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Le cas du mois

Welcome 2010 !

[ 27 janvier 2010 ] Imprimer

Propriété littéraire et artistique

Welcome 2010 !

Rien de tel qu’une fête dans une chambre de bonne pour célébrer la nouvelle année… Maria Doppi, étudiante Erasmus qui a abandonné l’université de Bologne pour user les bancs de La Sorbonne, a convié quelques amis dans son 9m2, rue de Charonne. Adhémar et Désiré, déguisés en Wallace et Gromit pour l’occasion, sont arrivés les premiers…

À 22 heures, la fête battait son plein - et Norah, son infection guérie, racontait avec animation à l'assemblée ses aventures esthétiques avec Hector Sionnaire (V. le cas du mois précédent) - mais la musique laissait un peu à désirer. Désiré prit les commandes de l’ordinateur portable de Maria et découvrit toute la richesse de sa playlist. Il s’en donna à cœur joie. Que des nouveautés : Muse, Gossip, Grizzly Bear, Grenn Day, The Killers et même, une fois n’est pas coutume, Lady Gaga…

Danser à quinze dans une chambre de bonne relève de l’exploit sportif. Au petit matin, fatigués, et un peu éméchés il faut l'avouer, nos jeunes fêtards décident de faire une pause devant Avatar, le dernier film de James Cameron, que Maria avait également téléchargé sur E-Mule.

Apparemment, Maria ne connaît pas la loi française en matière de téléchargement via les réseaux de peer-to-peer. Pouvez-vous l’informer des risques qu’elle a pris en n'utilisant pas les plates-formes de téléchargement légal ? Quelle(s) sanction(s) encourt-elle ?

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Les créations qui circulent sur internet (musique, films, écrits…), si elles respectent la double condition de forme (les idées ne sont pas protégées) et d’originalité (la création doit porter l’empreinte de la personnalité de leur auteur), bénéficient de la protection par le droit d’auteur. A ce titre, elles ne peuvent être reproduites, représentées et diffusées sans l’autorisation de leur auteur. En l’absence de cette autorisation, la personne qui « exploite » l’œuvre se rend coupable de contrefaçon, délit réprimé notamment par l’article L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle. Certains actes sont toutefois acceptés, s’ils respectent les conditions de l’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle qui liste les exceptions au droit d’auteur. Ainsi, lorsque l’œuvre est divulguée, l’auteur ne peut interdire, notamment, les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, à l’exception des copies des œuvres d’art destinées à être utilisées pour des fins identiques à celles pour lesquelles l’œuvre originale a été créée ».

Qu’en est-il de la situation de Maria ? En téléchargeant des œuvres sur internet, Maria bénéficie-t-elle de l’exception de copie privée ou se rend-elle coupable de contrefaçon ?

La jurisprudence appréhende les échanges d’œuvres via les réseaux de peer to peer depuis maintenant plusieurs années. Après quelques hésitations jurisprudentielles, la Cour de cassation considère désormais, d’une part, que le bénéfice de l’exception de copie privée ne peut être accepté ici et, d’autre part, que cette pratique, qui peut donc être qualifiée de contrefaçon, ne doit pas forcément trouver les mêmes réponses que les cas traditionnellement examinés par les juges (V. par ex. TGI Vannes, ch. corr., 29 avr. 2004 ; Crim. 30 mai 2006).

Cette singularité de l’échange sans autorisation des œuvres sur la toile a conduit le législateur à se prononcer à plusieurs reprises. Depuis 2006, trois lois se sont succédées pour tenter de trouver une solution, conduisant souvent les parlementaires à débattre pendant plusieurs séances sur la possibilité d’apporter à la contrefaçon une riposte graduée. En bref, l’objectif était de réprimer moins sévèrement la contrefaçon réalisée par un particulier dans un but non lucratif et la contrefaçon « industrialisée » qui génère un profit illicite substantiel pour le contrefacteur. Rappelons que la contrefaçon est classiquement punie de trois ans d’emprisonnement et 300 000 € d’amende.

La dernière loi en la matière est celle du 28 octobre 2009 (n° 2009-1311) relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet. Ce texte a, notamment, créé dans le code de la propriété intellectuelle un article L. 335-7 qui permet de condamner l’internaute contrefacteur à une peine complémentaire qui est la suspension de l’accès à un service de communication au public en ligne pour une durée maximale d’un an. Il s’agit bien d’une peine complémentaire et non de la peine principale qui reste les trois ans d’emprisonnement et les 300 000 € d’amende au maximum. Toutefois, toujours dans l’esprit de la riposte graduée, cette peine principale ne devrait pas être appliquée par les tribunaux. Par conséquent, on peut raisonnablement estimer que Maria devrait recevoir, dans un premier temps et via son fournisseur d’accès à internet, une recommandation émanant de la commission de la protection des droits de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet l’enjoignant de respecter les droits d’auteur et l’avertissant des sanctions encourues. Si dans un délai de six mois, Maria continue à télécharger illégalement, la commission pourra lui adresser une nouvelle recommandation. En l’absence de prise en compte de ce deuxième avertissement, Maria pourra être condamnée à la suspension de son abonnement à internet. Elle pourra toujours bénéficier de son accès à sa messagerie ou à la télévision s’il s’agissait d’un abonnement groupé. Evidemment, pendant la période de suspension, Maria devra continuer à payer le montant de son abonnement à son fournisseur d’accès et ne pourra souscrire un nouvel abonnement auprès d’un autre fournisseur d’accès.

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Références

Code de la propriété intellectuelle

■ Article L. 122-5

Lorsque l'œuvre a été divulguée, l'auteur ne peut interdire: 

  1o Les représentations privées et gratuites effectuées exclusivement dans un cercle de famille;

  2o Les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, à l'exception des copies des œuvres d'art destinées à être utilisées pour des fins identiques à celles pour lesquelles l'œuvre originale a été créée;  (L. no 94-361 du 10 mai 1994, art. 5-II)  «et des copies d'un logiciel autres que la copie de sauvegarde établie dans les conditions prévues au II de l'article L. 122-6-1»  (L. no 98-536 du 1er juill. 1998, art. 2)  «ainsi que des copies ou reproductions d'une base de données électronique»;

  3o Sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l'auteur et la source:

  a) Les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de l'œuvre à laquelle elles sont incorporées;

  b) Les revues de presse;

  c) La diffusion, même intégrale, par la voie de presse ou de télédiffusion, à titre d'information d'actualité, des discours destinés au public prononcés dans les assemblées politiques, administratives, judiciaires ou académiques, ainsi que dans les réunions publiques d'ordre politique et les cérémonies officielles;

   (L. no 97-283 du 27 mars 1997, art. 17)  «d) Les reproductions, intégrales ou partielles d'œuvres d'art graphiques ou plastiques destinées à figurer dans le catalogue d'une vente  (L. no 2000-642 du 10 juill. 2000)  «judiciaire» effectuée en France pour les exemplaires  (L. no 2000-642 du 10 juill. 2000)  «mis» à la disposition du public avant la vente dans le seul but de décrire les œuvres d'art mises en vente; 

   (L. no 2006-961 du 1er août 2006, art. 1er)  «e) La représentation ou la reproduction d'extraits d'œuvres, sous réserve des œuvres conçues à des fins pédagogiques, des partitions de musique et des œuvres réalisées pour une édition numérique de l'écrit, à des fins exclusives d'illustration dans le cadre de l'enseignement et de la recherche, à l'exclusion de toute activité ludique ou récréative, dès lors que le public auquel cette représentation ou cette reproduction est destinée est composé majoritairement d'élèves, d'étudiants, d'enseignants ou de chercheurs directement concernés, que l'utilisation de cette représentation ou cette reproduction ne donne lieu à aucune exploitation commerciale et qu'elle est compensée par une rémunération négociée sur une base forfaitaire sans préjudice de la cession du droit de reproduction par reprographie mentionnée à l'article L. 122-10;» 

  4o La parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre.

 (L. no 98-536 du 1er juill. 1998, art. 3)  «5o Les actes nécessaires à l'accès au contenu d'une base de données électronique pour les besoins et dans les limites de l'utilisation prévue par contrat;»

   (L. no 2006-961 du 1er août 2006, art. 1er)  «6o La reproduction provisoire présentant un caractère transitoire ou accessoire, lorsqu'elle est une partie intégrante et essentielle d'un procédé technique et qu'elle a pour unique objet de permettre l'utilisation licite de l'œuvre ou sa transmission entre tiers par la voie d'un réseau faisant appel à un intermédiaire; toutefois, cette reproduction provisoire qui ne peut porter que sur des œuvres autres que les logiciels et les bases de données ne doit pas avoir de valeur économique propre; 

  «7o La reproduction et la représentation par des personnes morales et par les établissements ouverts au public, tels que bibliothèques, archives, centres de documentation et espaces culturels multimédia, en vue d'une consultation strictement personnelle de l'œuvre par des personnes atteintes d'une ou de plusieurs déficiences des fonctions motrices, physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, dont le niveau d'incapacité est égal ou supérieur à un taux fixé par décret en Conseil d'État, et reconnues par la commission départementale de l'éducation spécialisée, la commission technique d'orientation et de reclassement professionnel ou la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées mentionnée à l'article L. 146-9 du code de l'action sociale et des familles, ou reconnues par certificat médical comme empêchées de lire après correction. Cette reproduction et cette représentation sont assurées, à des fins non lucratives et dans la mesure requise par le handicap, par les personnes morales et les établissements mentionnés au présent alinéa, dont la liste est arrêtée par l'autorité administrative. 

  «Les personnes morales et établissements mentionnés au premier alinéa du présent 7o doivent apporter la preuve de leur activité professionnelle effective de conception, de réalisation et de communication de supports au bénéfice des personnes physiques mentionnées au même alinéa par référence à leur objet social, à l'importance de leurs membres ou usagers, aux moyens matériels et humains dont ils disposent et aux services qu'ils rendent. 

  «A la demande des personnes morales et des établissements mentionnés au premier alinéa du présent 7o, formulée dans les deux ans suivant le dépôt légal des œuvres imprimées, les fichiers numériques ayant servi à l'édition de ces œuvres sont déposés au Centre national du livre ou auprès d'un organisme désigné par décret qui les met à leur disposition dans un standard ouvert au sens de l'article 4 de la loi no 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique. Le Centre national du livre ou l'organisme désigné par décret garantit la confidentialité de ces fichiers et la sécurisation de leur accès; 

  «8o  (L. no 2009-669 du 13 juin 2009, art. 21)  «La reproduction d'une œuvre et sa représentation effectuées à des fins de conservation ou destinées à préserver les conditions de sa consultation à des fins de recherche ou d'études privées par des particuliers, dans les locaux de l'établissement et sur des terminaux dédiés par des bibliothèques» accessibles au public, par des musées ou par des services d'archives, sous réserve que ceux-ci ne recherchent aucun avantage économique ou commercial; 

  «9o La reproduction ou la représentation, intégrale ou partielle, d'une œuvre d'art graphique, plastique ou architecturale, par voie de presse écrite, audiovisuelle ou en ligne, dans un but exclusif d'information immédiate et en relation directe avec cette dernière, sous réserve d'indiquer clairement le nom de l'auteur. 

  «Le premier alinéa du présent 9o ne s'applique pas aux œuvres, notamment photographiques ou d'illustration, qui visent elles-mêmes à rendre compte de l'information. 

  «Les reproductions ou représentations qui, notamment par leur nombre ou leur format, ne seraient pas en stricte proportion avec le but exclusif d'information immédiate poursuivi ou qui ne seraient pas en relation directe avec cette dernière donnent lieu à rémunération des auteurs sur la base des accords ou tarifs en vigueur dans les secteurs professionnels concernés.
«Les exceptions énumérées par le présent article ne peuvent porter atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur.

  «Les modalités d'application du présent article, notamment les caractéristiques et les conditions de distribution des documents mentionnés au d du 3o, l'autorité administrative mentionnée au 7o, ainsi que les conditions de désignation des organismes dépositaires et d'accès aux fichiers numériques mentionnés au troisième alinéa du 7o, sont précisées par décret en Conseil d'État.


Article L. 335-3

Est également un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d'une œuvre de l'esprit en violation des droits de l'auteur, tels qu'ils sont définis et réglementés par la loi.
   (L. no 94-361 du 10 mai 1994, art. 8)  «Est également un délit de contrefaçon la violation de l'un des droits de l'auteur d'un logiciel définis à l'article L. 122-6.»
   (L. no 2009-669 du 12 juin 2009, art. 8)  «Est également un délit de contrefaçon toute captation totale ou partielle d'une œuvre cinématographique ou audiovisuelle en salle de spectacle cinématographique.»

TGI Vannes, ch. corr., 29 avr. 2004, CCE 2004, comm. no 86, note Caron; Légipresse 2004, III, p. 180, note Robin; RIDA juill. 2004, p. 227, obs. Kéréver; Propr. intell. 2004, no 12, p. 779, obs. Sirinelli .

Crim. 30 mai 2006, D. 2006. AJ 2676, obs. Daleau ; ibid. Pan. 2997, obs. Sirinelli ; CCE 2006, comm. no 118, note Caron; ibid. 2007, chron. no 4, § 11, obs. Daverat; JCP 2006. II. 10124, note Caron; RIDA, oct. 2006, p. 237, obs. Sirinelli.

 

 

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