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Le cas du mois
Droit de la famille
Querelle de parents sur la garde d’une enfant
Désiré et Adhémar s’apprêtent à partir en cours lorsqu’ils croisent leur voisine Eléonore qui est effondrée. Son ex-conjoint, Marc, est parti vivre dans le sud et veut la garde de sa fille.
Eléonore, qui avait des horaires décalés, a demandé à ce que son temps de travail soit réaménagé afin de pouvoir s’occuper de leur fille, Lola, 7 ans. Sa demande avait été acceptée, elle abordait donc sereinement la rentrée. Pourtant, à la fin du mois d’août, Marc a annoncé à Eléonore que leur fille ne reviendrait pas pour la rentrée des classes. Il avait décidé qu’elle resterait vivre dans le sud et il l’avait scolarisé à côté de chez lui. Eléonore s’est opposée à cette décision. Elle a saisi le juge aux affaires familiales qui a rendu une décision ordonnant le retour de Lola au domicile de sa mère. Elle pensait que tout reviendrait à la normale. Toutefois, elle vient d’apprendre que Marc a formé un recours contre la décision du juge aux affaires familiales. Il soulève trois arguments :
Tout d’abord, il reproche au juge aux affaires familiales de ne pas avoir fait droit à sa demande d’audition de Lola qui, selon ses dires, n’aime pas le nouvel ami de sa mère.
Il remet également en cause la fixation de la résidence de l’enfant au domicile de sa mère.
Enfin, il s’oppose à ce que la sortie du territoire soit soumise à l’autorisation des deux parents.
Elle demande à Désiré et Adhémar si Marc a des chances d’obtenir gain de cause.
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L’article 373-2 du Code civil pose le principe selon lequel le changement de résidence de l’un des parents, lorsqu’il modifie l’exercice de l’autorité parentale, doit faire l’objet d’une information préalable et en temps utile de l’autre parent. En cas de désaccord, c’est au juge aux affaires familiales de statuer selon ce qu’exige l’intérêt de l’enfant. Le juge pourra donc sur ce fondement décider de la résidence habituelle de l’enfant.
Trois questions doivent être soulevées. Tout d’abord, le juge aux affaires familiales doit-il nécessairement faire droit à la demande d’audition de l’enfant faite par l’un des parents. Ensuite, il convient de s’interroger sur les éléments pris en compte pour déterminer la résidence de l’enfant. Enfin, il s’agit de rechercher si le juge aux affaires familiales est compétent pour soumettre la sortie du territoire de l’enfant à l’autorisation des deux parents.
L’audition de l’enfant
L’article 338-1 du Code de procédure civile dispose que le mineur capable de discernement a le droit d’être entendu dans toutes les procédures qui le concerne. L’article 338-4 alinéa 2 du même code précise que « lorsque la demande est formée par les parties, l’audition peut également être refusée si le juge ne l’estime pas nécessaire à la solution du litige ou si elle lui parait contraire à l’intérêt de l’enfant ».
En l’espèce, Marc demande l’audition de sa fille de 7 ans afin qu’elle explique qu’elle n’apprécie pas le nouveau compagnon de sa mère.
Se pose tout d’abord la question de la capacité de discernement de l’enfant. Elle n’est ici âgée que de 7 ans. On pourrait imaginer que son jeune âge puisse, en soit, constituer une cause de refus d’audition. Toutefois, la Cour de cassation a récemment eu l’occasion de rappeler que le seul âge de l’enfant ne suffit pas à expliquer en quoi celui-ci n’est pas capable de discernement (Civ. 1re, 18 mars 2015, n° 14-11.392). Elle pourrait donc, si le juge l’estimait dotée du discernement suffisant être entendue.
Il conviendrait alors de démontrer que l’audition de la jeune fille est nécessaire à la solution du litige et ne contrevient pas à son intérêt. Ces considérations sont laissées à l’appréciation du juge aux affaires familiales.
En l’espèce, Marc estimait que l’audition de sa fille était nécessaire à la solution du litige et dans son intérêt dans la mesure où elle permettrait de mettre en évidence l’absence d’affinité entre l’enfant et le nouveau compagnon de sa mère.
Le juge aux affaires familiales peut donc refuser d’entendre l’enfant lorsqu’il estime que cela n’est pas utile à la solution du litige. Ainsi, s’il dispose d’éléments suffisants pour statuer, il pourra épargner à l’enfant cette procédure. La Cour de cassation a eu l’occasion de statuer dans ce sens dans un arrêt du 16 décembre 2015 (Civ. 1re, n° 15-10.442). Elle a considéré que le juge disposait d’éléments suffisant pour statuer et que l’enfant, seulement âgée de 7 ans, devait être préservée autant que possible du conflit familial dont elle avait déjà subi les conséquences lors de la rentrée des classes.
La détermination de la résidence de l’enfant
En l’absence d’accord entre les parents, c’est au juge aux affaires familiales de statuer sur le lieu de résidence de l’enfant. Il prendra notamment en considération « l’aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et à respecter les droits de l’autre (C. civ., art. 373-2-11, 3°). A ce titre, l’article 373-2 du Code civil pose également un principe selon lequel « chacun des parents doit maintenir des relations personnelles avec l’enfant et respecter les liens de celui-ci avec l’autre parent ».
En l’espèce, Marc avait unilatéralement décidé de scolariser sa fille dans le sud. Il n’en avait pas parlé à Eléonore, qui avait pris ses dispositions, notamment en changeant ses horaires de travail, pour s’occuper de sa fille.
Le juge aux affaires familiales décidera de la résidence en prenant en compte l’attitude de chacun des parents et vérifiera si le cadre de vie proposé est équilibrant. La décision tend à permettre à chacun d’exercer ses devoirs de parents dans le respect de ceux de l’autre. Or, Marc avait en septembre décidé unilatéralement du lieu de résidence de Lola sans prendre en considération l’avis de son ex-conjointe, alors que celle-ci avait adapté ses horaires de travail afin d’être présente pour sa fille. Dans la mesure où il ne semble pas respecter les droits d’Eléonore, il paraît probable que le juge maintiendra sa décision. Eléonore se verrait attribuer la résidence habituelle de leur fille. Un arrêt de la Cour de cassation du 16 décembre 2015 adopte cette position (Civ. 1re, n° 15-10.442).
L’autorisation de sortie du territoire
L’article 373-2-6, alinéas 2 et 3 du Code civil dispose que le juge peut prendre les mesures permettant de garantir la continuité et l’effectivité des liens de l’enfant avec ses parents. Il peut notamment ordonner l’interdiction de sortie du territoire de l’enfant sans l’autorisation de ses deux parents.
En l’espèce, Marc s’oppose à ce que cette mesure soit prononcée.
L’exigence de l’autorisation des deux parents pour la sortie du territoire a pour but d’éviter que des enfants soient séparés d’un parent, l’autre l’ayant emmené vivre à l’étranger. En l’espèce, Marc a déjà déterminé unilatéralement le changement de résidence de Lola, sans en informer sa mère. Cette mesure semble donc utile et devrait être maintenue.
Références
■ Civ. 1re , 18 mars 2015, n° 14-11.392, D. 2015. 1919, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ fam. 2015. 282, obs. S. Thouret ; RTD civ. 2015. 352, obs. J. Hauser.
■ Civ. 1re, 16 déc. 2015, n° 15-10.442, D. 2016. 8
■ Sur la méthodologie du cas pratique : https://www.youtube.com/watch?v=kumFpVspaXU
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