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Droit constitutionnel
Censure de la loi visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi
Mots-clefs : Conseil constitutionnel, Contrôle a priori de la loi ; non-conformité, Censure, Génocide, Liberté d’expression et de communication, Déclaration de 1789 (art. 11)
C’est sur le fondement de l’atteinte inconstitutionnelle à la liberté d’expression et de communication que les sages du Palais Royal ont censuré, le 28 février 2012, la loi pénalisant la négation des génocides reconnus par la loi.
À l’occasion de saisines de plus de soixante députés et soixante sénateurs (Const. 58, art. 61, contrôle a priori de la loi), le Conseil constitutionnel rend une décision de non-conformité à la Constitution en application de l’article 11 de la Déclaration de 1789. Il est important de préciser, qu’en l’espèce, les saisines des parlementaires n’avaient pas pour objet de contester l’existence des génocides mais uniquement de rappeler le respect à la Constitution.
La loi déférée au Conseil constitutionnel concerne la pénalisation de la contestation des génocides reconnus par la loi. Le terme « génocides reconnus par la loi » renvoie aux lois mémorielles, lois ayant pour objet de porter une appréciation sur l’histoire ou la qualifier (v. « La loi doit-elle écrire l’histoire ? »). Ce terme vise une loi déjà votée (en l’espèce il s’agit uniquement de la loi du 29 janvier 2001 sur la reconnaissance du génocide arménien de 1915) mais également toute contestation ou minimisation des crimes de génocide qui pourrait être reconnu par le législateur à l’avenir. Le délit prévu était alors subordonné à une reconnaissance légale déjà existante mais également future, ce qui est inédit en droit français.
Plus exactement, la loi soumise au Conseil constitutionnel se compose de deux articles. Son objet était de punir d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, ou de l’une de ces deux peines seulement, ceux qui auront publiquement contesté ou minimisé de façon outrancière, par un des moyens tels que des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l'écrit, de la parole ou de l'image … (art. 23 L. du 29 juill. 1881) , l'existence d'un ou plusieurs crimes de génocide défini à l'article 211-1 du Code pénal et reconnus comme tels par la loi française. Ainsi, cette loi modifiait la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (en créant un art. 24 ter et en modifiant l’art. 48-2) afin que les infractions à caractère raciste visées constituent un délit de droit commun inscrit dans la loi de 1881. En outre, elle permettait à toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, qui se propose, par ses statuts, de défendre les intérêts moraux et l'honneur des victimes de crimes de génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre d'exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne l'apologie, la négation ou la banalisation des crimes de génocide, crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité.
Le Conseil constitutionnel rappelle que, sous réserve de dispositions particulières prévues par la Constitution, la loi a pour vocation d’énoncer des règles et doit par suite être revêtue d’une portée normative (art. 6 DDH). Ainsi, le Conseil relève qu’une disposition législative ayant pour objet de « reconnaître » un crime de génocide ne saurait, en elle-même, être revêtue de la portée normative qui s’attache à la loi. Toutefois, l’article 1er de la loi déférée avait pour vocation de réprimer la contestation ou la minimisation de l’existence d’un ou plusieurs crimes de génocide reconnus comme tels par la loi française. Les sages considèrent que le législateur a porté une atteinte inconstitutionnelle à la liberté d’expression en réprimant la contestation de l’existence et de la qualification juridique des crimes qu’il aurait lui-même reconnus et qualifiés comme tels. Cette liberté est souvent définie par le Conseil constitutionnel comme « un des droits les plus précieux de l’homme ». Ainsi, « tout citoyen peut parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi » (v. not., Cons. const. 29 juill. 1994, § 4).
Cons. const. 28 févr. 2012, Loi visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi, n°2012-647 DC
Références
■ « La loi doit-elle écrire l’histoire ? », Dalloz Actu Étudiant 9 févr. 2012.
■ Cons. const. 29 juill. 1994, Loi relative à l’emploi de la langue française, n°94-435 DC, § 4.
■ Article 61 de la Constitution du 4 octobre 1958
« Les lois organiques, avant leur promulgation, les propositions de loi mentionnées à l'article 11 avant qu'elles ne soient soumises au référendum, et les règlements des assemblées parlementaires, avant leur mise en application, doivent être soumis au Conseil Constitutionnel qui se prononce sur leur conformité à la Constitution.
Aux mêmes fins, les lois peuvent être déférées au Conseil Constitutionnel, avant leur promulgation, par le Président de la République, le Premier Ministre, le Président de l'Assemblée Nationale, le Président du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs.
Dans les cas prévus aux deux alinéas précédents, le Conseil Constitutionnel doit statuer dans le délai d'un mois. Toutefois, à la demande du Gouvernement, s'il y a urgence, ce délai est ramené à huit jours.
Dans ces mêmes cas, la saisine du Conseil Constitutionnel suspend le délai de promulgation. »
■ Déclaration des droits de l’homme de 1789
« La Loi est l'expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »
« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. »
■ Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse
« Seront punis comme complices d'une action qualifiée crime ou délit ceux qui, soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l'écrit, de la parole ou de l'image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique, auront directement provoqué l'auteur ou les auteurs à commettre ladite action, si la provocation a été suivie d'effet.
Cette disposition sera également applicable lorsque la provocation n'aura été suivie que d'une tentative de crime prévue par l'article 2 du code pénal. »
« Toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, qui se propose, par ses statuts, de défendre les intérêts moraux et l'honneur de la Résistance ou des déportés peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne l'apologie des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité ou des crimes ou délits de collaboration avec l'ennemi et en ce qui concerne l'infraction prévue par l'article 24 bis. »
« Constitue un génocide le fait, en exécution d'un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux, ou d'un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire, de commettre ou de faire commettre, à l'encontre de membres de ce groupe, l'un des actes suivants :
- atteinte volontaire à la vie ;
- atteinte grave à l'intégrité physique ou psychique ;
- soumission à des conditions d'existence de nature à entraîner la destruction totale ou partielle du groupe ;
- mesures visant à entraver les naissances ;
- transfert forcé d'enfants.
Le génocide est puni de la réclusion criminelle à perpétuité.
Les deux premiers alinéas de l'article 132-23 relatif à la période de sûreté sont applicables au crime prévu par le présent article. »
■ Texte définitif issu de la proposition de loi visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi
« Le paragraphe 1er du chapitre IV de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est complété par un article 24 ter ainsi rédigé :
“ Art. 24 ter. - Les peines prévues à l'article 24 bis sont applicables à ceux qui ont contesté ou minimisé de façon outrancière, par un des moyens énoncés à l'article 23, l'existence d'un ou plusieurs crimes de génocide défini à l'article 211-1 du code pénal et reconnus comme tels par la loi française.
« Le tribunal peut en outre ordonner l'affichage ou la diffusion de la décision prononcée, dans les conditions prévues à l'article 131-35 du code pénal. ” »
Article 2
« L'article 48-2 de la même loi est ainsi modifié :
1° Après le mot : “ déportés ”, sont insérés les mots : “ , ou de toute autre victime de crimes de génocide, de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité ou de crimes ou délits de collaboration avec l'ennemi ” ;
2° À la fin, les mots : “ l'infraction prévue par l'article 24 bis » sont remplacés par les mots : « les infractions prévues aux articles 24 bis et 24 ter ”. »
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