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Le cas du mois

Vin et vice caché

[ 12 avril 2022 ] Imprimer

Droit des obligations

Vin et vice caché

Au mariage de leur meilleur ami, Désiré et Adhémar s’étaient étonnés du goût du vin qui leur avait été servi lors du dîner, par ailleurs délicieux.

Ils en avaient fait part aux jeunes mariés, lesquels avaient également été fort déçus de ce cépage, à l’instar de tous les autres convives, ayant gardé un souvenir de ce breuvage aussi épouvantable que celui de la migraine dont ils avaient souffert les jours suivants. Le couple s’en était plaint auprès du négociant en vin auquel ils avaient fait appel lors de la préparation de leur mariage. Ce dernier a reconnu avoir utilisé, pour effectuer la dégustation de vins organisée pour le couple dans ses chais, un acide dit « technique », plutôt qu’alimentaire, ces deux modes de traitement du vin existant sur le marché. Or après avoir procédé à l’examen du vin contenu dans les bouteilles, le négociant s’est rendu compte que le lot en question avait bien été pollué à l’acide utilisé. Il s’empressa toutefois d’expliquer au couple qu’il n’était en rien responsable de cet incident et qu’il comptait bien, après les avoir dédommagés, assigné la société lui ayant vendu ce produit, elle seule pouvant être à l’origine de la pollution affectant l’acide qu’elle lui avait livré et qu’il n’avait fait qu’utiliser. Pour convaincre le couple de son irresponsabilité, il prit également soin de leur expliquer que l’usage alimentaire de cet acide, connu pour être le plus efficace pour éviter le dépôt de tartre dans le vin en bouteille, relève de l’une des utilisations normales de la chose, même si ce traitement est plus couramment pratiqué dans un cadre industriel. D’ailleurs, poursuivit-il, les normes applicables sur le marché n’excluent pas l’utilisation alimentaire de cet acide, « théoriquement possible », même si sa vocation première réside dans son usage industriel. Par ailleurs, n’ayant pas spécifié à son vendeur l’usage alimentaire qu’il entendait faire de cet acide dès lors qu'il est conforme à son usage normal, ce dernier n’avait pu logiquement l’informer des risques particuliers susceptibles de se produire en cas d’usage alimentaire. En tout état de cause, le négociant est convaincu que la pollution du lot n’a pas été causée par son usage détourné du procédé utilisé, mais par la présence d’un élément polluant intrinsèque au lot que son vendeur lui a livré. Il prévoit donc d’assigner ce dernier dans les plus brefs délais en garantie des vices cachés. Désiré et Adhémar, auxquels cette future histoire judiciaire fut naturellement rapportée par leur couple d’amis, s’interrogent : d’évidence de bonne foi, et ne manquant pas d’arguments, le négociant semble bien parti mais le fait qu’il ait détourné le produit de son usage courant leur paraît tout de même suspect. La migraine consécutive à cette soirée de mariage ne les ayant pas encore tout à fait quittés, ils font appel à vous pour les aider à y voir plus clair.

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■ Sélection des faits : Un couple d’amis de Désiré et d’Adhémar ont découvert un lot de bouteilles de vin pollué à l’acide. Après en avoir averti le négociant, ce dernier a reconnu avoir traité ce lot avec un produit normalement utilisé dans un cadre industriel, et non alimentaire. Faute d’avoir été prévenu des risques liés à cet usage par son vendeur, qui n’était pas au courant de l’emploi détourné du produit que le négociant avait prévu, ce dernier entend assigner son cocontractant, qu’il croit à l’origine de la pollution du produit, en garantie des vices cachés.

■ Qualification des faits : Après l’avoir employé dans un cadre alimentaire, l’acheteur d’un acide destiné au traitement industriel du vin est victime de la pollution d’un de ses lots. Il prévoit d’appeler son vendeur en garantie des vices cachés. Ce dernier, qui n’avait pas été prévenu de l’usage que son acheteur comptait en faire, n’avait pu l’informer des risques liés à cet usage.

■ Problème de droit : La pollution affectant l’acide utilisé pour le traitement du vin en bouteille peut-elle être invoquée en tant que vice caché alors que l’usage normalement industriel de ce procédé a été détourné par l’acheteur à des fins alimentaires, sans que son vendeur en ait été averti ?

■ Majeure : La garantie des vices cachés oblige le vendeur à délivrer une chose apte à remplir son usage normalement attendu ; elle couvre les vices inhérents à la chose, non apparents, antérieurs à la vente et non réparés à la date de sa conclusion, et qui compromettent ou empêchent d’utiliser la chose conformément à sa destination normale (C. civ., art. 1641 s.). 

Le défaut rendant la chose impropre à sa destination normale constitue un vice caché. C’est donc au regard de la fonction attendue de la chose, sa destination, que s’apprécie le vice. En cela, il se distingue du défaut de conformité, qui résulte de la différence matérielle entre la chose délivrée et la chose promise, alors que le vice caché résulte quant à lui de la non-conformité de la chose à l’usage attendu. Il se distingue également du défaut de sécurité prévu par le régime de la responsabilité des produits défectueux, dont l’engagement repose sur la défectuosité d’un produit qui ne présente pas la sécurité à laquelle l’utilisateur moyen peut raisonnablement s’attendre. 

Ainsi, selon l’article 1641 du code civil, le vendeur est tenu de la garantie « à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en n’aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait connus » : 

● Soit la chose est totalement impropre à cet usage et le vice est rédhibitoire, justifiant l’annulation de la vente (téléviseur qui implose, tuiles gélives, système d’alarme complètement inefficace, etc…) ;

● soit le défaut diminue seulement l’usage attendu de la chose et la vente pourra être maintenue mais moyennant une réduction du prix (action estimatoire). Par exemple, une voiture dont la consommation est excessive, un camion dont la capacité de charge est inférieure à celle annoncée, ou encore un immeuble dont la toiture présente un défaut d’étanchéité provoquant des infiltrations d’eau. 

Mais avant même d’établir le degré d’atteinte à l’usage escompté du bien acquis, encore faut-il s’entendre sur la notion d’« usage » visé par le texte qui renvoie, de manière assez imprécise, à l’usage auquel on destine la chose.

En principe, il s’agit de l’usage normal de la chose, celui auquel elle est habituellement destinée (un photocopieur fait des photocopies, un système d’alarme se déclenche en cas d’intrusion d’un cambrioleur, etc.). L’usage auquel la chose est destinée se réfère donc à son utilisation attendue, conformément à sa fonction habituelle dont un utilisateur moyen va normalement se servir. 

Cela étant, l’acquéreur peut aussi destiner la chose à un usage inhabituel. Dans ce cas, le vendeur ne sera tenu à la garantie des vices cachés que s’il connaissait l’usage particulier que l’acheteur entendait faire de la chose, cet usage étant alors entré dans le champ contractuel. Encore faut-il que l’acheteur prouve qu’il en avait informé son cocontractant : en effet, le vendeur n’est plus tenu à garantie si l'acheteur ne lui a pas spécifié l'usage auquel il destinait la chose, dès lors que l'usage qu'en a fait l'acheteur n’est pas conforme à son usage normal.

Et même dans cette hypothèse, il n’est pas sûr que l’action exercée relève encore de la garantie des vices cachés : s’agissant plutôt d’un défaut de conformité aux spécifications contractuelles, l’action s’apparente davantage à celle engagée en cas de délivrance non conforme.

■ Mineure : En l’espèce, l'origine du désordre est bien la pollution d'un lot de bouteilles de vin à l'acide technique livré au négociant par le vendeur initial, par principe tenu de garantir les vices cachés. Toutefois, une fois l’acide acquis, le négociant a fait le choix de l’utiliser dans un cadre alimentaire. « Théoriquement possible », cette utilisation n’est pas habituelle, cet acide étant normalement destiné à un usage industriel. Dès lors que la pollution affectant l'acide délivré a manifestement été causée par l'usage inhabituel que l’acheteur en a fait, la garantie des vices cachés due par le vendeur ne devrait pas pouvoir être engagée. En effet, les faits précisent que la destination normale de cet acide technique était un usage industriel, et non alimentaire ; la fonction normale de la chose, c'est-à-dire celle à laquelle elle est habituellement destinée, n'étant pas en cause, la garantie des vices cachés prévue par l'article 1641 du code civil ne devrait donc pas pouvoir être mise en jeu, d’autant moins qu’un tel usage, non convenu entre les parties, n’était pas rentré dans le champ contractuel. 

C’est d’ailleurs bien à l’inapplicabilité de la garantie des vices cachés que la Cour de cassation a récemment conclu dans une affaire proche de celle rapportée : un négociant avait choisi d'utiliser un acide technique dans un cadre alimentaire de traitement du vin, le choix de cet usage étant théoriquement possible mais comportant un risque accru de désordre contre lequel le vendeur du produit n’avait pu le mettre en garde, faute d’avoir été informé de l’usage qu’il comptait en faire. L'expertise avait conclu que l’origine du dommage était bien la pollution d'un lot d'acide technique mais qui n'avait eu d'effets délétères qu'en raison de l'usage, non spécifiquement prévu pour un produit alimentaire, qui avait été fait de cet acide technique. « La destination normale de cet acide technique était l'usage industriel et pas l'usage alimentaire, la fonction normale de la chose, c'est-à-dire « celle à laquelle elle est habituellement destinée », n'étant pas en cause, la garantie des vices cachés prévue par l'article 1641 du code civil ne pouvait être mise en jeu, peu important que, dans certaines conditions et avec des risques particuliers, cet acide technique puisse être utilisé également dans un usage alimentaire » (Com. 2 mars 2022, n° 19-26.025).

■ Conclusion : La pollution affectant l’acide technique utilisé pour traiter le vin mis en bouteille ne pourra pas être qualifié de vice caché, dès lors que l’usage normal de cet acide est industriel, et non alimentaire. L’action du négociant ne promet donc pas de prospérer.

Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz

 

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