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Le cas du mois

Une avalanche de problèmes

[ 19 décembre 2014 ] Imprimer

Droit des obligations

Une avalanche de problèmes

Au décès du grand-père d’Adhémar, Louis et Henri Tichaud, père et oncle d’Adhémar, ont hérité d’une maison au bord de la mer. Henri, alpiniste, a toujours préféré la montagne à l’air iodé du littoral...

Dans un courrier adressé à Louis Tichaud, Henri lui propose de lui vendre sa part indivise de la maison au prix estimé dans la succession de leur père. Avant de donner une réponse à son frère, Louis entreprend quelques démarches, notamment pour financer cette acquisition. Malheureusement, quelques semaines plus tard, Henri décède en montagne lors d’une violente avalanche.

Malgré le décès de son frère, Louis souhaite toujours acheter la part indivise de la maison. Pensez-vous que la proposition faite par Henri est toujours valable ?

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Henri propose à son frère, Louis, de lui céder les parts indivises qu’il détient sur une maison reçue au décès de son père. Il souhaite lui vendre au prix estimé dans la succession. Malheureusement, Henri décède quelques semaines plus tard.

Il s’agit de déterminer la nature juridique de la proposition faite afin de savoir si Louis peut, malgré le décès de son frère, l’accepter.

Si l’article 1101 du Code civil définit le contrat comme la « convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose », aucune autre disposition n’encadre la phase de conclusion du contrat.

Pourtant la proposition de contracter faite à une autre personne peut s’analyser soit en une invitation à entrer en pourparlers, une offre de contracter ou une promesse unilatérale de vente. Les règles régissant ces notions ont donc été construites par la jurisprudence :

– les pourparlers se définissent comme le moment où les parties commencent à discuter de l’éventualité d’un futur contrat. Les parties n’ont pas encore la volonté de s’engager ;

– l’offre, quant à elle, est la manifestation par laquelle une personne (le pollicitant) propose à un tiers (le bénéficiaire) de conclure un contrat. Pour être valable, cette proposition doit être ferme, précise et extériorisée ;

– la promesse unilatérale de vente est le contrat par lequel l’une des parties (le promettant), s’engage envers une autre (le bénéficiaire) à conclure un contrat si celle-ci le désire.

En l’espèce, Henri a rédigé un courrier à son frère en lui proposant de lui vendre les parts qu’il détient en indivision sur une maison au bord de la mer.

Il semble que cette proposition ne puisse pas constituer de simples pourparlers. En effet, Henri n’a pas simplement invité son frère à discuter d’une éventuelle vente de ses parts, mais il a bien formulé une proposition de vente.

Reste à déterminer si la proposition est une offre ou une promesse unilatérale de vente.

Cette dernière, contrairement à l’offre, est un contrat. Il y a un accord de volonté entre le promettant qui s’engage à vendre et le bénéficiaire qui examinera la proposition qui est faite. L’offrant, quant à lui, n’est pas tenu, en principe, par son offre et peut la retirer librement.

En l’espèce, aucun contrat n’a été conclu entre les deux frères. Henri a simplement proposé dans un courrier la vente de ses parts.

Par conséquent, il semble que la proposition puisse être qualifiée d’offre de vente.

■ Validité de l’offre

Pour être valable, l’offre doit être : 

– ferme : la fermeté de l’offre s’entend comme la volonté non équivoque de l’offrant de s’engager. Par cette offre, il donne son accord au contrat ;

– précise : la précision de l’offre suppose qu’elle comporte tous les éléments de validité du contrat : les caractéristiques de la chose, objet du contrat, ainsi que son prix doivent être déterminés (C. civ., art. 1583) ;

– et extériorisée : c’est-à-dire faite à au moins une personne. 

En l’espèce, Henri proposait de vendre à Louis les droits indivis qu’il détient sur une maison reçue au décès de leur père. Il souhaite les vendre au prix estimé dans la succession.

Henri n’a mentionné aucune réserve quant à sa volonté de céder ses parts à son frère. Dès lors, il semble que l’offre puisse être considérée comme ferme. Il est également clairement identifié que la cession porte sur les droits indivis qu’il possède sur une maison au bord de la mer. Le prix proposé est celui qui a été estimé au moment de la succession. Cette proposition a été faite à son frère dans un courrier. L’offre est donc précise puisque l’objet et le prix du contrat sont formulés dans l’offre. Elle est également non équivoque puisqu’elle a été faite à Louis.

La réunion de ces trois conditions permettrait d’affirmer que l’offre est valable.

■ Incidence du décès du pollicitant sur la validité de l’offre faite sans délai

Par principe, l’offrant est libre de retirer l’offre qu’il a faite.

Ce principe souffre toutefois d’une exception lorsque l’offre est assortie d’un délai. Dans cette hypothèse, le pollicitant devra maintenir son offre jusqu’à la fin du délai.

Se pose toutefois la question du sort de l’offre en cas de décès du pollicitant. Cette question semblait être réglée puisque la Cour de cassation estimait que l’offre devenait caduque au décès de l’offrant.

Toutefois, un arrêt du 10 mai 1997 a fait naître des hésitations. En effet, dans cet arrêt, il a été décidé que l’offre devait être maintenue jusqu’à l’expiration du délai malgré le décès du pollicitant. Cette solution semblait devoir être nuancée puisque dans cette hypothèse l’offre avait été formulée par un couple et était assortie d’un délai. On pouvait donc considérer que même si l’un des époux décédait, l’offre restait valable jusqu’à l’expiration du délai.

La Cour de cassation est venue atténuer le principe de libre rétractation en décidant qu’en l’absence de délai formulé expressément dans l’offre, celle-ci devait être maintenue pendant un délai raisonnable laissé à l'appréciation des juges (Civ. 3e, 20 mai 2009).

Récemment, la Haute cour a  rappelé sa position en cas de décès du pollicitant. En effet, elle a jugé que « l’offre qui n’est pas assortie d’un délai est caduque par le décès de celui dont elle émane avant qu’elle ait été acceptée ». (Civ. 1re, 25 juin 2014).

En l’espèce, Henri a formulé son offre à son frère sans indiquer de délai. Il est décédé quelques semaines plus tard. L’offre doit donc être considérée comme caduque. Louis ne pourra donc pas l’accepter.

Références

■ Civ. 3e, 10 déc. 1997, n°95-16.461.

 Civ. 3e, 20 mai 2009, n°08-13.230, RTD civ. 2009. 524.

■ Civ. 1re, 25 juin 2014, n°13-16.529.

■ Code civil

Article 1101

« Le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s'obligent, envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose ».

Article 1583

« Elle est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni le prix payé. »

 

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