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Le cas du mois
Qui est responsable ?
La rentrée vient à peine de commencer et Désirée et Adhémar se trouvent déjà pris dans une nouvelle tourmente familiale…
Leur cousin Aurélien, dont le parcours a toujours été chaotique, avait été pris en charge, en accord avec son père, par le service de l’aide sociale à l’enfance (ASE) de leur département de 1994 à 2000, en vertu de contrats de placement signés avec le président du conseil général. Il avait été reconnu coupable par la cour d’assises des mineurs du département de faits commis en 1998 et 1999 et condamné à indemniser la représentante légale de sa victime mineure des préjudices subis. Un fonds de garantie ayant réglé les indemnités dues, un premier juge avait condamné solidairement le père d’Aurélien et son assureur à rembourser ces sommes au fonds de garantie, puis l’assureur avait obtenu devant un second juge la condamnation du département à lui verser la somme exposée du fait de la réparation des préjudices causés par Aurélien, au motif que la prise en charge de ce dernier par l’ASE avait eu pour effet de transférer la responsabilité des dommages qu’il avait causés au département. En appel, le jugement avait été annulé en raison du fait qu’au moment où il avait agi, Aurélien était temporairement domicilié chez ses parents en sorte que la responsabilité du département ne pouvait être engagée. Le président du conseil départemental est néanmoins inquiet car il vient d’apprendre que l’assureur du père d’Aurélien entend se pourvoir en cassation pour que sa responsabilité soit, conformément au premier jugement rendu, engagée. Or il ignore qui doit répondre des actes d’Aurélien et s’interroge plus particulièrement sur son éventuelle responsabilité. Le rassure néanmoins le fait qu’Aurélien avait seulement fait l’objet d’un placement partiel au sein de l’ASE, ce qui explique qu’Aurélien revienne régulièrement au domicile familial, ce qui était le cas au moment des faits, ces derniers s’étant produits alors qu’Aurélien résidait chez ses parents. Il en appelle cependant à vos connaissances juridiques pour y voir un peu plus clair et dissiper définitivement son inquiétude.
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Les faits de l’espèce posent la question de l’identification de l’entité responsable des faits dommageables d’un mineur pris en charge partiellement par un établissement public tel que le service de l’aide sociale à l’enfance.
Rappelons au préalable qu’avant de rendre son arrêt du 29 mars 1991, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation s’était trouvée saisie de la question de savoir si l’article 1384, alinéa 1er du Code civil contenait un principe de responsabilité du fait d’autrui indépendamment des cas visés par les alinéas 4 et suivants de ce même article. La raison en était que les conditions dans lesquelles un certain nombre de personnes handicapées, soignées dans des établissements spécialisés, avait contribué à renouveler la réflexion. Ces personnes, soignées en régime semi-ouvert, étaient pris en charge par des associations durant la journée. Ce mode de rééducation génère inévitablement des risques puisque ces personnes étant à la fois dangereuses et en régime semi-ouvert, elles sont susceptibles de causer des dommages. Cette prise en charge éducative par ce type d’associations a posé la question de l’élargissement des cas d’engagement de la responsabilité du fait d’autrui afin que ces associations soient considérées comme responsables en cas de dommages. Or aucun texte ne permettait que ces associations soient tenues pour responsables dans le cas où l’une des personnes dont elles assurent la rééducation commette un dommage. C’est l’arrêt Blieck qui consacra un principe de responsabilité du fait d’autrui reposant sur l’article 1384 alinéa 1er (Assemblée plénière, 29 mars 1991). Il s’agissait d’un centre d’aide qui recevait des handicapés mentaux dans un milieu protégé tout en réservant à ces derniers une totale liberté de circulation dans la journée. La Cour de cassation a jugé dans cet arrêt que l’association devait répondre de son pensionnaire, réparer les dommages qu’il avait causés dès lors que l’association avait accepté la charge d’organiser et de contrôler à titre permanent le mode de vie de cette personne. Dans l’arrêt Blieck, la Haute cour s’est fondée sur l’idée de pouvoir détenu par l’établissement. C’est l’existence de ce pouvoir qui justifie l’obligation de réparation. La charge du risque est la contrepartie de ce pouvoir et justifie cette responsabilité générale du fait d’autrui. L’arrêt Blieck pose deux conditions d’engagement de cette responsabilité : le responsable doit tout d’abord avoir accepté une obligation ; le pouvoir sur autrui doit résulter d’une obligation acceptée par l’établissement qui l’exerce. Ensuite, le pouvoir qui est exercé sur autrui « doit être celui d’organiser et de contrôler le mode de vie de celui-ci ». Puis dans un arrêt rendu par la chambre criminelle le 26 mars 1997, les juges, concluant à la responsabilité de l’établissement pour des motifs semblables à ceux de l’arrêt Blieck, ont ajouté qu’il s’agissait d’une responsabilité de plein droit, la responsabilité de l’établissement devant être engagée « sans qu’il soit besoin de caractériser une faute commise par le gardien ».
En l’espèce, l’acceptation de l’exercice d’un pouvoir sur Aurélien par l’ASE du département ne fait pas de doute. Celle-ci ressort sans ambiguïté des contrats de placement qui ont été signés. La seconde condition, relative à l’organisation et au contrôle du mode de vie, est également remplie. En effet, l’ASE est un service départemental placé sous l'autorité du président du Conseil départemental. Sa mission principale consiste à venir en aide aux enfants et à leur famille par des actions de prévention individuelle ou collective, de protection et de lutte contre la maltraitance. Quand un mineur ne peut rester dans sa famille, l’ASE le place soit dans une famille d'accueil agréée soit dans un établissement pour enfants à caractère social. L'article L. 221-1 du Code de l'action sociale et des familles liste les missions de l’ASE et notamment celle de pourvoir à l'ensemble des besoins des mineurs confiés au service et de veiller à l’orientation et à la direction de leur mode de vie, en collaboration avec leur famille ou leur représentant légal. En ce sens, l’ASE devrait répondre des actes commis par Aurélien et engager, de plein droit, sa responsabilité. En revanche, le critère de la permanence du contrôle et de l’organisation du mode de vie pourrait faire défaut, Aurélien ayant fait l’objet d’un placement au sein de cet organisme qui n’était que partiel.
Néanmoins, le Conseil d’État a récemment rendu une décision (1er juill. 2016, Sté Groupama Grand Est, n° 375076) dans laquelle il a précisé les modalités d’engagement de la responsabilité des départements du fait des agissements d’un mineur placé à temps partiel, sur décision administrative, pour des faits causés alors que le mineur était hébergé au domicile familial. La section du contentieux a en effet indiqué « qu’il appartient au juge administratif, saisi d’une action en responsabilité pour des faits imputables à un mineur pris en charge par le service d’aide sociale à l’enfance, de déterminer si, compte tenu des conditions d’accueil du mineur, notamment la durée de cet accueil et le rythme des retours du mineur dans sa famille, ainsi que des obligations qui en résultent pour le service d’aide sociale à l’enfance et pour les titulaires de l’autorité parentale, la décision du président du conseil général, devenu conseil départemental […] avec le consentement des titulaires de l’autorité parentale, s’analyse comme une prise en charge durable et globale de ce mineur, pour une période convenue, par l’aide sociale à l’enfance ». La durabilité visée se rapproche de la permanence exigée par le juge judiciaire en sorte que le caractère partiel du placement d’Aurélien ne devrait plus être vu comme un obstacle à l’engagement de la responsabilité de l’ASE. Et dans cette hypothèse, une telle décision « a pour effet de transférer au département la responsabilité d’organiser, de diriger et de contrôler la vie du mineur durant cette période ». Elle précise que « ni la circonstance que la décision de prise en charge du mineur prévoie un retour de celui-ci dans son milieu familial de façon ponctuelle ou selon un rythme qu’elle détermine ni celle que le mineur y retourne de sa propre initiative ne font par elles-mêmes obstacle à ce que cette décision entraîne un tel transfert de responsabilité », en sorte que le fait que les actes dommageables d’Aurélien aient été commis alors qu’il résidait temporairement chez ses parents n’empêche pas l’engagement de la responsabilité du département. Enfin, dans sa décision, le Conseil d’État a précisé, dans le même sens que la jurisprudence Blieck, qu’« en raison des pouvoirs dont le département se trouve, dans ce cas, investi, sa responsabilité est engagée, même sans faute, pour les dommages causés aux tiers par ce mineur, y compris lorsque ces dommages sont survenus alors que le mineur est hébergé par ses parents, dès lors qu’il n’a pas été mis fin à cette prise en charge par le service d’aide sociale à l’enfance par décision des titulaires de l’autorité parentale ou qu’elle n’a pas été suspendue ou interrompue par l’autorité administrative ou judiciaire (…) ». En conséquence, la responsabilité du département devrait donc bien, comme l’espère l’assureur, être engagée.
Références
■ Cass., ass. plén., 29 mars 1991, n° 89-15.231 P, D. 1991. 324, note C. Larroumet ; ibid. 157, chron. G. Viney, obs. J.-L. Aubert ; RFDA 1991. 991, note P. Bon ; RDSS 1991. 401, étude F. Monéger ; RTD civ. 1991. 312, obs. J. Hauser ; ibid. 541, obs. P. Jourdain ; RTD com. 1991. 258, obs. E. Alfandari et M. Jeantin.
■ Crim. 26 mars 1997, n° 95-83.956 P, RTD com. 1997. 480, obs. E. Alfandari.
■ CE 1er juillet 2016, Sté Groupama Grand Est, n° 375076.
Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz
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