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Le cas du mois
Un acheteur bien informé en vaut deux
Depuis plusieurs mois, Désiré et Adhémar souhaitaient devenir propriétaires. Leur ami, André Le Vôtre, Architecte, leur a fait savoir qu’une maison, située sur une jolie parcelle boisée était en vente. Il avait participé à un projet d’aménagement de cette maison en 2007.
Après l’avoir visitée, Désiré et Adhémar sont sous le charme. Afin de profiter au mieux de la vue, ils souhaitent faire une extension. Pour savoir si leur projet est viable, ils se rendent à la mairie fin août et apprennent à cette occasion qu’une enquête publique vient d’être ouverte suite à la modification du plan local d’urbanisme envisagé par la mairie. Cela confirme ce qu’André leur avait dit, ces réflexions étant déjà en cours il y a 8 ans lorsqu’il avait travaillé sur l’aménagement de la maison. Ils apprirent également de ce rendez-vous à la mairie que dans le cadre de ce projet, la parcelle boisée pourrait devenir constructible.
Ils décident de se lancer dans ce premier achat immobilier et signent une promesse de vente le 8 septembre 2015. Ils procèdent, le 30 septembre, au dépôt d’un permis de construire afin de pouvoir commencer au plus vite les travaux d’extension après la réitération de la vente, celle-ci n’étant qu’une simple formalité.
Malheureusement, ils apprennent que le vendeur s’oppose à la réitération de la vente. Il reproche à nos deux comparses de ne pas avoir porté à sa connaissance les projets de modification du plan local d’urbanisme qui rendraient la surface boisée constructible. Pour prouver la mauvaise foi des acheteurs, il invoque le fait que le permis de construire a été déposé sans qu’il ne soit averti.
Il souhaite obtenir la nullité de la vente sur le fondement du dol. Désiré et Adhémar, persuadés d’être dans leur bon droit, l’assignent en perfection de la vente. Obtiendront-ils gain de cause ?
■ ■ ■
Désiré et Adhémar ont signé une promesse synallagmatique de vente portant sur une maison située sur une parcelle boisée. Souhaitant faire une extension de la maison et ils se sont rendus à la mairie pour s’informer de la viabilité de leur projet. A cette occasion, ils ont appris qu’une enquête publique portant sur une éventuelle modification du plan local d’urbanisme venait d’être ouverte. Après la signature de la promesse, ils ont déposé leur permis de construire.
Le dol, prévu à l’article 1116 du Code civil est une erreur provoquée par les manœuvres du cocontractant et qui est déterminante du consentement de la victime. Le dol ne se présume pas. Dès lors, il appartient à celui qui l’invoque de le prouver (C. civ., art. 1315).
La réticence dolosive est admise comme une « manœuvre » (Civ. 3e, 15 janv. 1971, n° 69-12.180). Le fait de reprocher le silence à un contractant implique nécessairement qu’il soit reconnu comme débiteur d’une obligation d’information (Civ. 1re, 4 juin 2009, n° 08-13.480). Pour obtenir la nullité sur ce fondement, le demandeur devra prouver, d’une part le manquement à l’obligation d’information et d’autre part, le caractère intentionnel du silence gardé sur cette information (Com, 28 juin 2005, n° 03-16.794).
Il faut se demander si le vendeur peut invoquer une réticence dolosive, c’est-à-dire le fait de ne pas avoir été informé par les acheteurs, Adhémar et Désiré, qu’une modification du plan local d’urbanisme était envisagée par la mairie (Civ. 1re, 28 oct. 2010, n° 09-16.913). Par ailleurs, il faudra s’interroger sur le fait de savoir si la demande de permis de construire, antérieure à la réitération de la vente suffit à prouver l’intention dolosive des acheteurs.
Tout d’abord, il convient de rechercher si les acheteurs étaient débiteurs d’une obligation d’information envers le vendeur. Depuis 1952, il est admis que le dol doit émaner de l’une des parties au contrat. Le vendeur peut donc invoquer une réticence dolosive de la part de l’acheteur. Toutefois, depuis la jurisprudence Baldus (Civ. 1re, 3 mai 2000, n° 98-11.381), aucune obligation d’information ne pèse sur l’acheteur dès lors qu’elle concerne la valeur du bien. Néanmoins, la Cour de cassation a pu approuver des juges du fond d’avoir annulé pour dol de l’acquéreur la vente d’un terrain dont les propriétaires ignoraient la richesse du sous-sol (Civ. 3e, 15 nov. 2000, n° 99-11.203). La situation était différente de l’affaire Baldus. En effet, l’erreur sur la valeur du terrain était due à une erreur sur la substance. Il en résulte que si l’acquéreur peut se taire sur la valeur du bien vendu, il ne peut dissimuler au vendeur les éléments objectifs à partir desquels ce dernier déterminera la valeur. En revanche, une distinction doit être faite selon que l’information était ou non accessible de la même manière aux parties du contrat.
En l’espèce, l’ami architecte de Désiré et Adhémar les avait informés qu’il y a plusieurs années, une discussion avait été menée concernant la modification du plan d’occupation des sols. C’est en se déplaçant en mairie qu’ils ont appris l’ouverture d’une enquête publique.
Aucune obligation d’information légale ne pèse sur les acheteurs d’un bien immobilier. Ils sont seulement tenus de contracter de bonne foi. De plus, l’information dont disposent Désiré et Adhémar, était disponible à la mairie et donc accessible à tous. On peut également ajouter que la modification du plan local d’urbanisme était encore hypothétique puisque l’enquête publique venait seulement de commencer. Par ailleurs, l’ami des deux cousins les avait informés que la discussion était en cours depuis plusieurs années. Il semble donc surprenant que le vendeur, habitant de la commune n’en ai jamais entendu parler. Ainsi, il semble qu’aucune obligation d’information ne puisse être mise à la charge de Désiré et Adhémar. Précisions également que la jurisprudence semble sévère en matière de réticence dolosive puisqu’elle considère que l’acheteur, même professionnel, n’est pas tenu d’informer le vendeur sur la valeur du bien objet de la vente (Civ. 3e, 17 janv. 2007, n° 06-10.442).
En outre, ce qui condamne une action exercée sur ce terrain est le fait que la victime doit prouver que par ses manœuvres dolosives l’auteur a voulu délibérément le tromper ; il s’agit de l’élément intentionnel du dol (« le manquement à une obligation précontractuelle d’information, à le supposer établi, ne peut suffire à caractériser le dol par réticence, si ne s’y ajoute la constatation du caractère intentionnel de ce manquement et d’une erreur déterminante » (Com. 28 juin 2005, n° 03-16.794, ; V. également Civ. 3e, 22 juin 2005, n° 04-10.415).
En l’espèce, les acheteurs avaient déposé un permis de construire en mairie sans en informer le vendeur. Pour ce dernier, cela prouvait l’intention dolosive des acheteurs, qui s’étaient gardés de faire part de leur projet et plus particulièrement de leur connaissance de la probable constructibilité du terrain.
L’information relative à la constructibilité du terrain étant accessible tant aux acheteurs qu’au vendeur. Il n’est donc pas possible de se fonder sur ce fait pour prouver les manœuvres dolosives.
Il semble donc que le vendeur ne pourra pas obtenir la nullité de la promesse synallagmatique de vente. La Cour de cassation a pu dans une affaire similaire juger que la connaissance par les acheteurs de la possible modification du plan d’occupation des sols ne constitue pas une réticence dolosive (Civ. 3e, 16 sept. 2015, n° 14-11.912).
L’article 1589 alinéa 1er du Code civil précise que « la promesse de vente vaut vente lorsqu’il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et le prix ». Dès lors, il convient de considérer, en se fondant sur l’article 1583 du Code civil, que la vente est parfaite et la propriété acquise à l’acheteur.
En l’absence de contestation possible de la promesse, Désiré et Adhémar pourront agir en perfection de la vente.
Références
■ Code civil
■ Civ. 3e, 15 janv. 1971, n° 69-12.180, Bull. civ. III, n° 38.
■ Civ. 1re, 4 juin 2009, n° 08-13.480, D. 2010. 224, obs. S. Amrani Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; AJDI 2009. 726 ; RTD civ. 2009. 506, obs. J. Hauser.
■ Com. 28 juin 2005, n° 03-16.794, Bull. civ. IV, n° 140, D. 2006. 2774, note P. Chauvel ; ibid. 2005. 2836, obs. S. Amrani Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; RTD civ. 2005. 591, obs. J. Mestre et B. Fages.
■ Civ. 1re, 28 oct. 2010, n° 09-16.913, D. 2010. 2580, obs. X. Delpech ; ibid. 2011. 2891, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Gelbard-Le Dauphin ; RDI 2010. 616, obs. P. Malinvaud.
■ Civ. 1re, 3 mai 2000, n° 98-11.381, Bull. civ. I, n° 131, D. 2002. 928, obs. O. Tournafond ; RTD civ. 2000. 566, obs. J. Mestre et B. Fages.
■ Civ. 3e, 15 nov. 2000, n° 99-11.203, Bull. civ. III, n° 171, D. 2002. 928, obs. O. Tournafond ; RTD civ. 2001. 355, obs. J. Mestre et B. Fages.
■ Civ. 3e, 22 juin 2005, n° 04-10.415, Bull. civ. III, n° 137
■ Civ. 3e, 17 janv. 2007, n° 06-10.442, D. 2007. 1051, note D. Mazeaud ; ibid. 1054, note P. Stoffel-Munck ; ibid. 2966, obs. S. Amrani Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; AJDI 2007. 416, obs. S. Bigot de la Touanne ; RTD civ. 2007. 335, obs. J. Mestre et B. Fages
■ Civ. 3e, 16 sept. 2015, n° 14-11.912, AJDI 2015. 797.
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