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[ 26 avril 2023 ] Imprimer

Droit des sûretés et de la publicité foncière

Cautionnement doublé d’une sûreté réelle pour autrui : exclusion des règles applicables à la caution

La sûreté réelle consentie pour garantir la dette d'un tiers n'impliquant aucun engagement personnel à satisfaire à l'obligation d'autrui, elle n'est pas un cautionnement, de sorte que l'action du créancier fondée sur cette sûreté n'est soumise ni aux articles 22882298 et 2303 du Code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, ni à l'article L. 341-4 du Code de la consommation, alors applicable, peu important que le constituant de la sûreté réelle se soit également rendu caution de la même dette.

Com. 5 avril 2023, n° 21-14.166 et n° 21-18.531 B

Le 15 mars dernier, la chambre commerciale a semé le trouble en affirmant que l'action en nullité d'un cautionnement hypothécaire est une action personnelle soumise à la prescription quinquennale de droit commun (Com. 15 mars 2023, n° 21-19.669). Ainsi semblait-elle remettre en cause la nature réelle de ce cautionnement qui n’en a en vérité que le nom, la Cour de cassation soustrayant depuis longtemps cette sûreté réelle pour autrui au régime applicable au cautionnement (Cass., ch. mixte, 2 déc. 2005, n° 03-18.210) : en effet, l’obligation d’information et de mise en garde de la caution (Civ. 1re, 7 févr. 2006, n° 02-16.010 ; 25 nov. 2015, n° 14-21.332), l’exigence de proportionnalité du contrat de cautionnement (Civ. 1re, 7 mai 2008, n° 07-11.692) ainsi que le délai quinquennal de prescription, applicable aux seules actions personnelles (Com. 2 juin 2021, n° 20-12.908), ne s’appliquent pas, traditionnellement, aux sûretés réelles pour autrui. Le débat récemment soulevé par la chambre commerciale quant à la nature, réelle ou personnelle, du cautionnement hypothécaire (Com. 15 mars 2023, préc. ; comp. Com. 2 juin 2021, préc. : « la sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers n’impliquant aucun engagement personnel à satisfaire à l’obligation d’autrui, elle n’est pas un cautionnement. Limitée au bien affecté en garantie, elle est soumise à la prescription trentenaire, prévue par le dernier texte pour les actions réelles immobilières, et non à la prescription quinquennale de droit commun ») était de surcroît alimenté par l’évolution du droit des sûretés, dont la réforme opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021 a conduit à uniformiser le régime applicable au cautionnement, personnel ou réel, par des règles communes (C. civ., art. 2325). Le doute ainsi semé quant à la nature exacte du « cautionnement réel » est toutefois dissipé par les deux décisions rapportées, qui confirment la volonté de la Cour de le soustraire aux règles applicables au cautionnement, dont la nature personnelle conduit à lui réserver un régime propre insusceptible d’être étendu aux sûretés réelles pour autrui.

Les faits ayant donné lieu aux deux arrêts sous commentaire étaient similaires. Des prêts avaient été garantis à la fois par des cautionnements et des affectations hypothécaires en même temps consenties par les cautions. La défaillance des débiteurs principaux avait conduit les banques créancières à engager des procédures de saisies immobilières sur les biens hypothéqués par les cautions. Dans la première affaire (n° 21-14.166), les garants ont demandé la nullité des saisies devant le juge de l'exécution, en invoquant le bénéfice de discussion, le bénéfice de division ainsi que la disproportion manifeste de leurs engagements. Dans la seconde (n° 21-18.531), ils ont également pris motif de cette disproportion pour opposer à la banque l’impossibilité dans laquelle elle se trouvait de se prévaloir des affectations hypothécaires offertes en garantie. Ainsi, dans ces deux affaires, les saisies immobilières avaient été poursuivies en raison des sûretés réelles consenties en garantie de la dette d’un tiers par des personnes physiques qui, en sus de ces sûretés réelles, s’étaient également portées cautions de la même dette. La question de savoir si en raison des cautionnements consentis, les garants pouvaient se prévaloir des règles applicables au cautionnement se trouvait alors posée à la Cour de cassation.

Après avoir rappelé que la sûreté réelle consentie pour garantir la dette d'un tiers n'implique aucun engagement personnel à satisfaire à l'obligation d'autrui, si bien qu’elle n’est pas un cautionnement, la Cour juge indifférent le fait que les constituants des sûretés réelles se soient également rendus cautions de la même dette. Ainsi en infère-t-elle, dans la première affaire, que l'action du créancier fondée sur la sûreté réelle consentie n'est soumise ni aux articles 2288, 2298 et 2303 du Code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192, du 15 septembre 2021, ni à l'article L. 341-4 du Code de la consommation, alors applicable. La cour d’appel a donc pu relever que l’affectation hypothécaire litigieuse garantissait la dette d’un tiers et non l’engagement de la caution, et que la saisie immobilière était poursuivie sur son fondement, pour en déduire que ni le fait que la propriétaire du bien hypothéqué avait donné un cautionnement simple, ni l’éventuel caractère manifestement disproportionné des engagements qu’elle avait pris n’avaient à être examinés. Dans la seconde affaire, renouvelant son analyse quant à l’appréciation de la disproportion des engagements pris par les garants, elle approuve également la cour d’appel d’avoir retenu que les engagements au titre desquels la banque poursuivait la saisie immobilière n’étaient pas des cautionnements constitutifs de sûretés personnelles portant gage sur l’ensemble du patrimoine des intéressés, mais des sûretés réelles portant sur les seuls biens hypothéqués à concurrence de leur valeur, et que la banque poursuivait la saisie immobilière sur le seul fondement de ces sûretés réelles, pour retenir exactement que les dispositions de l’ancien article L. 341-4 du Code de la consommation ne trouvaient pas à s’appliquer, nonobstant la présence, dans les actes notariés, des cautionnements personnels et solidaires des propriétaires des biens hypothéqués en sus des sûretés réelles.

Renforcée par ces deux décisions, qui viennent confirmer ses précédents jurisprudentiels, la portée de la jurisprudence de la chambre commerciale doit toutefois être relativisée. En effet, le droit nouveau paraît compromettre sa pérennité, la réforme du droit des sûretés ayant permis au constituant d’une sûreté réelle pour autrui, dans un but de protection, de se prévaloir des dispositions des articles 2299 [devoir de mise en garde], 2302 à 2305-1 [obligations légales d’information et bénéfice de discussion], 2308 à 2312 [recours personnel et subrogatoire] et 2314 [bénéfice de subrogation] du Code civil.

Références :

■ Com. 15 mars 2023, n° 21-19.669 DAE, 6 avr.2023, note M. Hervieu.

■ Cass., ch. mixte, 2 déc. 2005, n° 03-18.210  PD. 2006. 729, concl. J. Sainte-Rose ; ibid. 61, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 733, note L. Aynès ; ibid. 1414, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; ibid. 2855, obs. P. Crocq ; AJ fam. 2006. 113, obs. P. Hilt ; RTD civ. 2006. 357, obs. B. Vareille ; ibid. 594, obs. P. Crocq ; RTD com. 2006. 465, obs. D. Legeais.

■ Civ. 1re, 7 févr. 2006, n° 02-16.010 D. 2006. 1543, obs. V. Avena-Robardet, note V. Bonnet ; AJDI 2006. 290 ; RTD com. 2006. 465, obs. D. Legeais.

■ Civ. 1re, 25 nov. 2015, n° 14-21.332 DAE, 7 janv. 2016, note M. H D. 2015. 2500.

■ Civ. 1re, 7 mai 2008, n° 07-11.692 D. 2008. 2036, note S. Piédelièvre ; RTD civ. 2008. 700, obs. P. Crocq.

■ Com. 2 juin 2021, n° 20-12.908 PDAE, 14 juill. 2021, note Fabienne Terryn ; D. 2021. 1526, note M. Nicolle ; ibid. 1879, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers ; RTD civ. 2021. 691, obs. C. Gijsbers.

 

Auteur :Merryl Hervieu

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