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Le cas du mois

Une histoire de famille

[ 3 décembre 2012 ] Imprimer

Introduction au droit

Une histoire de famille

Jessica Sassion, nouvelle voisine de Désiré, vient de commencer sa première année de droit. À peine a-t-elle assisté à ses premières heures de cours que tous les membres de sa famille l'appellent pour lui demander des conseils à propos de différentes déconvenues.

Un peu dépassée par toutes ces demandes, elle s'en remet à Désiré et Adhémar pour qui les taux de compétence et ressort des différents tribunaux n'ont plus de secret… Jessica raconte donc les cas qui lui ont été soumis à nos deux amis en espérant qu'elle obtiendra des réponses utiles à sa famille.

Sa sœur, Monica n'a pas résisté au charme de Mario, Français d'origine italienne. Depuis qu'elle l'a vu pour la première fois sur la piste de kart, elle est totalement envoûtée par son bel accent italien. À peine deux semaines après leur rencontre, le couple décide de se marier à Paris. Malheureusement, Monica se rend vite compte que la passion l'a emportée sur la raison et qu'elle ne connaissait pas celui à qui elle a dit oui. Mais, c'est lorsqu'elle constate que Mario la trompe avec Gabriella leur voisine, que Monica décide de divorcer. Elle se demande quel juge sera saisi de sa demande en divorce.

Sa cousine Véronica, dont la beauté n'échappe à personne, travaille dans une banque. Son supérieur hiérarchique, Jasper Vert, n'y est pas indifférent… Il la convoque souvent dans son bureau, sans vraiment de raison. Lorsqu'il la croise dans les couloirs, pourtant spacieux, il l'effleure toujours. Il insiste également depuis plusieurs mois pour dîner avec elle, ce qu'elle a toujours refusé. Ce matin, il l'a convoqué pour lui dire : « Ma jolie, désormais, vous porterez des jupes tous les jours, je suis sûr que cela plaira autant aux clients qu'à moi ! ». Véronica veut que cela cesse !

C'est au tour de Lucas de profiter des connaissances de sa sœur. Depuis environ deux ans, une antenne-relais appartenant au groupe de téléphonie « Violet » a été installée à côté de chez lui. Il souhaite poursuivre la société en réparation des divers troubles que lui cause cette antenne. En effet, il a expliqué à Jessica qu'il est persuadé que les ondes de cette antenne sont la cause de plusieurs de ses soucis : les nombreux dysfonctionnements des appareils électriques présents dans son appartement et ses migraines qui sont de plus en plus fréquentes. Il est bien conscient qu'il ne pourra pas obtenir le retrait de cette antenne mais souhaite obtenir réparation de son préjudice.

■ ■ ■

■ Cas de Monica

Monica souhaite divorcer depuis qu'elle a découvert que Mario la trompait. Il s'agit de déterminer quel tribunal Monica devra saisir pour que sa demande puisse aboutir.

Il faut au préalable déterminer si cette affaire relève de l'ordre administratif ou de l'ordre judiciaire. Le divorce est une question intéressant les personnes. Elle devra donc être portée devant une juridiction de l'ordre judiciaire. L'article L. 211-1 du Code de l'organisation judiciaire attribue une compétence générale aux tribunaux de grande instance pour connaître de tous les litiges de nature privée (civile ou pénale) dès lors qu'aucune disposition particulière de la loi ne leurs en a pas expressément retiré la compétence pour l'attribuer à une juridiction d'exception.

En l'absence de compétence exclusive attribuée par la loi à une autre juridiction, Monica devra saisir le tribunal de grande instance pour faire valoir sa demande en divorce.

Il faut néanmoins préciser que par principe, le tribunal de grande instance statue en formation collégiale. Toutefois, des formations particulières, prévoyant un juge unique sont prévues par la loi. Ainsi, l'article L. 213-3 2° du Code de l'organisation judiciaire attribue au juge aux affaires familiales une compétence générale en matière de divorce.

C'est donc le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance du lieu où réside celui qui n'a pas pris l'initiative de la procédure (C. pr. civ., art. 1070). En revanche, si Monica et Mario optent pour un divorce par consentement mutuel, le juge compétent sera au choix celui du lieu ou réside l'une ou l'autre des parties. 

■ Cas de Véronica

Dans le cas préalablement étudié, se posait la question du juge compétent pour un acte précis, à savoir le divorce. En revanche, dans le cas qui nous est soumis, les faits se constituent de différents agissements. Pour déterminer quelle juridiction pourra être saisie de cette affaire, il faut au préalable qualifier les faits exposés.

En l'espèce, Veronica est victime d'avances de la part de son supérieur hiérarchique. Il la croise dans les couloirs, il l'effleure. Il souhaite qu'elle porte des jupes et insiste depuis plusieurs mois pour dîner avec elle.

Il semble que ces faits puissent être constitutifs du délit de harcèlement sexuel prévu à l'article 222-33 du Code pénal. Il s'agit d'une infraction dès lors, ce sont les juridictions pénales qui connaîtront de cette question.

L'article 111-1 du Code pénal dispose que : « Les infractions pénales sont classées, suivant leur gravité, en crimes, délits et contravention ». Cette classification des infractions doit être opérée en fonction de la peine principale encourue.

Ainsi:

– lorsque la peine encourue est la réclusion ou la détention à perpétuité, l'infraction est un crime ;

– lorsqu'une peine d'emprisonnement inférieure ou égale à 10 ans et une amende d'au moins 3750€ est encourue, il s'agit d'un délit ;

– lorsqu'une amende de 35€ à 1500€ est encourue, il s'agit d'une contravention.

La peine prévue pour les faits de harcèlement sexuel est de deux ans d'emprisonnement et 30 000 € d'amende. Il s'agit donc d'un délit (C. pén., art. 131-3 et 131-4). L'article 381 du Code de procédure pénale prévoit que le tribunal correctionnel connaît des délits.

Veronica a, à sa disposition, plusieurs modes de saisine de la juridiction pénale :

– la citation directe : elle permet à la personne s'estimant victime de saisir directement le tribunal correctionnel. Elle doit rapporter elle-même la preuve des faits qu'elle allègue ;

– la plainte simple : dans cette hypothèse, la victime dépose une plainte et le parquet décidera de l'opportunité des poursuites ;

– la plainte avec constitution de partie civile : dans ce cas, un juge d'instruction sera nécessairement saisi. Il rendra soit une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, soit une ordonnance de refus d'informer.

■ Cas de Lucas

La dernière histoire soumise à Jessica, Désiré et Adhémar concerne Lucas. Il se plaint des troubles qu'il subi du fait des ondes émises par une antenne relais à proximité de son domicile.

Les antennes-relais posent diverses difficultés pouvant à la fois relever du droit administratif (réglementation de l'implantation des antennes-relais, occupation du domaine public) et du droit privé (troubles du voisinage).

Lucas est conscient qu'il ne pourra pas obtenir le démantèlement de l'antenne relais mais il souhaite être indemnisé des différents préjudices qu'il subi.

Le Tribunal des conflits a été saisi de cette question et a jugé dans un arrêt du 14 mai 2012 que le juge judiciaire n'était pas compétent pour statuer sur les demandes tendant à obtenir l'interruption de l'émission, l'interdiction d'implantation, l'enlèvement ou le déplacement d'une station radioélectrique régulièrement autorisée et implantée sur une propriété privée ou sur le domaine public. Il a décidé que la compétence du juge judiciaire se limitait « aux litiges opposant un opérateur de communication électronique à des usagers ou à des tiers d'une part aux fins d'indemnisation des dommages causés par l'implantation ou le fonctionnement d'une station radioélectrique qui n'a pas le caractère d'ouvrage public, d'autre part, aux fines de faire cesser les troubles anormaux de voisinage liés à une implantation irrégulière ou un fonctionnement non conforme aux prescriptions administratives ou à la preuve des nuisances et inconvénients anormaux autres que ceux afférents à la protection de la santé publique et aux brouillages préjudiciables ».

Dans l'histoire qui nous concerne, Lucas ne souhaite pas obtenir le démantèlement de l'antenne, il souhaite juste obtenir réparation du préjudice qu'il subi. Dès lors, il devra saisir la juridiction judiciaire, comme l'a récemment confirmé la Cour de cassation (Civ. 1re, 17 oct. 2012).

Pour déterminer la juridiction compétente, il faut s'intéresser au taux de compétence qui correspond au montant de la demande principale.

Ainsi, Lucas devra saisir :

– la juridiction de proximité (la suppression de la juridiction de proximité est prévue le 1er janvier 2013), si le montant de sa demande est inférieur à 4 000 € (COJ, art. L. 231-3).

– le tribunal d'instance, si le montant de sa demande est au moins égal à 4 000 € et inférieur à 10 000 € (COJ, art. L. 221-4).

Le tribunal de grande instance, si le montant de sa demande est supérieur ou égal à 10 000 € (COJ, art. L. 211-3).

Références

■ Sur la question des modes de saisine de la juridiction pénale, v. Garé, Ginestet, Droit pénal. Procédure pénale, 7e éd., Dalloz, coll. « HyperCours », 2012, p. 314 et s.

 T. conflit., 14 mai 2012, Mme Girardeau c. Société Orange France, n°3848, Lebon; AJDA 2012.1525, note A. Van Lang.

■ Civ. 1re, 17 oct. 2012, n°10-26.854, R. Grand, « Contentieux des antennes relais : l'écho de la Cour de cassation au Tribunal des conflits », Dalloz actualité 25 oct. 2012.

■ Code pénal

Article 111-1

« Les infractions pénales sont classées, suivant leur gravité, en crimes, délits et contraventions. »

Article 222-33

« I. - Le harcèlement sexuel est le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. 

II. - Est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d'user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers. 

III. - Les faits mentionnés aux I et II sont punis de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende. 

Ces peines sont portées à trois ans d'emprisonnement et 45 000 € d'amende lorsque les faits sont commis : 

1° Par une personne qui abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ; 

2° Sur un mineur de quinze ans ; 

3° Sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur ; 

4° Sur une personne dont la particulière vulnérabilité ou dépendance résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale est apparente ou connue de leur auteur ; 

5° Par plusieurs personnes agissant en qualité d'auteur ou de complice.

Article 381

« Le tribunal correctionnel connaît des délits.

Sont des délits les infractions que la loi punit d'une peine d'emprisonnement ou d'une peine d'amende supérieure ou égale à 3 750 euros. »

Article 131-3

« Les peines correctionnelles encourues par les personnes physiques sont : 

1° L'emprisonnement ; 

2° L'amende ; 

3° Le jour-amende ; 

4° Le stage de citoyenneté ; 

5° Le travail d'intérêt général ; 

6° Les peines privatives ou restrictives de droits prévues à l'article 131-6 ; 

7° Les peines complémentaires prévues à l'article 131-10 ; 

8° La sanction-réparation »

Article 131-4

« L'échelle des peines d'emprisonnement est la suivante : 

1° Dix ans au plus ; 

2° Sept ans au plus ; 

3° Cinq ans au plus ; 

4° Trois ans au plus ; 

5° Deux ans au plus ; 

6° Un an au plus ; 

7° Six mois au plus ; 

8° Deux mois au plus »

Article 1070 du Code de procédure civile

« Le juge aux affaires familiales territorialement compétent est : 

– le juge du lieu où se trouve la résidence de la famille ; 

– si les parents vivent séparément, le juge du lieu de résidence du parent avec lequel résident habituellement les enfants mineurs en cas d'exercice en commun de l'autorité parentale, ou du lieu de résidence du parent qui exerce seul cette autorité ; 

– dans les autres cas, le juge du lieu où réside celui qui n'a pas pris l'initiative de la procédure. 

En cas de demande conjointe, le juge compétent est, selon le choix des parties, celui du lieu où réside l'une ou l'autre. 

Toutefois, lorsque le litige porte seulement sur la pension alimentaire, la contribution à l'entretien et l'éducation de l'enfant, la contribution aux charges du mariage ou la prestation compensatoire, le juge compétent peut être celui du lieu où réside l'époux créancier ou le parent qui assume à titre principal la charge des enfants, même majeurs. 

La compétence territoriale est déterminée par la résidence au jour de la demande ou, en matière de divorce, au jour où la requête initiale est présentée. »

■ Code de l'organisation judiciaire

Article L. 211-1

« Le tribunal de grande instance statue en première instance en matière civile et pénale. Lorsqu'il statue en matière pénale, il est dénommé tribunal correctionnel.»

Article L. 211-3

« Le tribunal de grande instance connaît de toutes les affaires civiles et commerciales pour lesquelles compétence n'est pas attribuée, en raison de leur nature ou du montant de la demande, à une autre juridiction ».

Article L. 213-3

« Dans chaque tribunal de grande instance, un ou plusieurs magistrats du siège sont délégués dans les fonctions de juge aux affaires familiales. 

Le juge aux affaires familiales connaît :

1° De l'homologation judiciaire du changement de régime matrimonial, des demandes relatives au fonctionnement des régimes matrimoniaux et des indivisions entre personnes liées par un pacte civil de solidarité ou entre concubins, de la séparation de biens judiciaire, sous réserve des compétences du président du tribunal de grande instance et du juge des tutelles des majeurs ; 

2° Du divorce, de la séparation de corps et de leurs conséquences, de la liquidation et du partage des intérêts patrimoniaux des époux, des personnes liées par un pacte civil de solidarité et des concubins, sauf en cas de décès ou de déclaration d'absence ; 

3° Des actions liées : 

a) À la fixation de l'obligation alimentaire, de la contribution aux charges du mariage ou du pacte civil de solidarité et de la contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants ; 

b) A l'exercice de l'autorité parentale ; 

c) A la révision de la prestation compensatoire ou de ses modalités de paiement ; 

d) Au changement de prénom ;

e) À la protection à l'encontre du conjoint, du partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou du concubin violent ou d'un ancien conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin violent ;

f) À la protection de la personne majeure menacée de mariage forcé. »

Article L. 221-4

« Sous réserve des dispositions législatives ou réglementaires fixant la compétence particulière des autres juridictions, le tribunal d'instance connaît, en matière civile, de toutes actions personnelles ou mobilières jusqu'à la valeur de 10 000 euros. Il connaît aussi des demandes indéterminées qui ont pour origine l'exécution d'une obligation dont le montant n'excède pas 10 000 euros. »

Article L. 231-3

« La juridiction de proximité connaît, en matière civile, sous réserve des dispositions législatives ou réglementaires fixant la compétence particulière des autres juridictions, des actions personnelles ou mobilières jusqu'à la valeur de 4 000 euros. 

Elle connaît des demandes indéterminées qui ont pour origine l'exécution d'une obligation dont le montant n'excède pas 4 000 euros. 

Elle connaît, dans les mêmes limites, en vue de lui donner force exécutoire, de la demande d'homologation du constat d'accord formée par les parties, à l'issue d'une tentative préalable de conciliation. »

 

 

 

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