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Le cas du mois
Droit de la famille
Se marier pour de faux
Adhémar n’aura pas résisté longtemps à l’envie de retrouver celle dont il s’était follement épris l’été dernier. A peine quelques semaines après avoir renoncé à l’épouser et même à poursuivre leur relation, il ne put s’empêcher de reprendre contact avec sa chère et tendre mythomane.
Dès qu’il la revit, la passion qu’elle lui avait toujours inspirée se confirma, en même temps que sa volonté, née très peu de temps après le début de leur relation, de lui demander sa main. Mais conscient du risque que cette relation ne puisse être qu’éphémère, Adhémar abandonna l’idée d’un mariage officiel. Il songea plutôt à une sorte de célébration festive, à l’étranger, avec pour seuls invités leurs amis et sans toutes les formalités inhérentes aux « vrais mariages », qu’il serait d’ailleurs ravi d’être dispensé d’accomplir.
Lui vint alors l’idée d’un mariage « juste pour rire » à Las Vegas, ville aussi artificielle que la cérémonie qu’il projette, et suffisamment lointaine pour y participer à l’insu de sa famille, à l’exception de son cousin préféré bien entendu, et des organismes d’état civil. L’idée de cette petite fête tout sauf rituelle séduit sa dulcinée, qui peine de toute façon à percevoir les conséquences du moindre engagement… Elle fut en outre ravie, elle qui a coutume de dépenser sans compter, de la perspective de faire la tournée des casinos de cette ville américaine qui la fait autant rêver que les héroïnes de ses séries télévisées préférées qui, souvent, y épousent leur dernier amant. Affaire conclue ! Du moins entre les deux tourtereaux, car Désiré y est, quant à lui, farouchement opposé.
« Mais enfin, un mariage, même à Las Vegas, c’est quand même un mariage ! Je croyais pourtant t’avoir convaincu de ne pas épouser cette folle ! », s’exclama-t-il.
« Mais arrête de t’énerver pour rien, ce sera une juste fête, un mariage « pour le fun », pas un vrai mariage », lui répondit Adhémar.
« Un mariage, c’est toujours sérieux », lui opposa solennellement Désiré.
« Fais comme moi, prend les choses un peu plus à la légère. Ce mariage n’aura de toute façon aucune conséquence », rétorqua Adhémar.
Se marier pour de faux, est-ce possible pour de vrai ?
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■ Sélection des faits : Adhémar souhaite s’unir à sa fiancée sans pour autant conclure un vrai mariage. Dans cette perspective, il voudrait que la cérémonie ait lieu à Las Vegas, sans avertir leurs familles ni les autorités françaises. Quant à sa dulcinée, elle aimerait surtout mettre ce voyage à profit pour aller au casino, attrait principal et légendaire de la ville choisie pour la célébration.
■ Qualification des faits : A l’effet d’atténuer les obligations comme les effets juridiques du mariage, un couple prévoit de célébrer le sien à l’étranger, dans un cadre festif et touristique, en l’absence de leur famille comme de toute autorité publique française, et en se dispensant de toutes les formalités civiles et administratives qu’il devrait en principe accomplir.
■ Problème de droit : Les modalités d’expression des vœux nuptiaux sont-elles libres ou soumises à des conditions susceptibles de priver d’efficacité le mariage des époux qui s’y soustraient ?
■ Majeure : « Il n’y a pas de mariage s’il n’y a point de consentement » (C. civ., art. 146 ; V. aussi art. 202-1 ; Conv. sur le consentement au mariage, art. 1.1). Par exception au droit commun, le mariage n’est pas un contrat consensuel. Le consentement des époux n’est donc pas libre, dans sa forme.
L’expression du consentement est, d’une part, soumise à diverses formalités prénuptiales. Tout d’abord, la constitution d’un dossier, à déposer à la mairie où se déroulera la cérémonie et devant contenir diverses pièces relatives à l’identité et à l’état civil des futurs époux, ainsi que des informations concernant les futurs témoins du mariage (C. civ., art. 63, 70, 71). Ensuite, l’audition des futurs conjoints par l’officier d’état civil est requise (C. civ., art. 63), notamment à l’effet de vérifier la réalité et la sincérité de leur volonté matrimoniale. Enfin, après la remise du dossier et l’audition des fiancés s’impose la publication des bans : à l’initiative de l’officier d’état civil, le projet nuptial est publié par voie d’affiche apposée à la mairie (art. 63), cet affichage devant être maintenu pendant dix jours, le mariage ne pouvant être célébré avant le terme de ce délai (art. 64) ; à visée informative, cette formalité est plus précisément destinée à avertir ceux qui auraient un motif d’opposition à mariage.
L’échange des consentements ne peut, d’autre part, s’opérer en privé, mais seulement en présence d’une autorité publique au sein d’une mairie, autrement dit dans un cadre étatique. « Le mariage (doit être) célébré publiquement lors d’une cérémonie républicaine par (un) officier de l’état civil » (C .civ., art. 165), c’est-à-dire par un maire, un adjoint, ou un conseiller municipal. La réalisation du lien conjugal ne peut donc pas procéder de serments que les époux auraient échangés à l’occasion d’une réunion familiale ou amicale, ni même seulement devant une autorité religieuse. L’échange des consentements est un événement solennisé, au cœur duquel le célébrant, après la lecture obligée de certains textes du code civil (C. civ., art. 75, al. 1er) et l’interrogation des époux sur l’éventuelle conclusion d’un contrat de mariage (C. civ., art. 75, al. 4), « recevra de chaque partie, l’une après l’autre, la déclaration qu’elles veulent se prendre pour époux ». L’assentiment des deux conjoints doit être extériorisé et prend généralement la forme d’un simple « oui » que les deux membres du couple prononcent l’un après l’autre. Ce n’est qu’après l’échange ainsi ritualisé des consentements que le célébrant « prononcera, au nom de la loi, (que les parties) sont unies par le mariage » (C. civ., art. 75, al. 6).
Concernant les unions contractées par des français à l’étranger, deux hypothèses sont à distinguer. Il se peut d’abord que le mariage soit célébré par les autorités diplomatiques et consulaires françaises et dans cette hypothèse, les différentes formalités prescrites par la loi française doivent être respectées (C. civ., art. 171-1, al. 2 et 3). Mais il se peut aussi que les conjoints fassent appel à des officiels étrangers ; le mariage pourra alors « être célébré dans les formes usitées dans le pays de célébration » (C. civ., art. 171-1, al. 1er). Il convient toutefois d’observer que « (le) mariage d’un Français, même contracté à l’étranger, requiert sa présence » (C. civ., art. 146-1). Le législateur a en outre voulu éviter que des nationaux ne profitent ou ne pâtissent de l’insuffisante vigilance ou de l’excessive bienveillance de certaines autorités étrangères pour contracter des unions illicites au regard du droit français. « Lorsqu’il est célébré par une autorité étrangère, le mariage d’un Français doit (donc) être précédé de la délivrance d’un certificat de capacité à mariage » (C. civ., art. 175-2, al. 1er) ; or celui-ci ne pourra être octroyé qu’après l’accomplissement, auprès de l’autorité diplomatique ou consulaire, des formalités prénuptiales qui s’imposent quand l’union est célébrée en France (C. civ., art. 175-2, al. 1er). Les futurs époux ne peuvent donc en principe échapper ni à la constitution d’un dossier, ni à une audition, ni à la publication des bans. Cette impossibilité de dispense est logique au regard de la loi plus générale de droit international privé selon laquelle « les qualités et conditions requises pour contracter mariage sont régies, pour chacun des époux, par sa loi personnelle » (art. 202-1, al. 1er).
Et si l’autorité étrangère découvre des indices sérieux de nullité de l’union envisagée, elle doit saisir le procureur de la République, qui peut alors s’opposer à la célébration (C. civ., art. 171-4). Les autorités étrangères peuvent passer outre ce veto mais dans ce cas, les époux ne pourront obtenir la transcription de leur union sur les registres de l’état civil français (C. civ., art. 171-6) et faute d’une telle consignation, leur mariage encourra la nullité (C. civ., art. 184, 188, 190), laquelle est absolue, et ne sera pas opposable aux tiers dans l’hexagone (C. civ., art. 171-5, al. 1er), comme vient de le rappeler la Cour de cassation dans une affaire semblable à celle relatée (Civ. 1re, 19 sept. 2019, n° 18-19.665 ; rapp. Civ. 1re, 26 sept. 2004, n° 02-17.096 ; Civ. 1re, 29 sept. 2004, n° 03-10.178).
■ Mineure : En l’espèce, les fiancés n’entendent accomplir aucune des formalités requises par la loi française pour se marier, même à l’étranger. Ils souhaitent manifestement se soustraire aux conséquences juridiques attachés à la célébration à laquelle ils disent ne porter aucun véritable crédit. L’autorité américaine qui célèbrera leur mariage n’aura sans doute aucun mal à percevoir les indices révélant l’illicéité, née du défaut de consentement, de l’union projetée : la célébration n’est pour eux qu’un rite sans importance, le voyage a pour l’épouse un but principalement touristique, ils ne souhaitent entreprendre aucune démarche, préalable ou postérieure à l’union, pour rendre celle-ci officielle et exécutoire, enfin, ils n’ont prévu aucun témoin ni prévenu leurs familles respectives, dont on peut donc raisonnablement augurer de l’absence le jour de la cérémonie. En conséquence, si la validité et l’efficacité de leur union pourra être reconnue par la loi locale du lieu de célébration, ce mariage sera, en France, sans aucune valeur. Il sera, d’une part, susceptible d’annulation et, d’autre part, inopposable. Cela étant, ces effets sont conformes au projet des fiancés, qui n’ont pas l’intention de conclure un vrai mariage.
■ Conclusion : Adhémar avait donc raison, il faut savoir prendre les choses à la légère, même (surtout ?) le mariage…
Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz
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