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Le cas du mois
Droit de la famille
Voilà le printemps !
Maria Doppi est heureuse. Elle a débuté il y a 5 mois un emploi de juriste en entreprise confortablement rémunéré. De plus, le printemps est revenu ! Elle peut désormais se rendre au travail sans porter l’écharpe et les gants qui lui ont tenu compagnie au cours de ce long et rigoureux hiver !
Un jour, alors qu’elle se promène dans le parc qui jouxte son travail, un étudiant prénommé Louis vient lui parler. Très vite, ils passent du statut d’amis à celui de couple, et font mille et un projets concernant leur avenir : mariage, appartement, bébé… Maria gagne très bien sa vie en tant que jeune juriste, et elle ne craint pas de devoir entretenir un jeune étudiant sans revenus…
Rapidement, ils décident de se marier, et partent immédiatement en Belgique après la célébration pour un voyage de noces très romantique. En réalité, ce séjour à Bruxelles vise à permettre au couple d’avoir un enfant, car Maria et Louis ont pris contact avec une femme qui a accepté, moyennant finances, de porter leurs embryons, et s’est engagée à renoncer à toute filiation sur l’enfant à naître.
Ont-ils une chance de voir cette naissance reconnue par le droit français, sous réserve de sa légalité en droit belge ? Le projet de loi bioéthique, en discussion devant le Sénat, permettra-t-il au couple d’obtenir une reconnaissance de leur projet parental ?
Alors que l’été est fini et que les fleurs ont fané dans les arbres, la nouvelle est tombée : Louis veut divorcer… Leur couple n’a pas résisté à l’échec de leur projet parental. Pire encore, la rupture ne se passe pas bien. Louis a décidé de réclamer de l’argent à Maria. Il réalise que tous ces mois de vie commune avec cette dernière l’ont habitué à un certain confort de vie, qu’il n’est pas prêt d’abandonner. Il croit se souvenir, d’après ses cours à l’université, qu’au moment du divorce, ce genre de choses peut se monnayer auprès du juge.
Est-ce vrai ? Si oui, de quelle manière ? Pourra-t-il « faire payer » son ancienne femme ?
De son côté, Maria, qui a gardé les clefs de l’appartement, refuse de laisser Louis entrer pour qu’il récupère ses affaires…
Pouvez-vous aider Louis à récupérer ses effets personnels ?
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Le droit français reconnaît-il la filiation d’un enfant issu d’une gestation pour autrui à l’étranger, lorsque cette procédure a été réalisée régulièrement dans le pays concerné ? Le projet de loi bioéthique actuellement en discussion devant le Parlement pourra-t-il apporter un changement à cette situation ?
Le voyage de noces de Louis et Maria vise en réalité à permettre au couple d’avoir un enfant. Il faut toutefois déterminer la nature de l’opération projetée, avant de s’attacher à sa reconnaissance en droit français.
Les progrès de la science ont permis ces dernières décennies aux couples stériles de concevoir un enfant, selon diverses techniques médicales regroupées sous l’appellation d’assistance médicale à la procréation (procréation médicalement assistée, fécondation in vitro, etc.) et régies par les lois bioéthiques de 1994 modifiées en 2004.
Or, dans certains pays étrangers, une technique différente s’est développée, qui visait à implanter les embryons des parents d’intention, conçus in vitro, dans le ventre d’une mère porteuse. Ce processus est appelé gestation pour autrui, et a été légalisé dans de nombreux États (Angleterre, Californie, Belgique pour les plus connus), soit sous la forme d’une adoption postérieure à l’accouchement, soit sous celle d’une convention homologuée par le juge.
En France, la Cour de cassation s’est opposée à cette pratique, au nom du principe de non-patrimonialité du corps humain (Ass. plén. 31 mai 1991). Le législateur a validé cette jurisprudence en insérant l’article 16-7 dans le Code civil. Toutefois, le problème s’est rapidement posé du sort des enfants de parents français nés à l’étranger grâce à cette technique. Ces enfants étaient, selon le droit du pays dans lequel la gestation pour autrui avait été réalisée, reconnus comme les enfants des parents d’intention.
Le Conseil d’État, dans son étude sur la révision des lois bioéthiques, préconisait d’autoriser cette reconnaissance, au nom de l’intérêt de l’enfant. L’avocat général de la Cour de cassation, dans une affaire très récente, avait proposé la même chose. Mais la Haute cour a finalement refusé cette inscription (Civ. 1e, 6 avr. 2011, 3 arrêts). L’Assemblée nationale, lors de l’examen en première lecture du projet de loi bioéthique, a également refusé la reconnaissance de ces enfants à l’État civil. Toutefois, certaines juridictions du fond ont accepté « la transcription d’un acte de naissance étranger d’un enfant né d’une gestation pour autrui » (Nantes, 10 févr. 2011, v. Forum famille).
Dans notre cas, on peut donc facilement conclure à l’impossibilité pour le couple de faire inscrire à l’état civil la naissance de leur enfant. Au surplus, on sait que le couple a fait appel à une mère porteuse en Belgique, depuis la France. Or, le droit pénal incrimine les actes permettant de faciliter ou de provoquer cette gestation, lorsqu’un des éléments constitutifs de cette infraction a été réalisé en France (art. 227-12 et 13 du Code pénal). Les deux jeunes mariés s’exposent donc à des poursuites pénales s’ils persistent dans leur projet, et il serait souhaitable qu’ils n’arrivent pas jusqu’en Belgique…
Louis pourra-t-il obtenir une somme d’argent de la part de Maria, afin de combler la différence de niveau de vie que le divorce entraîne pour lui ?
La prestation compensatoire a longtemps été vue comme ayant une fonction réparatrice, presque consolatrice, pour la personne amenée à en bénéficier (qui était souvent la femme). Les choses ont changé, avec la réforme du divorce de 2004. L’application de cette réforme par les juges a entraîné une baisse considérable des montants de prestation compensatoire versés (v. jurisprudence chiffrée Dalloz).
La prestation compensatoire est désormais définie à l’article 270 du Code civil comme « une prestation destinée à compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives ».
Pour en fixer le montant, le juge doit prendre en considération un ensemble de critères, énumérés de manière non exhaustive à l’article 271 du Code civil. Ainsi, la durée du mariage (en cas de divorce pour altération définitive du lien conjugale, deux ans minimum, mais pas de durée minimale dans le divorce pour faute ou le divorce par consentement mutuel), les conséquences des choix professionnels faits pendant la vie des époux pour l’éducation des enfants ou encore la qualification et la situation professionnelle peuvent entrer en compte dans ce calcul de la prestation, et pas seulement la différence de niveau de vie qu’engendrera la rupture de la vie conjugale.
En ce qui concerne Maria et Louis, le mariage a été de très courte durée, ce qui conduit fréquemment les juges à minorer la prestation compensatoire due à l’ex-conjoint (v. par ex. Civ. 2e, 28 avr. 1993). Bien que Maria ait une situation professionnelle et financière confortable, Louis est étudiant en droit et promis en tant que tel à un bel avenir professionnel ! Par ailleurs, on sait d’après l’énoncé que leur rupture est due à l’échec de leur projet parental. Pour toutes ces raisons (durée du mariage, équivalence des situations, absence d’enfants), il semble très difficile pour Louis d’obtenir une prestation compensatoire élevée de Maria.
Comment Louis pourra récupérer ses affaires personnelles ?
La période qui court du dépôt de la demande en divorce au prononcé effectif de ce dernier peut s’avérer conflictuelle. Le législateur a chargé le juge aux affaires familiales (JAF) de faire en sorte que cette étape se déroule le mieux possible (v. art. 254 C. civ.)… L’article 255 dresse donc une liste des décisions que peut prendre le juge, et qui s’imposent aux parties, en cours de procédure. Or, le 5° de l’article prévoit que le juge pourra « ordonner la remise des vêtements et objets personnels ».
Pour récupérer ses affaires, Louis devra en faire la demande auprès du JAF, en prouvant que les choses revendiquées sont bien les siennes, ce qui peut être difficile pour tout ce qui n’est pas habits masculins et manuels de droit (livres, ustensiles de cuisine, etc., v. Dalloz Action, Droit et pratique du divorce 2010/2011). En toute hypothèse, Maria sera contrainte de le laisser entrer dans l’appartement pour qu’il récupère ses habits.
Références
■ Assistance médicale à la procréation
« Cette assistance s’entend des pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, le transfert d’embryons et l’insémination artificielle, ainsi que toute technique d’effet équivalent permettant la procréation en dehors du processus naturel, dont la liste est fixée par un arrêté du ministre chargé de la Santé. Elle est destinée à répondre à la demande parentale d’un couple et a pour objet de remédier à l’infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué ou d’éviter la transmission à l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une particulière gravité. »
« État d’une femme inséminée avec le sperme du mari d’une femme stérile, ayant accepté d’abandonner à sa naissance l’enfant qu’elle ne porte que pour le compte d’autrui. La convention de mère porteuse est nulle comme contraire à l’indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes. »
« Capital destiné à compenser, autant qu’il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives des époux divorcés et dont le paiement a lieu soit sous la forme du versement d’une somme d’argent, soit par l’attribution de biens en propriété ou d’un droit temporaire ou viager d’usage, d’habitation ou d’usufruit.
À titre exceptionnel, lorsque l’âge ou l’état de santé du créancier ne lui permet pas de subvenir à ses besoins, le juge peut fixer la prestation compensatoire sous forme de rente viagère. »
Sources : Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010.
Code civil
« Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle. »
« Lors de l'audience prévue à l'article 252, le juge prescrit, en considération des accords éventuels des époux, les mesures nécessaires pour assurer leur existence et celle des enfants jusqu'à la date à laquelle le jugement passe en force de chose jugée »
« Le juge peut notamment :
1° Proposer aux époux une mesure de médiation et, après avoir recueilli leur accord, désigner un médiateur familial pour y procéder ;
2° Enjoindre aux époux de rencontrer un médiateur familial qui les informera sur l'objet et le déroulement de la médiation ;
3° Statuer sur les modalités de la résidence séparée des époux ;
4° Attribuer à l'un d'eux la jouissance du logement et du mobilier du ménage ou partager entre eux cette jouissance, en précisant son caractère gratuit ou non et, le cas échéant, en constatant l'accord des époux sur le montant d'une indemnité d'occupation ;
5° Ordonner la remise des vêtements et objets personnels ;
6° Fixer la pension alimentaire et la provision pour frais d'instance que l'un des époux devra verser à son conjoint, désigner celui ou ceux des époux qui devront assurer le règlement provisoire de tout ou partie des dettes ;
7° Accorder à l'un des époux des provisions à valoir sur ses droits dans la liquidation du régime matrimonial si la situation le rend nécessaire ;
8° Statuer sur l'attribution de la jouissance ou de la gestion des biens communs ou indivis autres que ceux visés au 4°, sous réserve des droits de chacun des époux dans la liquidation du régime matrimonial ;
9° Désigner tout professionnel qualifié en vue de dresser un inventaire estimatif ou de faire des propositions quant au règlement des intérêts pécuniaires des époux ;
10° Désigner un notaire en vue d'élaborer un projet de liquidation du régime matrimonial et de formation des lots à partager. »
« Le divorce met fin au devoir de secours entre époux.
L'un des époux peut être tenu de verser à l'autre une prestation destinée à compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives. Cette prestation a un caractère forfaitaire. Elle prend la forme d'un capital dont le montant est fixé par le juge.
Toutefois, le juge peut refuser d'accorder une telle prestation si l'équité le commande, soit en considération des critères prévus à l'article 271, soit lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de l'époux qui demande le bénéfice de cette prestation, au regard des circonstances particulières de la rupture. »
« La prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible.
À cet effet, le juge prend en considération notamment :
- la durée du mariage ;
- l'âge et l'état de santé des époux ;
- leur qualification et leur situation professionnelles ;
- les conséquences des choix professionnels faits par l'un des époux pendant la vie commune pour l'éducation des enfants et du temps qu'il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne ;
- le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu'en revenu, après la liquidation du régime matrimonial ;
- leurs droits existants et prévisibles ;
- leur situation respective en matière de pensions de retraite en ayant estimé, autant qu'il est possible, la diminution des droits à retraite qui aura pu être causée, pour l'époux créancier de la prestation compensatoire, par les circonstances visées au sixième alinéa. »
Article 227-12
« Le fait de provoquer soit dans un but lucratif, soit par don, promesse, menace ou abus d'autorité, les parents ou l'un d'entre eux à abandonner un enfant né ou à naître est puni de six mois d'emprisonnement et de 7500 euros d'amende.
Le fait, dans un but lucratif, de s'entremettre entre une personne désireuse d'adopter un enfant et un parent désireux d'abandonner son enfant né ou à naître est puni d'un an d'emprisonnement et de 15000 euros d'amende.
Est puni des peines prévues au deuxième alinéa le fait de s'entremettre entre une personne ou un couple désireux d'accueillir un enfant et une femme acceptant de porter en elle cet enfant en vue de le leur remettre. Lorsque ces faits ont été commis à titre habituel ou dans un but lucratif, les peines sont portées au double.
La tentative des infractions prévues par les deuxième et troisième alinéas du présent article est punie des mêmes peines. »
Article 227-13
« La substitution volontaire, la simulation ou dissimulation ayant entraîné une atteinte à l'état civil d'un enfant est punie de trois ans d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende.
La tentative est punie des mêmes peines. »
■ Civ. 1e, 6 avr. 2011, 3 arrêts, v. communiqué de la Première présidence.
■ Civ. 2e, 28 avr. 1993, n° 91-20.316.
■ Dalloz action, Droit et pratique du divorce 2010/2011, 1e éd., Dalloz, coll. « Dalloz Référence », pt. 137.91 s.
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