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Le cas du mois

Tout feu, tout flamme

[ 3 juin 2025 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Tout feu, tout flamme

Lassés de l’étroitesse des appartements parisiens, Désiré et Adhémar avaient, en début d’année, quitté la capitale pour emménager en banlieue parisienne, dans une grande maison avec jardin qu’ils louaient pour un loyer relativement modique. 

Annexé à la maison, un garage était également mis à leur disposition, ce qui devait permettre à Désiré, plusieurs fois victime de vols et de dégradations sur son véhicule, de ranger en toute sécurité sa motocyclette. Pour garantir la sécurité de leur nouvelle habitation, les garçons avaient par ailleurs souscrit, peu de temps après la signature du bail, un contrat d'assurance multirisque habitation qui, malheureusement pour Désiré, ne couvrait pas les dommages causés par les véhicules obligatoirement assurés, comme devait l’être sa motocyclette. Or quelques temps après l’installation des cousins, un drame est malheureusement survenu dans le garage de la maison. Alors que Désiré procédait au remplissage du réservoir de carburant de sa motocyclette, stationnée à proximité d’une chaudière à gaz, un trop-plein d'essence se répandit sur le sol, créant une flaque. La mise en route de la chaudière, par l'effet du thermostat, enflamma l'essence répandue, puis la motocyclette elle-même et, après une propagation rapide des flammes, la maison louée fut entièrement détruite. Un épisode terrible pour Désiré, qui a non seulement perdu son logement et son véhicule, mais dû indemniser en conséquence le propriétaire du logement. Et c’est à peine croyable mais ses ennuis ne se sont pas arrêtés là. Après s’être retourné contre son assureur pour obtenir le remboursement des sommes très importantes qu’il avait dû verser, ce dernier lui a opposé l’exclusion conventionnelle de sa garantie, considérant que la motocyclette, soumise à l’assurance obligatoire, était à l’origine du sinistre. Par chance, les juges saisis du litige ont écarté cette exclusion de garantie, estimant que la moto n'était pas impliquée dans l'accident en cause, qui provenait de l’action conjuguée de la flaque d'essence répandue au sol et du déclenchement de la chaudière, et non du véhicule lui-même. Restant convaincu que le véhicule est bien la cause de l’incendie accidentel survenu, l’assureur de Désiré ne peut se satisfaire d’une telle décision, contre laquelle il entend former un pourvoi en cassation. Or Désiré s’inquiète de cette perspective judiciaire, redoutant les chances de succès de son assureur : il se rappelle en effet de la facilité avec laquelle les juges ont tendance à retenir l’implication des véhicules à l’origine, même lointaine, d’un accident de la circulation. Alors pourquoi ne pas admettre que l’incendie provoqué par une flaque d’essence échappée d’un véhicule établit le rôle joué par la moto dans ce qui pourrait alors constituer un accident de la circulation ? À cette question qui le taraude, quels éléments de réponse précis et argumentés pouvez-vous lui apporter ?

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■ Sélection des faits : Désiré louait un garage, à l’intérieur duquel un incendie accidentel est survenu alors qu’il œuvrait sur sa moto : en remplissant de carburant le réservoir du véhicule, une flaque d’essence s’est échappée des tuyaux puis répandue sur le sol ce qui, par l’effet du thermostat déclenché par la mise en route d’une chaudière située à proximité, a provoqué un incendie et détruit non seulement le véhicule mais également la maison à laquelle le garage était annexé. Après avoir indemnisé le propriétaire des lieux, Désiré a assigné son assureur en remboursement des sommes versées, ce qu’il a obtenu en justice. L’assureur conteste cette décision de condamnation à rembourser son assuré alors que le contrat d’assurance qu’ils ont conclu exclut expressément toute garantie pour les sinistres causés par des véhicules soumis à l’assurance obligatoire, ce qui est le cas de la motocyclette à l’origine de l’accident survenu.

■ Qualification des faits : Une personne physique louait un garage annexé à un logement à usage d’habitation. Elle avait souscrit auprès d’une société d’assurances un contrat d’assurance multirisque habitation excluant de la garantie les dommages causés par tout véhicule assujetti à l’assurance automobile obligatoire. Dans le garage de son logement, un incendie accidentel est survenu après que l’assuré eut rempli le réservoir de carburant de sa motocyclette près d’une chaudière à gaz située à proximité du véhicule. Un trop-plein d’essence s’est alors répandu sur le sol et une flaque s’est formée à proximité du deux-roues. La mise en route de la chaudière, par l’effet du thermostat, a enflammé l’essence répandue, puis le véhicule et, après une propagation rapide des flammes, la maison louée a été entièrement détruite. Après avoir été condamné à indemniser son bailleur, propriétaire des lieux, le locataire s’est retourné vers son assureur pour obtenir le remboursement des sommes versées. Les juges ont fait droit à cette demande après avoir écarté l’hypothèse d’un accident de la circulation et, par voie de conséquence, l’exclusion de la garantie invoquée par l’assureur. La cour d’appel a en effet estimé que l’incendie avait été provoqué, non par la motocyclette elle-même, mais par l’action commune de l’écoulement de la flaque d’essence sur le sol et du déclenchement de la chaudière située à proximité. Elle a en conséquence exclu l’implication de la motocyclette dans l’accident. Défendant la thèse inverse, l’assureur entend se pourvoir en cassation pour échapper définitivement à son obligation de garantir le sinistre.

■ Problème de droit : Stationnée dans un garage annexé à une maison d’habitation, une motocyclette est-elle impliquée dans l’incendie provoquant sa destruction, puis celle de la maison, lorsque ce sinistre provient de la flaque d’essence qui s’est échappée du véhicule lors du remplissage de son réservoir, puis répandue sur le sol du lieu de l’accident ?

■ Majeure : Le système mis en place par la loi de 1985 est davantage un régime d’indemnisation que de responsabilité. Il ne s’agit plus, comme en droit de la responsabilité civile, de rechercher un responsable auquel imputer un fait dommageable, mais seulement d’attribuer à un débiteur l’indemnisation le risque accidentel. Afin de favoriser l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation, la « loi Badinter » du 5 juillet 1985 a ainsi écarté toute recherche d’un lien de causalité entre le fait du véhicule terrestre à moteur et le dommage subi par la victime. Devant uniquement être établie par rapport à l’accident, et non par rapport au dommage, l’implication du véhicule diffère donc de la recherche d’un lien causal. La notion d’implication est bien plus large. Il suffit que le véhicule soit intervenu, de quelque manière que ce soit, dans l’accident survenu. Il est en effet de jurisprudence constante qu’un véhicule terrestre à moteur est impliqué dans un accident de la circulation dès lors qu’il a joué un rôle quelconque dans sa réalisation. Le rôle causal ou non, actif ou passif du véhicule, est indifférent pour déterminer le champ d’application de la loi. On ne peut toutefois pas s’empêcher d’observer que le rôle que doit avoir joué le véhicule dans la survenance de l’accident n’est autre que le rôle causal au sens de la théorie de la causalité de l’équivalence des conditions : il n’est certes pas nécessaire que le véhicule ait eu un rôle actif dans l’accident, une intervention passive pouvant suffire, mais il doit au moins avoir eu une incidence sur l’accident, soit qu’il l’ait provoqué, soit qu’il en ait modifié le cours. Il doit donc avoir été l’une des causes de l’accident tel qu’il s’est déroulé, même s’il n’est pas la cause du dommage. 

L’implication du véhicule dans l’accident est irréfragablement établie par le contact entre le véhicule terrestre à moteur et le siège du dommage. En présence d’une chose ou d’une victime heurtée, le véhicule est nécessairement impliqué, sans qu’il soit tenu compte de son mouvement ou de son arrêt. En revanche, la victime doit établir l’implication du véhicule lorsqu’il n’y a pas de contact. La jurisprudence est particulièrement souple, se contentant, conformément à l’esprit de la loi Badinter, d’un rôle quelconque. A ainsi été considéré comme impliqué dans un accident de la circulation un véhicule qui, en raison de dégâts matériels occasionnés par un autre véhicule, s’élança à sa poursuite à vive allure en faisant des appels de phares, la conductrice du véhicule poursuivi en ayant alors perdu le contrôle dans un virage (Civ. 2e, 18 mai 2000, n° 98-10.190). La deuxième chambre civile a également estimé qu’un véhicule de pompiers était impliqué car son conducteur, en sortant de son véhicule et en criant pour donner l’alerte, avait surpris un cycliste (Civ. 2e, 1er juin 2011, n° 10-17.927). Il en fut de même d’un tracteur qui procédait au fauchage du bas-côté de la route, la Cour de cassation ayant insisté sur le fait que son rôle perturbateur n’avait pas à être établi par la victime (laquelle avait perdu le contrôle de sa motocyclette en le dépassant), sauf à ajouter une condition à la loi Badinter (Civ. 2e, 2 mars 2017, n° 16-15.562). Au cours de ces dernières années, la jurisprudence a donc eu tendance à faire une application extensive de la notion d’implication, en l’absence de contact, pour la retenir dans des circonstances où la relation du véhicule avec l’accident est tellement indirecte qu’elle ne serait peut-être même pas jugée causale en droit commun. Toutefois, elle se refuse à admettre que la seule présence du véhicule sur les lieux de l’accident puisse faire présumer son implication, pas plus d’ailleurs que la concomitance entre le fait du véhicule et l’accident. 

Par faveur pour la victime, la notion d’implication est appréhendée avec la même souplesse par les juges dans le cas où l’accident est lié à un objet tombé d’un véhicule terrestre à moteur. Adoptant une même approche extensive de l’implication, la Cour de cassation a, par exemple, déjà eu l’occasion d’affirmer que doit être considérée comme impliquée une balayeuse ayant projeté des gravillons devant le domicile d’une personne, laquelle avait fait une chute quelques instants plus tard en voulant les balayer (Civ. 2e, 24 avr. 2003, n° 01-13.017).

■ Mineure : En l’absence de contact, l’implication de la motocyclette dans l’incendie accidentel survenu n’est pas présumée. Elle doit être prouvée, ce qui revient à rechercher son rôle, quel qu’il soit, dans la survenance du sinistre. Or ce rôle prête ici à discussion. De prime abord, le défaut d’implication du véhicule paraît s’inférer de deux circonstances factuelles dont la réunion pourrait s’avérer déterminante : l’incendie s'est propagé depuis la flaque d'essence qui se trouvait sur le sol et non sur la motocyclette ; l’incendie résulte de l’action conjointe de cette flaque d’essence répandue au sol et du déclenchement de la chaudière placée à proximité du véhicule lui-même, ce qui reviendrait à exclure le rôle joué par la motocyclette dans l’accident. Cependant, le rôle quelconque d’un véhicule dans la survenance d’un accident de la circulation suffisant à établir son implication, il est permis de douter de cette exclusion. En effet, la flaque d’essence provient d’un excédent de carburant qui s’est échappé des tuyaux du véhicule après le remplissage du réservoir, ayant ainsi créé cette flaque inflammable. Or l’on sait que la notion d’implication couvre l’hypothèse d’un objet tombé du véhicule, de telle sorte qu’elle doit pouvoir englober également la matière ou le liquide, telle que l’essence, qui s’échappe du véhicule. Au cas présent, l’incendie est parti de la flaque d’essence répandue sur le sol depuis le véhicule. L’implication du véhicule devrait donc pouvoir être établie, conformément à l’analyse retenue par la deuxième chambre civile dans un arrêt du 3 avril dernier (23-19.534). Dans des circonstances proches de celles rapportées, elle a censuré l’arrêt d’appel ayant exclu toute implication de la motocyclette dans l’incendie accidentel survenu, et ainsi écarté l'application de la loi du 5 juillet 1985 en même temps que l'exclusion de garantie invoquée par l'assureur relative aux dommages causés par tout véhicule assujetti à l'assurance obligatoire. La juridiction du second degré avait constaté que l'incendie était survenu, non pas du fait d'une étincelle provenant de la motocyclette, mais du fait de la flaque d'essence répandue sur le sol depuis les tuyaux de trop-plein du véhicule alors que son propriétaire remplissait le réservoir, cette flaque d'essence s'étant enflammée lors du déclenchement de la chaudière qui se trouvait à proximité du véhicule. La cour d’appel en avait déduit que la motocyclette n'était pas impliquée dans l'accident de la circulation en cause, qui provenait de l’action conjuguée de la flaque d’essence répandue au sol depuis le véhicule et du déclenchement de la chaudière située à proximité. Cassant cette décision au visa de l'article 1er de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, en vertu duquel un véhicule terrestre à moteur doit être considéré comme impliqué dans un accident de la circulation dès lors qu'il a joué un rôle quelconque dans sa réalisation, la Cour de cassation juge qu’un tel constat aurait au contraire dû conduire les juges d’appel à admettre le rôle joué par ce véhicule dans l'accident, et son implication dans celui-ci. 

■ Conclusion : Malheureusement pour Désiré, il est fort probable que l’implication de son véhicule dans l’accident soit retenue et par voie de conséquence, la garantie du sinistre survenu exclue en application de la clause élusive de la garantie stipulée au contrat d’assurance.

Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz

 

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