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[ 10 février 2015 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Liberté d’expression v. vie privée : la vie privée doit rester privée !

Mots-clefs : Enregistrement de propos tenus à titre privé ou confidentiel, Diffusion d'enregistrements, Articles 226-1 et 226-2 du Code pénal, Article 10 de la Conv. EDH

La diffusion d'extraits d'enregistrements de propos obtenus en violation de l’article 226-1 du Code pénal, quelle que soit leur teneur, est sanctionnée et ne peut être justifiée au regard de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Le site d'informations Mediapart avait publié des extraits de plusieurs enregistrements effectués par le maître d’hôtel d’une femme milliardaire et captés au domicile de cette dernière. Celle-ci avait soutenu que ces publications constituaient un trouble manifestement illicite constitué par une atteinte à l'intimité de sa vie privée au sens des articles 226-1 et 226-2 du Code pénal.

Relayant la position de la Haute cour sur cette question (v. notam. Civ. 1re, 6 oct. 2011 : « constitue une atteinte à l'intimité de la vie privée, que ne légitime pas l'information du public, la captation, l'enregistrement ou la transmission sans le consentement de leur auteur des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel »), la cour d’appel de renvoi avait retenu que la diffusion d'enregistrements, que l’éditeur, le directeur de publication du journal ainsi que les journalistes en cause, savaient provenir de l'intrusion dans la sphère intime de la victime, caractérisait un trouble manifestement illicite en ce qu’il constituait une atteinte à la vie privée de cette dernière. Il leur avait été alors ordonné de retirer du site toute publication ou retranscription des enregistrements illicites et interdit de publier tout ou partie de ceux-ci quel que soit le support ; aussi avaient-ils été condamnés in solidum à indemniser la victime, à hauteur de 20 000 euros, pour son préjudice moral.

Un pourvoi avait été formé contre cette décision. Les demandeurs soutenaient, d’abord, qu’une atteinte à la vie privée ne peut exclusivement résulter des conditions d'obtention des enregistrements, mais suppose aussi que, dans leur contenu, les propos diffusés portent effectivement atteinte à l'intimité de la vie privée ; ensuite, que la diffusion par voie de presse d'enregistrements, même attentatoire à ce droit, ne constitue plus un trouble manifestement illicite si elle se trouve justifiée par l'exercice légitime du droit à la liberté d'expression. Ils affirmaient également que la résolution du conflit entre le droit au respect de la vie privée et le droit à la liberté d'expression suppose de mettre en balance l'intérêt public s'attachant à la publication et l'impératif de la protection de la vie privée. Cette mise en balance requiére une analyse du contenu des informations publiées. Selon eux, la cour d’appel aurait omis de l’effectuer alors même que les publications litigieuses soutenaient un débat d’intérêt général.

La thèse du pourvoi est rejetée au motif que constitue une atteinte à l'intimité de la vie privée, que ne légitime pas l'information du public, la captation, l'enregistrement ou la transmission sans le consentement de leur auteur des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel. En outre, la liberté de recevoir et de communiquer des informations est soumise à des restrictions prévues par la loi et nécessaires, dans une société démocratique, à la protection des droits d'autrui afin d'empêcher la divulgation d'informations confidentielles, notamment le droit au respect de la vie privée, dont l'article 8 de la Conv. EDH étend la protection au domicile de chacun.

Si la Cour procède ici au rappel du principe qu’elle avait énoncé en 2011 (arrêt préc.), elle confirme également l’interprétation des articles 226-1 et 226-2 du Code pénal qu’elle avait, plus récemment et après quelques hésitations (v. Civ. 1re, 5 févr. 2014 et Civ. 1re, 3 sept. 2014), exprimée.

Ainsi la Cour s’attache-t-elle à donner à la protection pénale de la vie privée des personnes une spécificité qui tient à la possibilité d’en sanctionner les atteintes indépendamment de la teneur des propos enregistrés. Même lorsque les enregistrements ne contiennent pas d’informations privées, l'atteinte est caractérisée par le seul fait d’enregistrer, de manière clandestine et dans des circonstances notoirement intrusives, les propos de la personne (critère des « conception-objet-durée » du dispositif de captation mis en place, v. Civ. 1re , 3 sept. 2014, préc.). 

Désormais fournie (v. aussi, à propos de l'affaire des écoutes de l'Élysée, Crim. 30 sept. 2008retenant le délit d'atteinte à l'intimité de la vie privée même en l’absence de transcription dès lors que les branchements clandestins avaient nécessairement « conduit leurs auteurs à pénétrer dans l'intimité de la vie privée des personnes mises sur écoutes et de leurs interlocuteurs »), la jurisprudence fait ressortir trois critères constitutifs de l’atteinte, ici rappelés :

– la clandestinité du procédé ;

– la localisation de l’enregistrement ;

– et la durée de l’enregistrement, 

soit, en l’espèce : enregistrements effectués au domicile de la victime, à son insu et pendant une année.

Ainsi la thèse du pourvoi, fondée sur le seul critère du contenu des propos enregistrés, ne pouvait-elle prospérer, même en l’absence d’atteinte effective à la vie privée de la victime.

Elle ne le pouvait pas davantage sur le terrain de l’article 10 de la Conv. EDH, dont la Cour rappelle régulièrement l’inefficacité pour légitimer la publication d'enregistrements clandestins, alors que cette information « aurait pu être satisfaite par un travail d'investigation et d'analyse mené sous le bénéfice du droit au secret des sources » (V. déjà Civ. 1re29 oct. 2014 ; 2 juill. 2014 ; 5 févr. 2014, préc. ; 3 sept. 2014, préc. – Sur cette jurisprudence, v. CCC n°12, déc. 2014, comm. 96, A. Lepage).

Civ .1re, 15 janv. 2015, n°14-12.200

Références

■ Civ. 1re, 6 oct. 2011, n° 10-21.822, Dalloz Actu Etudiant, 17 oct. 2011RTD civ. 2012. 89, note Hauser.

■ Civ. 1re, 5 févr. 2014, n°13-21.929.

■ Civ. 1re, 3 sept. 2014, n°14-12.200.

 Civ. 1re29 oct. 2014, n° 13-26.081.

■ Civ. 1re, 2 juill. 2014, n° 13-21.929.

■ Crim. 30 sept. 2008, n° 07-82.249, D. 2008. 2975, note Matsopoulou.

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 10 - Liberté d’expression

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations. 2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

Article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

■ Code pénal

Article 226-1

« Est puni d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende le fait, au moyen d'un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui :

1° En captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ;

2° En fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé.

Lorsque les actes mentionnés au présent article ont été accomplis au vu et au su des intéressés sans qu'ils s'y soient opposés, alors qu'ils étaient en mesure de le faire, le consentement de ceux-ci est présumé. »

Article 226-2

« Est puni des mêmes peines le fait de conserver, porter ou laisser porter à la connaissance du public ou d'un tiers ou d'utiliser de quelque manière que ce soit tout enregistrement ou document obtenu à l'aide de l'un des actes prévus par l'article 226-1.

Lorsque le délit prévu par l'alinéa précédent est commis par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables. »

 

Auteur :M. H.


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