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[ 20 mars 2013 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Dans l’espace public : on se découvre mesdames !

Mots-clefs : Dissimulation du visage, Espace public, Stage de citoyenneté

Est répréhensible le port, sur la voie publique, d’un voile couvrant intégralement le visage. Une telle interdiction n’est pas contraire à l’article 9 de la Convention européenne qui garantit l’exercice de la liberté de pensée, de conscience et de religion.

La chambre criminelle a rendu deux premières décisions concernant l’incrimination de dissimulation du visage dans l’espace public. Cette infraction avait été introduite, à la suite de la polémique sur la pratique du port du voile intégral par certaines femmes (burqaniqab…). La loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 affirme ainsi que « Nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage ». L'interdiction est punie de l'amende prévue pour les contraventions de deuxième classe (150 €) et/ou de l'obligation d'accomplir un stage de citoyenneté (v. Lacaze). Soumis à la sagacité du Conseil constitutionnel (décis. n° 2010-613-DC du 7 octobre 2010), celui-ci avait estimé qu’« eu égard aux objectifs qu’il s’est assignés et compte tenu de la nature de la peine instituée en cas de méconnaissance de la règle fixée par lui », lesdites dispositions « assurent, entre la sauvegarde de l’ordre public et la garantie des droits constitutionnellement protégés, une conciliation qui n’est pas manifestement disproportionnée ». Cette interdiction générale de la dissimulation du visage a pris effet le 11 avril 2011.

Dans les deux affaires, les prévenues ont été contrôlées et interpellées, le visage dissimulé, sur la voie publique. La première prévenue, qui s’était rendue à proximité du palais de l’Élysée en compagnie d’autres personnes portant des masques, et de journalistes, avait été conduite au commissariat et refusa de dévoiler son visage. Elle a été condamnée en répression à un stage de citoyenneté d’une durée de quinze jours. La seconde prévenue a été, elle, relaxée au motif que contrôlée à l’extérieur du commissariat, ce n’est qu’à l’initiative des fonctionnaires de police qu’elle est entrée dans cet établissement public, revêtue de son voile.

Ces deux décisions permettent de revenir sur les éléments constitutifs de l’infraction, les dérogations et la répression.

L’infraction est constituée dès lors qu'une personne porte une tenue destinée à dissimuler son visage et qu'elle se trouve dans l'espace public (v. affaire de la crèche privée Baby Loup : Soc. 19 mars 2013, n°11-28.845). S’agissant de la définition de « l'espace public », la loi précise que celui-ci est constitué des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public. Le simple fait de se trouver dans la rue le visage dissimulé entre donc dans le champ de l’incrimination. C’est ce que rappelle la Cour de cassation dans la seconde espèce, où les juges du fond avaient pu considérer à tort que l’infraction n’existait que si l’individu pénétrait spontanément dans un lieu ouvert au public ou un établissement public (en l’espèce un commissariat). La chambre criminelle rappelle « qu’est répréhensible le port, sur la voie publique, d’un voile couvrant intégralement le visage ».

L’interdiction de dissimulation du visage est assortie de certaines dérogations (tenue prescrite par la loi ou le règlement, autorisée pour protéger l'anonymat de l'intéressé, justifiée pour des raisons de santé ou des motifs professionnels ou dans le cadre de fêtes ou de manifestations artistiques ou traditionnelles ou encore pratiques sportives). En revanche, les convictions religieuses n’entrent pas dans le champ des exceptions à l'interdiction posée. Sur ce point, une réserve d’interprétation avait cependant été émise, le Conseil constitutionnel précisant que « l’interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public ne saurait, sans porter une atteinte excessive à l’article 10 de la Déclaration de 1789, restreindre l’exercice de la liberté religieuse dans les lieux de culte ouverts au public ».

Dans la première espèce, la prévenue soutenait qu’elle avait agi dans l’exercice paisible de ses convictions religieuses (motivation religieuse de la manifestation) et remettait en cause la conventionnalité de la loi qui, selon elle, violait l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme garantissant la liberté de pensée, de conscience et de religion. Tel n’est pas l’avis de la chambre criminelle qui rétorque « que si l’article 9 de la Convention susvisée garantit l’exercice de la liberté de pensée, de conscience et de religion, l’alinéa 2 de ce texte dispose que cette liberté peut faire l’objet de restrictions prévues par la loi et constituant, dans une société démocratique, des mesures nécessaires à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ; que tel est le cas de la loi interdisant la dissimulation intégrale du visage dans l’espace public en ce qu’elle vise à protéger l’ordre et la sécurité publics en imposant à toute personne circulant dans un espace public, de montrer son visage ».

Une telle affirmation n’est cependant pas parole d’évangile. S'agissant de l'interdiction de dissimulation du visage pour des motifs religieux sur la voie publique, le Conseil d'État avait émis des doutes quant à la conventionnalité (CE, Ass. plén., avis, 25 mars 2010, Étude relative aux possibilités juridiques d'interdiction du port du voile intégral). Et rien n’est moins certain que la CEDH approuve une telle atteinte à la liberté de religion (v. Le Rouzic).

Concernant enfin la répression, la peine de stage de citoyenneté peut être prononcée à titre de peine principale ou complémentaire. Cette peine, qui a pour finalité de rappeler au prévenu « les valeurs républicaines de tolérance et de respect de la dignité humaine sur lesquelles est fondée la société » peut paraître particulièrement adaptée à l’incrimination si l’on admet que le port, même volontaire, de tenues destinées à dissimuler le visage, en particulier le voile intégral, remet en cause les règles formant le pacte républicain. Faut-il encore que les juges respectent les conditions de son prononcé.

La chambre criminelle rappelle, au visa de l’article 131-5-1 du Code pénal, que « la peine de stage de citoyenneté ne peut être prononcée contre le prévenu qui la refuse ou n’est pas présent à l’audience ». Or en l’espèce, la juridiction de proximité avait condamné la première prévenue à effectuer un stage de citoyenneté d’une durée de quinze jours alors que cette dernière était non comparante à l’audience. Selon la juridiction, la présence de la prévenue n’est exigée que lorsque cette peine est prononcée en matière correctionnelle. Tel n’est pas l’avis de la chambre criminelle qui censure la décision sur ce point affirmant que la juridiction « ne pouvait, en l’absence de la prévenue, condamner celle-ci à accomplir un stage de citoyenneté, fût-ce pour une contravention ».

Crim. 5 mars 2013, n°12-80.891 FS-P+B, et n° 12-82.852 FS-P+B 

Références

 Lacaze, « La contravention de port d'une tenue destinée à dissimuler le visage dans l'espace public : incertitude des fondements juridiques, incohérence des catégories pénales », Dr. pénal 2012. Étude 5.

■ Cons. const.7 oct. 2010, n° 2010-613-DC ; Dalloz Actu Étudiant 18 oct. 2010 ; Cayla, « Dissimulation du visage dans l'espace public : l'hypocrisie du juge constitutionnel trahie par la sincérité des circulaires ? », D. 2011. 1166 ; Verpeaux, « Dissimulation du visage, la délicate conciliation entre la liberté et un nouvel ordre public », AJDA 2010. 2373.

■ Soc. 19 mars 2013, n°11-28.845.

■ CE, Ass. plén., avis, 25 mars 2010, Étude relative aux possibilités juridiques d'interdiction du port du voile intégral.

 Le Rouzic, « L'interdiction de dissimulation du visage dans l'espace public sous surveillance de la Cour européenne des droits de l'homme », JCP ACT. n° 28, 11 juill. 2011, 2252.

 Article 10 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen

« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi. »

 Article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme - Liberté de pensée, de conscience et de religion.

« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. 

2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

■ Article 131-5-1 du Code de procédure pénale

« Lorsqu'un délit est puni d'une peine d'emprisonnement, la juridiction peut, à la place de l'emprisonnement, prescrire que le condamné devra accomplir un stage de citoyenneté, dont les modalités, la durée et le contenu sont fixés par décret en Conseil d'État, et qui a pour objet de lui rappeler les valeurs républicaines de tolérance et de respect de la dignité humaine sur lesquelles est fondée la société. La juridiction précise si ce stage, dont le coût ne peut excéder celui des amendes contraventionnelles de la troisième classe, doit être effectué aux frais du condamné. 

Cette peine ne peut être prononcée contre le prévenu qui la refuse ou n'est pas présent à l'audience. »

 

Auteur :C. L.

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