Actualité > Le cas du mois

Le cas du mois

Une erreur de fond

[ 17 février 2021 ] Imprimer

Droit des obligations

Une erreur de fond

Les parents d’Adhémar avaient décidé de rebondir : longtemps atteints par la duplicité de leur vendeur découverte, à l’été 2018, à la suite de leur dernière acquisition immobilière, ils avaient nourri, l’été suivant, un nouveau projet, sans rapport avec l’immobilier : ouvrir un restaurant ! 

Leur fils et leur neveu les y avaient d’ailleurs encouragés, connaissant leurs talents partagés pour l’art culinaire. Par deux actes notariés conclus le même jour, les gérants d’une société bien nommée « La bonne bouffe » leur avaient alors vendu un fonds de commerce au prix de 45 000 euros et consenti un bail commercial, portant sur ces locaux, moyennant un loyer mensuel de 450 euros. Or, seulement quelques jours après l’ouverture, plusieurs copropriétaires de l’immeuble où était situé le restaurant étaient venus se plaindre des bruits et des odeurs générés par leur activité qui, et c’est ainsi que les parents d’Adhémar l’apprirent, devait cesser à 20h. 

« C’est écrit noir sur blanc dans le règlement de copropriété ! », s’écria le voisin du premier étage. « Renseignez-vous auprès de vos bailleurs. En tant que propriétaires des locaux, ils connaissent parfaitement le contenu du règlement de copropriété et ils ont certainement dû vous en informer, comme ils en ont l’obligation. C’est sûrement vous qui, par négligence, avez dû oublier leurs avertissements. En tout cas, soyez sûrs d’être en tort, et certains aussi de nous empêcher de dormir ! », continua-t-il en s’emportant. 

« Mais on a jamais été mis au courant de tout cela, nous ! Et vous l’avez certainement lu trop vite, ce règlement ! Comment pouvez-vous imaginer interdire à un restaurant d’arrêter son service à 20h, c’est absurde ! De même qu’il est parfaitement irréaliste de croire qu’un restaurant peut normalement exercer son activité sans causer aucune nuisance, sonore ou olfactive, à ses voisins. Ça fait partie du jeu. Si vous vouliez éviter ce type d’inconvénients, vous n’aviez qu’à décider de résider dans un immeuble d’habitation exclusivement. Forcément, en ayant choisi de vous loger au-dessus d’un restaurant, vous vous exposiez naturellement à ce type de désagréments. Bon, envoyez-moi tout de même par mail demain matin ce règlement de copropriété. Je vous en ferai l’explication de texte, qui vous a manifestement échappé ! », lui répondit sèchement le père d’Adhémar. 

Malheureusement, le règlement de copropriété de l’immeuble transmis, comme convenu, par leur voisin le lendemain matin, était on ne peut plus explicite et donnait pleinement raison à ce dernier, à un détail près, que le copropriétaire avait omis de leur signaler, les sanctions encourues en cas d’infraction à ce règlement, allant de la résiliation du bail à l’ordre d’expulsion des preneurs… Ils découvrirent ainsi que ce règlement prévoyait, concernant les locaux affectés à un usage commercial, l’interdiction d’y installer des commerces de nature à gêner les autres copropriétaires par le bruit ou par les odeurs, une tolérance étant toutefois accordée pour les restaurants, sous réserve qu’ils cessent leur activité après 20 heures. Cette autorisation excluait donc toute fabrication de plats sur place et interdisait donc toute activité de restauration traditionnelle. 

Fous de rage de découvrir qu’ils avaient encore une fois été trompés par leur vendeur, qui leur avait sciemment dissimulé ce règlement compromettant de toute évidence l’exercice de leur activité, les parents d’Adhémar n’hésitèrent pas une seconde : il leur fallait assigner en justice leur vendeur, aussi malhonnête que le précédent, en annulation des actes de cession du fonds et du bail commercial. À quoi bon, se disaient-ils, continuer leur activité dans ces conditions qui, à plus ou moins brève échéance, ne pourrait de toute façon que les mener à la ruine. Et ils ne comptèrent pas s’arrêter là : ils entendaient bien également obtenir réparation du préjudice subi. 

« C’est simple », leur affirma leur fils, « il faut pour cela attaquer votre vendeur pour réticence dolosive »

« Simple, simple, d’accord, mais ça consiste en quoi, exactement, la « réticence dolosive  ? Quelles preuves doit-on rapporter pour obtenir gain de cause ? »

« Ne vous inquiétez pas, avec Désiré, on va s’occuper de votre défense », leur répondit simplement Adhémar pour les calmer. 

« C’est censé nous rassurer ? », se moquèrent les parents. 

« Riez, riez, il n’empêche que la dernière fois, c’est grâce à nos efforts conjugués et nos conseils avisés que vous vous êtes sortis de cette sale affaire de maison de campagne ! », leur rappela Adhémar. 

« Oui, enfin, ce fut surtout grâce à ton cousin… Et il n’est pas censé être en vacances en ce moment ? », s’enquirent-ils. 

« Vous savez aussi bien que de moi, Désiré n’est jamais très loin… », leur répondit Adhémar, avec la force de l’évidence. 

Et si comme le dit le proverbe, l’union fait la force, vous n’êtes pas sans savoir qu’en matière juridique, celle de nos deux comparses a souvent tendance à fléchir. Vous êtes prêts à les aider ?

■ ■ ■

Sélection des faits : Souhaitant ouvrir un restaurant, les parents d’Adhémar ont acheté un fonds de commerce dont les propriétaires sont également les bailleurs des locaux servant à l’exploitation de leur activité. Or ces derniers ont sciemment omis de leur faire part du règlement de copropriété de l’immeuble où le restaurant est situé, stipulant que le fonds cédé ne peut être exploité qu'à certaines conditions qu’ils jugent incompatibles avec l’exercice de leur activité. Considérant leur silence fautif, ils veulent l’assigner sur le fondement de la réticence dolosive pour obtenir l’annulation des actes de cession et de bail ainsi que des dommages-intérêts.

Qualification des faits : Estimant avoir été victimes d’une réticence dolosive, un couple de cessionnaires assigne les cédants en annulation d’un acte de cession de fonds de commerce de restauration et du bail commercial afférent à celui-ci, considérant qu’ils auraient dû porter à leur connaissance les dispositions du règlement de copropriété de l’immeuble relatives aux conditions d’exploitation du fonds cédé, qu’ils n’auraient pas acquis si les cédants ne les avaient pas tues, sciemment.

Problème de droit : Le cédant était-il tenu de communiquer aux cessionnaires les informations qu’il avait gardées secrètes ? Plus abstraitement, quel est le contenu exact de l’obligation d’information incombant au vendeur et déterminant, en cas de manquement intentionnel à cette obligation, la nullité des contrats qu’il a conclus en induisant en erreur l’acheteur alors victime d’une réticence dolosive ?

Eléments de solution : La solution suppose d’examiner successivement deux points : les contours de la notion de réticence dolosive et la sanction de celle-ci.

■ La réticence dolosive

En droit, la réticence dolosive (C. civ., art. 1137, al. 2 ; art. 1112-1, al. 1er ; Civ. 1re, 19 mai 1958, Bull. I, n° 251 ; Civ. 3e, 15 janv. 1971, n° 69-12.180 P) est susceptible d’entrainer la nullité du contrat si l’information tue était essentielle et déterminante du consentement de l’acheteur et si cette information n’était pas décelable par l’acquéreur normalement diligent, conformément au standard juridique de la « personne raisonnable » (ex. bon père de famille).

  ● Obligation déterminante

·       En droit, existe un lien évident entre le dol par réticence et l’obligation précontractuelle d’information. Le dol par réticence est lié à une obligation d’information préexistante, à laquelle l’auteur du dol a manqué. La difficulté tient à l’ampleur des obligations d’information auxquelles le vendeur est tenu, toutes n’étant pas expressément prévues dans la loi, ou alors de manière lacunaire. Ainsi, si l’article 1137, al. 2 issu de l’ordonnance du 10 février 2016 vise parmi les cas de dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information déterminante pour l’autre partie, ce texte n’opère aucun renvoi à l’article 1112-1 du même code qui définit les contours de l’obligation d’information du vendeur. C’est pourtant ce texte qui dispose utilement que « (c)elle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son contractant ». La première règle issue de ce texte oblige le vendeur qui détient une information utile mais ignorée par l’autre partie à la lui délivrer. Il en résulte que l’obligation d’information du vendeur se limite aux informations déterminantes du consentement de l’acquéreur, l’information déterminante étant entendue comme celle ayant « un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties ». A contrario, la rétention d’informations accessoires n’est donc pas fautive.

·       En l’espèce, l’ignorance par les cessionnaires du règlement général de la copropriété, dont plusieurs dispositions avaient une incidence directe sur les conditions d’exploitation du fonds cédé, avait sans aucun doute été déterminante de leur consentement à la cession du fonds et au bail y afférant ; s’ils en avaient eu connaissance avant la cession, ils n’auraient très certainement pas contracté, ou bien à d’autres conditions.

●  Ignorance légitime

·       En droit, l’information n’est en outre requise que si le créancier de cette obligation a lui-même ignoré le fait dissimulé ou si son ignorance par le débiteur est légitime. Contrairement au droit civil traditionnel qui obligeait l’acheteur à se renseigner sur les caractéristiques essentielles de son contrat, ce devoir de se renseigner, sans avoir totalement disparu du droit positif, est néanmoins marginalisé. L’article 1112-1 du Code civil justifie l’obligation d’information du vendeur par l’ignorance légitime de l’acheteur qui ne peut connaître l’information, soit du fait de sa technicité ou de son manque d’accessibilité, soit en raison du rapport de confiance l’unissant à l’autre partie. L’ignorance sera donc jugée légitime soit dans le cas où l’acheteur était dans l’impossibilité de découvrir par lui-même le fait recélé, ou confronté à une sérieuse difficulté pour y accéder alors que le vendeur la détenait, soit dans le cas, lié au précédent, où l’information revêt une technicité particulière compromettant son obtention ainsi que sa juste compréhension par l’acheteur, soit, enfin, dans le cas où l’acheteur pouvait légitimement espérer, en raison de la relation de confiance particulière qui l’unissait à son partenaire, que celui-ci prendrait l’initiative de l’informer.

Étant précisé que si ces critères trouvent une pertinence particulière dans les rapports profane-professionnel, ils trouvent également à s’appliquer entre deux particuliers ou entre deux professionnels.

·       En l’espèce, on sait que les cédants, propriétaires des locaux, connaissaient le contenu du règlement de copropriété. En revanche, concernant la légitimité de l’ignorance légitime des cessionnaires, elle prête davantage au doute.

Tout d’abord, leur relation n’étant pas teintée d’intuitu personae, les cédants n’étaient pas tenus, à ce titre, d'informer les cessionnaires des éléments relatifs aux modalités d'exploitation du fonds cédé. Ensuite, les informations contenues dans le règlement de copropriété ne revêtaient pas une technicité particulière et il semble, enfin, que les cessionnaires auraient été en mesure d’en prendre connaissance par eux-mêmes. On peut sans même prendre l’obligation désormais atténuée de se renseigner incombant aux acheteurs, facilement contester l’impossibilité ou la difficulté sérieuse dans laquelle les parents d’Adhémar se seraient trouvés pour accéder aux informations utiles. En effet, avant de faire le choix d’ouvrir leur restaurant dans un immeuble à usage essentiel d’habitation, ils auraient dû et surtout pu prendre connaissance du règlement de copropriété : il leur suffisait en effet de procéder à quelques investigations somme toute sommaires, comme de demander directement aux cédants ou même à l’un des copropriétaires ou au syndic de leur communiquer le règlement litigieux pour y avoir accès et prendre ainsi connaissance des dispositions qu’ils reprochent désormais aux cédants d’avoir dissimulées. L’information n’était ni inaccessible en soi, ni même difficilement accessible, en sorte que les cédants ne pourraient se voir reprocher un manquement à leur obligation d’information, préalable nécessaire à la caractérisation d’un dol par réticence. Cependant, outre sa lettre, on sait que l’esprit du texte de l’article 1137, al. 2 s’oriente vers la protection la plus large du consentement de l’acquéreur, même lorsque ce dernier contracte, comme en l’espèce, à des fins professionnelles (quoique le couple était novice), avec un vendeur revêtant la même qualité. Cet argument tiré de l’accessibilité de l’information utile avait d’ailleurs été avancé par des cédants devant la Cour de cassation, dans une affaire dont les faits rappellent ceux relatés : ainsi faisaient-ils grief à la juridiction d’appel d’avoir annulé les mêmes actes de cession et de bail commercial alors que « le cédant d'un fonds de commerce et du bail commercial afférent à celui-ci n'est pas tenu d'informer le cessionnaire des éléments relatifs aux modalités d'exploitation du fonds que ce dernier est en mesure de connaître lui-même ». Pourtant, la Cour de cassation, approuvant en cela l’analyse des juges du fond, jugea que l’obligation légale de loyauté contractuelle leur imposait de porter à la connaissance des cessionnaires le règlement général de copropriété, dont eux-mêmes connaissaient le contenu, dans la mesure certaines de ses dispositions avaient une incidence directe et en l’occurrence délétère sur les conditions d’exploitation du fonds cédé. Selon elle, les cédants avaient donc bien commis une réticence dolosive justifiant l’annulation des actes demandée par les cessionnaires (Com. 6 janv. 2021, n° 18-25.098).

La solution est contestable en ce qu’elle ne repose, finalement, que sur le manquement par les cédants à leur obligation précontractuelle, sans tenir compte du critère de la légitimité, en l’espèce discutable, de l’ignorance des cessionnaires. Quoique cet arrêt n’ait pas été publié, la solution qui s’en dégage, au surplus conforme au droit positif, devrait bénéficier aux parents d’Adhémar, dont la situation est voisine de celle des cessionnaires ayant obtenu gain de cause dans l’affaire précitée.

■ La sanction de la réticence dolosive

● En droit, le dol, même s’il a perdu son caractère pénal originel, demeure un acte illicite volontaire, issue d’un comportement ou d’un silence contraires à la bonne foi. Le dol innocent n’existe pas. Dans la mesure où le dol, même par réticence, constitue un délit civil, sa sanction consiste non seulement en la nullité relative du contrat, mais également en l’obtention de dommages et intérêts, à titre principal ou accessoire.

● En l’espèce, à la condition que la réticence dolosive des cédants soit reconnue, ce qui est fort probable, les parents d’Adhémar pourront ainsi obtenir, comme ils y prétendent, à la fois la nullité du contrat et l’octroi de dommages et intérêts.

Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz

 

Autres Cas du mois


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Ketty de Falco

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr