qui l’accaparait au point de ne plus trouver le temps suffisant pour se rendre à la fac dispenser ses cours. De mauvaises langues laissèrent courir le bruit que leur professeur était davantage intéressé par l’argent que par le sort de ses étudiants…
Après s’être renseignés sur la teneur exacte de ses activités privées, nos deux comparses apprirent qu’avec l’aide de plusieurs professionnels (un notaire pour les questions juridiques et financières et une société, pour le suivi des travaux et la commercialisation de son propre lot), leur professeur d’université avait projeté de réaliser une opération de promotion immobilière de logements à des fins commerciales.
Dans cette perspective, il avait fait appel à un architecte qui, en fin d’année 2018, l’avait assigné en paiement d’un solde d’honoraires que leur professeur s’était gardé de payer. Cependant, ils eurent sur Légifrance la confirmation de ce que leurs camarades d’université leur avaient révélé, à savoir que leur professeur s’en était « bien tiré en appel », la cour ayant jugé, sur le fondement du droit de la consommation, que l’action engagée par son architecte était prescrite.
Mais en poursuivant leurs investigations, Désiré et Adhémar comprirent pourquoi leur enseignant continuait d’être accaparé par ce procès, dont il n’était pas prêt d’être libéré : en effet, son architecte a formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt d’appel, contestant la qualité de consommateur ayant été reconnue à leur professeur alors qu’il avait de toute évidence agi à des fins commerciales : se rappelant le nombre d’heures de cours consacrées l’année passée aux débats sur la notion de consommateur, les deux cousins devinaient que ce procès, accaparant leur enseignant, promettait d’être long.
En attendant de retrouver les bancs de la faculté, ils aimeraient saisir les termes du problème advenu à leur enseignant, dont ils ont oublié l’essentiel des éléments de réponses en raison, déplorent-ils, des insuffisances de l’enseignement à distance. Ils comptent alors sur vous pour les aider à savoir en quelle qualité leur professeur doit, dans cette affaire, être considéré car de cette qualité dépendra celle de l’enseignement qui leur sera dispensé, et qu’ils aimeraient, enfin, retrouver.
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Sélection des faits : En 2018, un architecte assigne en paiement d’honoraires le professeur de droit de Désiré et d’Adhémar, lequel avait projeté une opération de promotion immobilière de logements à des fins commerciales. Son action ayant été jugée prescrite en appel, cet architecte forme un pourvoi en cassation pour contester l’application au litige du délai de prescription prévu par le code de la consommation considérant que leur professeur, ayant agi à des fins commerciales, ne peut être considéré, dans cette affaire, comme un consommateur.
Qualification des faits : En 2018, un architecte assigne un client en paiement d’honoraires dus au titre d’un projet de promotion immobilière de logements à des fins commerciales, activité dans laquelle ce dernier, professeur des universités, était profane. Son client lui oppose, en qualité de consommateur, la prescription prévue dans ce cas par le Code de la consommation, ce que la cour d’appel saisie admet pour déclarer l’action engagée par le professionnel irrecevable comme prescrite. L’architecte forme alors un pourvoi en cassation pour contester l’application au litige du code de la consommation considérant que son cocontractant, ayant agi à des fins commerciales, doit être considéré comme un professionnel insusceptible de profiter du délai de deux ans légalement prévu au seul profit du consommateur.
Problème de droit : Malgré la finalité commerciale de son projet, le client, profane en immobilier, peut-il être considéré comme un consommateur et bénéficier en cette qualité de la prescription biennale du code de la consommation ?
Majeure
■ Aux termes de l'article L. 218-2 (anc. art. 137-2) du Code de la consommation, l'action des professionnels pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs se prescrit par deux ans, et cette prescription biennale n'est applicable à la demande en paiement formée par un professionnel contre une personne physique que si cette dernière a eu recours à ses services à des fins qui n'entrent pas dans le cadre d’une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole.
Si au contraire, la demande en paiement prend sa source dans le cadre de la liste des activités précitées, le client ne peut plus être considéré comme un consommateur mais comme un professionnel et le texte applicable est alors l’article L. 110-4 du Code de commerce, qui prévoit une prescription quinquennale.
C’est donc dire, d’une part, que seuls les consommateurs peuvent invoquer la prescription biennale prévue par le Code de la consommation et que, d’autre part, la finalité de l’activité projetée est déterminante de la qualification à retenir, l’activité principale de la personne physique étant en ce cas reléguée au second plan.
■ Ces règles applicables à la prescription sont en tous points conformes à la notion restrictive de consommateur communément retenue par le législateur européen et national : l'article 2 de la directive 2011/83/UE du 25 octobre 2011 et l'article liminaire du Code de la consommation définissent en effet le consommateur, partie faible au contrat, comme toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre d’une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale.
■ Cette définition implique que le juge retienne une approche in abstracto de la qualité du contractant considéré, dépendante de la seule activité exercée. Ainsi, dès lors qu’un particulier agit à des fins commerciales, il doit être considéré comme un professionnel, quand bien même serait-il profane dans l’activité en cause (v. par ex. Civ. 1re, 6 déc. 2017, n° 16-24.149, qui écarte la qualité de consommateur en présence d’un particulier qui emprunte pour financer une activité professionnelle, même s’il exerce cette activité à titre accessoire et par l’intermédiaire d’un professionnel).
Mineure
En l’espèce, le professeur des cousins, Désiré et d’Adhémar, devrait donc être considéré comme un professionnel. Bien que concrètement, il soit un profane de l’immobilier, l’approche abstraite qui domine le droit positif, à l’appui du critère exclusif tiré de la finalité commerciale de l’activité considérée, justifierait de le traiter comme un professionnel.
C’est d’ailleurs bien cette seconde approche que la Cour de cassation a récemment adoptée pour censurer, dans une affaire proche de celle relatée, l’analyse d’une cour d’appel qui, s’étant attachée à apprécier le rôle concret qu’un professeur d’université avait joué dans l’opération immobilière qu’il avait entreprise pour savoir s’il demeurait profane dans cette activité, en avait conclu à sa qualité de consommateur et à la prescription corrélative de l’action de son architecte, au motif que si l’opération projetée avait bien pour objet la promotion immobilière de logements à des fins commerciales, cette finalité commerciale n’était pas suffisante pour le considérer comme un promoteur immobilier de fait, et lui conférer ainsi la qualité de professionnel. Pour lui reconnaître au contraire la qualité de consommateur, la cour d’appel avait également ajouté que le client, professeur des universités de son état et profane en immobilier, s’était par ailleurs fait accompagner de partenaires professionnels pour la bonne réalisation de ce projet, ce qui confirmait son statut de profane dans le domaine d’activité considéré. Au contraire, la Cour de cassation a abstraitement déduit sa qualité de professionnel de la seule finalité commerciale du projet qu’il avait nourri (Civ. 1re, 30 juin 2021, n° 19-23.675).
Conclusion
En cassation, les juges appliqueront très probablement à l’action en paiement engagée par l’architecte du professeur des cousins la prescription quinquennale prévu par le Code de commerce. Expirant en 2023, cette action, non prescrite, sera donc jugée recevable et il reviendra alors aux Hauts magistrats d’en examiner le bien-fondé. Le procès n’est donc pas prêt de s’achever, et nos deux comparses devront encore patienter quelques temps avant de retrouver leur professeur dans l’enceinte de l’université.
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