Actualité > À la une

À la une

[ 20 septembre 2013 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Droit de vote des détenus

Mots-clefs : Droit de vote, Détenus, Cour européenne des droits de l’homme, Protocole n° 1, Interdiction d’une privation automatique et indifférenciée du droit de vote

Les personnes condamnées à une peine de prison ne peuvent se voir opposer une interdiction automatique et indifférenciée du droit de vote a rappelé la CEDH dans une décision concernant la Turquie rendue le 17 septembre 2013.

La jurisprudence européenne sur le droit de vote des détenus fait référence à l’article 3 du Protocole n° 1 (droit à des élections libres). Selon la CEDH, les États ne peuvent restreindre de manière globale le droit de vote de tous les détenus condamnés purgeant leur peine. La restriction qui s’appliquerait de façon automatique quelle que soit la durée de leur peine et indépendamment de la nature ou de la gravité de l'infraction qu'ils ont commise et de leur situation personnelle outrepasse une marge d'appréciation acceptable et est incompatible avec l’article 3 du Protocole n° 1 (CEDH, gr. ch., 6 oct. 2005, Hirst c/ Royaume-Uni (n° 2), § 62).

Cependant si l'interdiction est fixée par la législation et que celle-ci ne présente pas un caractère de généralité mais module l'interdiction du droit de vote en fonction des particularités de chaque affaire, compte tenu, en particulier, de la durée de la peine, il n’y a pas violation de l’article 3 (CEDH, gr. ch., 22 mai 2012, Scoppola c/ Italie, § 102 s.).

En l’espèce, la privation du droit de vote imposée en Turquie aux personnes condamnées à une peine de prison est automatique et indifférenciée. Elle ne tient notamment pas compte de la nature, de la gravité des infractions commises, ni de la durée de la peine.

Selon la CEDH, la Turquie outrepasse toute latitude acceptable dans cette interdiction générale et absolue du droit de vote des détenus. Contrairement aux précédentes décisions rendues par la Cour en la matière, l’interdiction turque va plus loin. En effet, elle s’applique également aux condamnés ayant bénéficié d’une libération conditionnelle et à ceux condamnés à une peine de prison avec sursis et qui ne sont, de fait, pas incarcérés.

En France, si l’incapacité électorale n’a pas été prononcée par le juge, le seul fait d’être en détention ne prive pas du droit de vote. Les personnes détenues peuvent voter soit par procuration soit en demandant la permission de sortir.

Ainsi, l’article L. 71 du Code électoral prévoit que « Peuvent exercer, sur leur demande, leur droit de vote par procuration : (…) c) Les personnes placées en détention provisoire et les détenus purgeant une peine n'entraînant pas une incapacité électorale. ». Elle doivent fournir un extrait du registre d'écrou (C. élect., art. R. 73). (V. également L. n° 2009-1436 du 24 nov. 2009 pénitentiaire, art. 30).

Par ailleurs, afin que le condamné exerce son droit de vote, des permissions de sortir d'une durée n'excédant pas la journée peuvent être accordées lorsque le détenu a été condamné à une peine privative de liberté inférieure ou égale à cinq ans ou à une peine privative de liberté supérieure à cinq ans, lorsque il a exécuté la moitié de sa peine (C. pr. pén., art. D. 143). En cas de refus d’une permission, le condamné peut voter par procuration.

Concernant l’incapacité électorale en France, l’article L. 6 du Code électoral prévoit que les personnes auxquelles les tribunaux ont interdit le droit de vote et d’élection ne doivent pas être inscrites sur les listes électorales. La mise en œuvre de l’article L. 6 ne peut résulter que d’une décision expresse de la juridiction qui la prononce et en fixe la durée. La condamnation doit, en outre, être devenue définitive et ne pas être assortie du sursis. Par ailleurs, avant que l’article L. 7 du Code électoral soit censuré par le Conseil constitutionnel au motif que les dispositions de cet article méconnaissaient le principe constitutionnel d’individualisation des peines (Cons. const. 11 juin 2010, M. Stéphane A. et a., n° 2010-6/7 QPC), l’article L. 7 énonçait que les personnes condamnées pour certaines infractions au Code pénal (concussion, corruption passive et trafic d’influence par des personnes exerçant une fonction publique, prise illégale d’intérêts, atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public, soustraction et détournement de biens, corruption active et trafic d’influence) ne devaient pas être inscrites sur les listes électorales pendant un délai de cinq ans à compter de la date à laquelle la condamnation était devenue définitive. Cette perte des droits civiques et électoraux était automatique dès lors qu’une personne était condamnée pour l’une au moins des infractions précitées et quelle que ait été la peine prononcée, y compris s’il ne s’agissait que d’un emprisonnement avec sursis ou d’une amende.

Enfin, les condamnations prononcées à l’étranger à l’encontre des citoyens français n’entraînent aucune incapacité électorale.

Pour finir, il convient de noter qu’en droit français l’incapacité électorale prend fin à l’extinction de la peine ou par la grâce, la réhabilitation, l’amnistie, la dispense d’inscription de la condamnation au bulletin n° 2 du casier judiciaire, le relèvement de l’incapacité, l’expiration du délai de sursis non révoqué ou la suspension de peine.

CEDH 17 sept. 2013, Söyler c/ Turquie, n° 29411/07

 

 

Références

■ CEDH, gr. ch., 6 oct. 2005, Hirst c/ Royaume-Uni (n° 2), aff. n° 74025/01 § 62, AJDA 2006. 466, chron. Flauss ; RSC 2006. 662, chron. Massias.

 CEDH, gr. ch., 22 mai 2012, Scoppola c/ Italie, aff. n° 126/05 § 102 s., Dalloz Actu Étudiant 8 juin 2012.

■ Cons. const. 11 juin 2010, M. Stéphane A. et a., n° 2010-6/7 QPC.

■ Article 3 du Protocole n° 1 - Droit à des élections libres

Les Hautes Parties contractantes s’engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif. 

■ Code électoral

Article L. 6

« Ne doivent pas être inscrits sur la liste électorale, pendant le délai fixé par le jugement, ceux auxquels les tribunaux ont interdit le droit de vote et d'élection, par application des lois qui autorisent cette interdiction. »

Article L. 71

« Peuvent exercer, sur leur demande, leur droit de vote par procuration : 

a) Les électeurs attestant sur l'honneur qu'en raison d'obligations professionnelles, en raison d'un handicap, pour raison de santé ou en raison de l'assistance apportée à une personne malade ou infirme, il leur est impossible d'être présents dans leur commune d'inscription le jour du scrutin ou de participer à celui-ci en dépit de leur présence dans la commune ; 

b) Les électeurs attestant sur l'honneur qu'en raison d'obligations de formation, parce qu'ils sont en vacances ou parce qu'ils résident dans une commune différente de celle où ils sont inscrits sur une liste électorale, ils ne sont pas présents dans leur commune d'inscription le jour du scrutin ; 

c) Les personnes placées en détention provisoire et les détenus purgeant une peine n'entraînant pas une incapacité électorale. »

Article R. 73

« La procuration est établie sans frais. 

Les mandants doivent justifier de leur identité. Ceux mentionnés aux a et b de l'article L. 71 doivent fournir une attestation sur l'honneur précisant le motif en raison duquel il leur est impossible d'être présents dans leur commune d'inscription le jour du scrutin ou de participer à celui-ci en dépit de leur présence dans la commune. Ceux mentionnés au c de l'article L. 71 doivent fournir un extrait du registre d'écrou. 

La présence du mandataire n'est pas nécessaire. 

Dans le cas prévu au deuxième alinéa de l'article R. 72, la demande doit être formulée par écrit et accompagnée d'un certificat médical ou de tout document officiel justifiant que l'électeur est dans l'impossibilité manifeste de comparaître. 

Les attestations, justifications, demandes et certificats prévus au présent article sont conservés par les autorités mentionnées au premier alinéa de l'article R. 72 pendant une durée de six mois après l'expiration du délai de validité de la procuration. »

■ Article 30 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire

« Les personnes détenues peuvent élire domicile auprès de l'établissement pénitentiaire :

1° Pour l'exercice de leurs droits civiques, lorsqu'elles ne disposent pas d'un domicile personnel. Avant chaque scrutin, le chef d'établissement organise avec l'autorité administrative compétente une procédure destinée à assurer l'exercice du vote par procuration ;

2° Pour prétendre au bénéfice des droits mentionnés à l'article L. 121-1 du code de l'action sociale et des familles, lorsqu'elles ne disposent pas d'un domicile de secours au moment de leur incarcération ou ne peuvent en justifier ;

3° Pour faciliter leurs démarches administratives. »

■ Article D. 143 du Code de procédure pénale

« Des permissions de sortir d'une durée n'excédant pas la journée peuvent être accordées dans les cas suivants aux condamnés à une peine privative de liberté inférieure ou égale à cinq ans ainsi qu'aux condamnés à une peine privative de liberté supérieure à cinq ans, lorsque ces derniers ont exécuté la moitié de leur peine : 

1° Présentation à leurs employeurs éventuels des détenus prochainement libérables ou susceptibles d'être admis au bénéfice de la libération conditionnelle ou au régime de semi-liberté ou de placement à l'extérieur en application de l'article D. 136 ; 

2° Présentation aux épreuves d'un examen dans les conditions prévues aux articles D. 436-3 et D. 438-2 ; 

3° Présentation dans un centre de soins ; 

4° Accomplissement de toute formalité requise par l'autorité militaire soit préalablement à un engagement dans les forces armées en vue duquel la libération conditionnelle a été accordée, soit à l'égard des détenus militaires ; 

5° Sorties pour la pratique d'activités culturelles ou sportives organisées ; 

6° Comparution soit devant une juridiction de l'ordre judiciaire, soit devant une juridiction ou un organisme d'ordre administratif ; 

7° Exercice par le condamné de son droit de vote. »

 

Auteur :C. G.


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Ketty de Falco

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr