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Le cas du mois

Un choix bienveillant

[ 8 février 2013 ] Imprimer

Un choix bienveillant

Janine Tichaut, la grande tante d'Adhémar, a toujours été une femme active, dynamique et indépendante...

Son métier de journaliste lui a permis de voyager partout dans le monde. C'est plein d'admiration que Désiré et Adhémar l'écoutent, depuis leur enfance, raconter ses anecdotes de voyages. Eux aussi rêvent de pouvoir partir, un jour, aux quatre coins de la planète. Malheureusement, depuis quelques années, Adhémar et Désiré constatent que leur grande tante est devenue très vulnérable. Lorsque la famille s'est rendu compte qu'elle ne parvenait plus à gérer ses économies et dilapidait sa fortune, Martine, la mère d'Adhémar lui a proposé de venir vivre chez eux. Ravie de trouver de l'aide auprès de sa nièce, Janine a accepté. Consciente de ne plus s'en sortir seule, elle a également demandé à être placée sous curatelle afin que Martine puisse gérer ses affaires en tant que curateur.

Malheureusement, c'est un mandataire judiciaire qui a été nommé. Janine refuse que quelqu'un d'autre que sa nièce s'occupe de ses affaires. Elle veut faire un recours. Adhémar et Désiré sont persuadés de pouvoir aider la grande tante à obtenir gain de cause. Et vous, qu'en pensez-vous ?

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Janine Tichaut, devenue vulnérable, a été recueillie par Martine, sa nièce. À la suite à sa demande de mise sous curatelle, un mandataire judiciaire a été désigné comme curateur alors que Janine avait expressément formulé le souhait de voir Martine désignée pour gérer ses affaires.

L'article 448 du Code civil dispose que « La désignation par une personne, d'une ou plusieurs autres personnes chargées d'exercer les fonctions de curateur et de tuteur pour le cas où elle serait placée en tutelle ou curatelle s'impose au juge ». L'article 1255 du Code de procédure civile précise que cette désignation doit prendre la forme d'une déclaration notariée ou d'un acte olographe.

En l'espèce, Janine a seulement évoqué oralement la volonté de désigner Martine comme curateur.

Par conséquent, il ne sera pas possible d'opposer ce fondement lors du recours contre la désignation du mandataire judiciaire.

Dès lors, les articles 449 et suivants du Code civil s'appliquent subsidiairement. La désignation du curateur est par principe soumise à une priorité familiale. Ainsi, l'article 449, alinéa 1er du Code civil prévoit que le juge nomme comme curateur le conjoint, le partenaire ou le concubin de la personne protégée. À défaut, le juge désigne un parent, un allié ou une personne résidant avec le majeur protégé ou entretenant avec lui des liens étroits et stables (C. civ., art. 449, al. 2). L'alinéa 3 du présent article ajoute en outre que « Le juge prend en considération les sentiments exprimés par celui-ci, ses relations habituelles, l'intérêt porté à son égard et les recommandations éventuelles de ses parents et alliés ainsi que de son entourage ».

En l'absence de conjoint, le curateur de Janine devrait être désigné parmi ses parents ou alliés. Ce choix doit, en principe, prendre en compte sa volonté et ses relations habituelles. En l'espèce, Martine est la nièce de Janine et elle l'héberge. Il semble donc que rien ne s'oppose à ce qu'elle soit désignée comme curateur. Pourtant… c'est un mandataire judiciaire qui a été nommé.

Or, les dispositions de l'article 450 du Code civil, prévoyant la désignation d'un mandataire judiciaire ne doivent, en principe, s'appliquer que subsidiairement, c'est-à-dire lorsqu'aucun membre de la famille ou aucun proche ne peut assumer la curatelle. Pour écarter l'application de l'article 449 du Code civil, il faut donc prouver que les parents et alliés ne sont pas en mesure d'assurer cette charge. À ce titre, la Cour de cassation a jugé récemment que la décision désignant un mandataire judiciaire « sans préciser ce qui interdisait, malgré les sentiments exprimés par la majeure protégée, de confier la curatelle à sa nièce », devait être cassée pour manquement de base légale. (Civ. 1re, 5 déc. 2012).

En l'espèce, il ne semble pas y avoir d'obstacle à la désignation de Martine comme curateur. En effet, elle héberge sa tante et à la suite de la demande de Janine, elle a donné son accord pour devenir curateur. Dès lors, en l'absence de cause justifiée permettant d'écarter la désignation de Martine comme curateur, la famille Tichaut à intérêt à exercer un recours contre la décision de nomination du mandataire judiciaire.

L'article 1239 du Code de procédure civil précise que les décisions du juge des tutelles sont susceptibles d'appel. Ce recours est ouvert aux personnes mentionnées à l'article 430 du Code civil, à savoir, la personne qu'il y a lieu de protéger, son conjoint, son concubin, son partenaire, un parent, un allié, une personne entretenant avec le majeur des liens étroits et stables ou qui exerce à son égard une mesure de protection juridique. Janine Tichaut ou sa nièce pourrons donc faire appel de cette décision.

L'article 1246 du Code de procédure pénale ajoute que « La cour peut, même d'office, substituer une décision nouvelle à celle du juge des tutelles », ce qui permettrait à Martine Tichaut d'être désignée comme curateur sans avoir besoin de renouveler sa demande de désignation.

 

Références

Civ. 1re, 5 déc. 2012, n°11-26.611.

Code civil

Article 430

« La demande d'ouverture de la mesure peut être présentée au juge par la personne qu'il y a lieu de protéger ou, selon le cas, par son conjoint, le partenaire avec qui elle a conclu un pacte civil de solidarité ou son concubin, à moins que la vie commune ait cessé entre eux, ou par un parent ou un allié, une personne entretenant avec le majeur des liens étroits et stables, ou la personne qui exerce à son égard une mesure de protection juridique.

Elle peut être également présentée par le procureur de la République soit d'office, soit à la demande d'un tiers. »

Article 448

« La désignation par une personne d'une ou plusieurs personnes chargées d'exercer les fonctions de curateur ou de tuteur pour le cas où elle serait placée en curatelle ou en tutelle s'impose au juge, sauf si la personne désignée refuse la mission ou est dans l'impossibilité de l'exercer ou si l'intérêt de la personne protégée commande de l'écarter. En cas de difficulté, le juge statue.

Il en est de même lorsque les parents ou le dernier vivant des père et mère, ne faisant pas l'objet d'une mesure de curatelle ou de tutelle, qui exercent l'autorité parentale sur leur enfant mineur ou assument la charge matérielle et affective de leur enfant majeur désignent une ou plusieurs personnes chargées d'exercer les fonctions de curateur ou de tuteur à compter du jour où eux-mêmes décéderont ou ne pourront plus continuer à prendre soin de l'intéressé. »

Article 449

« À défaut de désignation faite en application de l'article 448, le juge nomme, comme curateur ou tuteur, le conjoint de la personne protégée, le partenaire avec qui elle a conclu un pacte civil de solidarité ou son concubin, à moins que la vie commune ait cessé entre eux ou qu'une autre cause empêche de lui confier la mesure.

À défaut de nomination faite en application de l'alinéa précédent et sous la dernière réserve qui y est mentionnée, le juge désigne un parent, un allié ou une personne résidant avec le majeur protégé ou entretenant avec lui des liens étroits et stables.

Le juge prend en considération les sentiments exprimés par celui-ci, ses relations habituelles, l'intérêt porté à son égard et les recommandations éventuelles de ses parents et alliés ainsi que de son entourage. »

Article 450

« Lorsqu'aucun membre de la famille ou aucun proche ne peut assumer la curatelle ou la tutelle, le juge désigne un mandataire judiciaire à la protection des majeurs inscrit sur la liste prévue à l'article L. 471-2 du code de l'action sociale et des familles. Ce mandataire ne peut refuser d'accomplir les actes urgents que commande l'intérêt de la personne protégée, notamment les actes conservatoires indispensables à la préservation de son patrimoine. »

Code de procédure civile

Article 1239

« Sauf disposition contraire, les décisions du juge des tutelles et les délibérations du conseil de famille sont susceptibles d'appel.

Sans préjudice des dispositions prévues par les articles 1239-1 à 1239-3, l'appel est ouvert aux personnes énumérées à l'article 430 du code civil, même si elles ne sont pas intervenues à l'instance.

Le délai d'appel est de quinze jours.

Les parties ne sont pas tenues de constituer avocat. »

Article 1246

« La cour peut, même d'office, substituer une décision nouvelle à celle du juge des tutelles ou à la délibération du conseil de famille.

Jusqu'à la clôture des débats devant la cour, le juge des tutelles et le conseil de famille demeurent compétents pour prendre toute décision ou délibération nécessaire à la préservation des droits et intérêts de la personne protégée. Le greffe de la juridiction de première instance transmet immédiatement copie de cette décision ou délibération au greffe de la cour. »

Article 1255

« La désignation anticipée du curateur ou du tuteur prévue par l'article 448 du code civil ne peut être faite que par une déclaration devant notaire ou par un acte écrit en entier, daté et signé de la main du majeur concerné. »

 

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