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Le cas du mois
Droit des obligations
Un aveu à vous faire
Au sein de leur association « Maisons des jeunes en difficulté », Désiré et Adhémar ont fait la rencontre d’un garçon qui s’estime victime d’une double injustice.
La première tient à l’accident dont il a été victime lors d’une séance d’entraînement dans son club de motocyclisme. Conducteur aguerri, il n’a pourtant pas su éviter la collision survenue avec un autre adhérent du club. Son accident l’ayant rendu tétraplégique, il a dû en conséquence faire construire un nouveau logement spécialement adapté à son handicap, ce qui s’est révélé extrêmement onéreux. Il a alors fait appel à la justice pour obtenir de l’auteur de l’accident l’indemnisation des frais résultant de son changement d’habitation. Or la décision rendue en sa défaveur par les magistrats a renforcé son sentiment d’injustice. « La double peine », comme il a coutume de dire. En effet, prétexte pris qu’il aurait admis, dans ses conclusions d’appel, vouloir obtenir des indemnités limitées à l’aménagement spécifique de certaines pièces de son habitation, ne couvrant donc pas l’ensemble du logement, les juges l’ont ainsi privé d’une partie de la réparation à laquelle il avait droit. « Vous avez avoué, m’ont-ils expliqué, comme si j’avais commis un crime ! » s’insurge la jeune victime auprès de nos deux comparses ; « vous-même avez déclaré à l’instance vouloir limiter le montant de votre réparation aux frais exposés pour adapter votre nouveau logement à votre handicap, sans évoquer le coût généré par sa construction », ont-ils jugé utile de me préciser. « Au fond, il s’agit d’un énorme malentendu », ajoute le jeune homme ; « mes conclusions avaient simplement pour but de préciser la nature de mon préjudice, pas de restreindre l’étendue de ma réparation ! ». « Mais tu sais, au civil, ce n’est pas comme au pénal, l’aveu ne vaut pas grand-chose ! », affirme Désiré pour réconforter son nouvel ami. « Tu exagères », tempère immédiatement son cousin, « dans certains cas, l’aveu emporte un certain nombre de conséquences, la preuve ! ». Pour les départager, l’intéressé consent à faire un nouvel aveu : « Vous avez sans doute raison tous les deux car d’après les informations que j’ai pu obtenir, la réponse à la question est complexe ; mais si j’ai bien compris, concernant mon cas personnel, mon aveu ne vaudrait pas grand-chose dans la mesure où je n’ai révélé aucun fait. Ma déclaration était strictement juridique. Or il semblerait que dans cette hypothèse, l’aveu ne peut pas être retenu contre son auteur. Alors je garde espoir, d’autant plus que j’ai la ferme intention de me pourvoir en cassation. Cela dit, je ne suis pas spécialiste. Mais vous qui faites des études de droit, ce problème ne vous évoque rien ? Qu’en pensez-vous ? ». « Ton raisonnement tient la route ! », s’empresse d’affirmer Désiré pour masquer son ignorance. « Mes souvenirs sur ce point sont lointains », confesse pour sa part Adhémar, « mais je vais regarder ça de plus près, je te le promets. Après ce qui t’est arrivé, je ne supporte pas l’idée que tu sois en plus victime d’une telle injustice judiciaire. ».
De votre côté, comment estimez-vous la portée de cet aveu judiciaire et par voie de conséquence, les chances de succès de la victime auprès de la Cour de cassation ?
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■ Sélection des faits : Lors d’un entraînement dans son club sportif, un adhérent a été percuté par une motocyclette. Cet accident l’ayant rendu tétraplégique, la victime fait construire une maison d’habitation dont la surface est adaptée à son handicap. Il assigne en justice l’auteur de l’accident, qui voit sa condamnation à l’indemniser limitée aux frais engagés pour adapter le logement à son handicap, excluant ceux générés par sa construction, conformément à ce qu’aurait déclaré la victime dans ses conclusions.
■ Qualification des faits : À la suite d’un accident l’ayant rendu tétraplégique, une victime fait construire une maison d’habitation dont la surface est adaptée à son handicap. Assigné en justice, le conducteur du véhicule voit sa condamnation limitée à l’indemnisation des frais engagés pour adapter le logement, excluant ceux exposés pour le faire construire, au motif que la victime aurait fait l’aveu judiciaire de circonscrire son indemnisation au seul coût généré par l’adaptation de son logement à son handicap.
■ Problème de droit : 1 / L’aveu judiciaire doit-il nécessairement porter sur un point de fait pour être valablement retenu contre une partie au litige ?
2/ L’appréciation du contenu du préjudice indemnisable par l’une des parties est-elle un élément de fait ou un élément de droit ?
■ Majeure : *L’aveu judiciaire - est une déclaration qui émane d’une des parties à l’instance ou de son représentant. Si la déclaration est faite par un tiers, elle ne constitue pas un aveu, mais un témoignage. Pour exister, et produire des conséquences juridiques, l’aveu doit satisfaire trois conditions. D’abord, la déclaration doit être de nature à favoriser la partie adverse. Ensuite, elle doit résulter de la volonté non équivoque de son auteur. Enfin, elle doit porter sur un fait et non sur des points juridiques. Il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation que la déclaration d’une partie ne peut être retenue contre elle comme constituant un aveu que si elle porte sur des points de fait et non sur des points de droit. Cette dernière condition s’évince de la règle jura novit curia, qui signifie que le droit est l’affaire du juge et ne doit pas être prouvé par les parties. (C. pr. civ, art. 9 et 12). Depuis la réforme du 10 février 2016, la règle se trouve inscrite à l’article 1383 du Code civil, qui dispose que « l’aveu est la déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques ». Cependant, même lorsqu’elle ne peut constituer un aveu, la déclaration d’une partie peut servir de commencement de preuve (Civ. 3e, 18 déc. 2012, n° 11-25.055).
*L’appréciation du contenu du préjudice indemnisable - concernant le point de savoir s’il est par l’une des parties un élément de fait ou un élément de droit, il convient de se reporter aux normes existantes et, en particulier, à la nomenclature Dintilhac. Précisément, celle-ci définit le poste de préjudice « frais de logement adapté ». Il s’agit de dépenses qui « concernent les frais que doit débourser la victime directe à la suite du dommage pour adapter son logement à son handicap et bénéficier ainsi d’un habitat en adéquation avec ce handicap » une fois le dommage consolidé. En outre, le principe général de la réparation intégrale du dommage suppose que l’indemnisation accordée à la victime replace celle-ci dans la situation qui était la sienne avant la survenance du dommage. Or, lorsque la victime s’est trouvée contrainte, en raison d’un accident, de changer de logement ou de le faire adapter, la réparation à laquelle elle a droit doit tenir compte des frais engagés à cette occasion (Civ. 2e, 8 juill. 2021, n° 20-15.106 ; 15 avr. 2010, n° 09-14.137). L’appréciation de ce poste de préjudice constitue donc un point de droit.
■ Mineure : En l’espèce, en donnant la définition d’un chef de préjudice, la déclaration de la victime prenait appui un point juridique, exclusif de l’existence d’un aveu judiciaire de sa part puisque les conclusions de la victime portaient sur une appréciation juridique de ce poste de préjudice et ne constituaient donc pas l’aveu d’un fait. Dans une décision récente dont les faits se rapprochent de ceux en l’espèce exposés, la Cour de cassation a censuré la décision d’une cour d’appel ayant retenu que la victime d’un handicap avait admis à plusieurs reprises dans ses conclusions que son indemnisation devait correspondre au surcoût résultant des surfaces complémentaires et des aménagements spécifiques de son logement. Pour les juges d’appel, cette déclaration constituait un aveu judiciaire de la victime par lequel elle expliquait comment s’analysait ce surcoût, en précisant que l’expert devrait le comparer au coût qu’aurait représenté, sans ce handicap, la construction d’une maison. Les juges du droit ont cassé leur décision au visa des articles 1383 et 1383-2 du Code civil, lui reprochant de ne pas avoir respecté ces textes puisque les conclusions de la victime, portant sur les modalités d’appréciation de son préjudice indemnisable, ne constituaient pas l’aveu d’un fait, si bien que cet aveu ne pouvait être retenu contre elle pour restreindre l’étendue de la réparation à laquelle elle pouvait prétendre (Civ. 2e, 8 déc. 2022, n° 21-17.446).
■ Conclusion : Le montant de la réparation finale du dommage subi par la victime pourrait être plus important que celui octroyé en cause d’appel si la Cour de cassation était amenée à juger à nouveau que la déclaration faite par l’ami de Désiré et d’Adhémar dans ses conclusions portait sur une appréciation juridique de son poste de préjudice. Exclusive d’un aveu judiciaire, sa déclaration devrait simplement constituer un commencement de preuve du préjudice indemnisable.
Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz
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