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Le cas du mois

Rien n’est jamais définitif !

[ 19 décembre 2017 ] Imprimer

Droit des obligations

Rien n’est jamais définitif !

Malgré leurs récents déboires, Désiré et Adhémar ont gardé l’envie d’entreprendre. Propriétaires d'un appartement qu’un legs familial leur avait permis d’acquérir mais dont les charges étaient devenues, selon eux, abusivement élevées, ils avaient transmis, il y a trois ans déjà, une offre de vente de cet appartement à un ami de la famille, Henri, au prix de 440 000 euros, en mentionnant que leur engagement ne serait définitif qu'à la signature du compromis ou de la promesse de vente établie par notaires, condition dont Henri avait pris acte à ce moment-là.

Ce dernier ne s’étant finalement jamais manifesté, Désiré et Adhémar, demeurant désireux de vendre leur appartement, avaient alors donné un mandat à une société immobilière puis signé, à la fin de l’été dernier, une promesse de vente au bénéfice d’un jeune couple. Et là, coup de théâtre, Henri leur fit enfin signe en leur adressant, le jour même de la conclusion de la vente, une proposition d’achat à un prix bien supérieur que celui initialement fixé : 550 000 euros. Désiré et Adhémar n’y prêtèrent évidemment pas attention, leur bien étant déjà, et enfin, vendu... Contrarié d’être ainsi ignoré, Henri souhaite maintenant les assigner en justice. Outre le fait que sa dernière proposition d'achat aurait été acceptée par eux, Henri se prévaut  du fait que la vente avait dès le départ été conclue entre eux. Ainsi entend-il faire constater par un juge la perfection de la vente et obtenir, en outre, des dommages-intérêts pour rupture fautive des dernières négociations qui se seraient engagées entre les trois protagonistes à la fin de l’été, lorsqu’Henri avait enfin pris la décision de leur faire proposition. Soucieux de cette offensive inattendue de la part d’Henri, resté longtemps inactif, Désiré et Adhémar en appellent à votre analyse pour estimer les chances d’Henri d’obtenir gain de cause et de réussir à remettre en cause la vente de l’appartement qu’ils avaient enfin réussi à conclure. 

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Deux offrants avaient émis une offre de vente d’un appartement au prix de 440 000 euros, précisant cependant que leur engagement ne serait définitif qu’à la signature d’une promesse notariée. Le destinataire de cette offre avait pris acte de cette condition. Il ne se manifesta point. Trois ans plus tard, les offrants, continuant de vouloir céder leur bien, consentirent une promesse de vente à des tiers. Le même jour, le destinataire de l’offre initiale formula une nouvelle proposition d’achat pour un prix de 550 000 euros. Contrarié de l’indifférence affichée des offrants à cette offre, il souhaite les assigner en constatation de la perfection de la vente prétendument conclue à son profit ainsi qu’en paiement de dommages-intérêts pour abus dans la rupture de ce qu’il considère, relativement à sa proposition d’achat, comme des négociations ayant été entamées avec les offrants.

Problèmes de droit : 

1)       L’accord sur la chose et sur le prix suffit-il à former un contrat de vente lorsque les parties ont expressément prévu que la rédaction d’une promesse notariée était une condition déterminante de leur consentement ?

2)       La rupture de pourparlers peut-elle être abusive alors que la proposition adressée n’a pas été acceptée ni même discutée ?

 

1)       Par principe, il suffit, pour qu’un contrat se forme, que les parties se soient entendues sur ses éléments essentiels. Et il en va de même, au stade précontractuel, pour l’offre de contrat, qui doit nécessairement mais seulement comporter « les éléments essentiels du contrat envisagé » (C. civ., art. 1114) pour être ainsi qualifiée. Ainsi, concernant la vente, celle-ci est généralement considérée comme parfaite lorsque les parties sont convenues de la chose et du prix (C. civ., art. 1583). De surcroît, le principe du consensualisme exclut toute contrainte de forme, ce qui facilite la formation du contrat. Cependant, l’accord sur les éléments essentiels du contrat ne suffit pas toujours à former le contrat, du moins à le rendre définitif. En effet, les parties parfois conviennent d’ériger un élément, en principe indifférent, en condition essentielle de leur consentement, lequel ne sera définitif que si cette condition est remplie. La jurisprudence leur reconnaît cette liberté, admettant depuis longtemps, et de manière constante, que la réitération de la vente immobilière par un acte notarié soit érigée en élément essentiel du consentement (V. Civ. 3e, 12 oct. 1994, n° 92-18.156: « Les parties avaient entendu faire de la signature de l’acte authentique la condition même de leur engagement » ; Civ. 3e, 14 sept. 2017, n° 16-20.904 : « (l’offrant ayant) mentionné que son engagement ne serait définitif qu'à la signature d'un engagement notarié, condition dont (le destinataire) avait pris acte, et constaté qu'aucune promesse de vente n'avait été signée, ni aucun autre document dont il ressortirait que les parties eussent renoncé à ce formalisme, la cour d'appel en a exactement déduit que la vente envisagée (...) n'était pas parfaite) ». En l’espèce, les parties – puisque le destinataire de l’offre avait pris acte de la volonté des offrants – avaient érigé un élément généralement accessoire en élément essentiel du contrat définitif, en faisant du caractère notarié de leur accord une condition de forme de la vente définitive : une simple acceptation des éléments ordinairement essentiels (chose et prix) est alors insuffisante à former le contrat définitif. Or rien dans les faits n’indique que cette condition ait été réalisée ; l’engagement n’a, semble-t-il, jamais été formalisé. En conséquence, la vente définitive initialement envisagée n’a donc pu être conclue. Désiré et Adhémar peuvent être, sur ce point, rassurés.

 

2)       Concernant la demande indemnitaire fondée sur une rupture prétendument abusive d’éventuelles négociations, celle-ci présente également peu de chances d’aboutir. En effet, pour qu’une rupture des négociations puisse être jugée abusive, encore faut-il que des pourparlers aient existé. Cela va de soi. Il est donc nécessaire qu’une invitation à entrer en pourparlers ait trouvé écho chez son destinataire : or tel ne semble pas être le cas en l’espèce, où la dernière proposition d’achat adressée par Henri n’a pas, a priori, donné lieu à la moindre réponse de la part de Désiré et d’Adhémar. En l’absence de pourparlers, ceux-ci ne pouvaient pas être abusivement rompus puisque par hypothèse, ils ne pouvaient tout simplement pas être rompus du tout. Ainsi, dans une configuration proche de celle-ci, la Cour de cassation a-t-elle pu déduire de l’absence d’acceptation par les vendeurs de l’offre d’achat formulée par le destinataire de l’offre initiale l’absence de faute de ces derniers (Civ. 3e, 14 sept. 2017, préc.) Autant dire que cette demande d’indemnisation, qui elle mériterait d’être considérée comme abusive, n’a aucune chance d’aboutir.

Références

■ Civ. 3e, 12 oct. 1994, n° 92-18.156.

■ Civ. 3e, 14 sept. 2017, n° 16-20.904 : AJDI 2017. 787.

 

Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz

 

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