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[ 17 octobre 2011 ] Imprimer

Droit pénal spécial

Vie privée vs information du public : nouvelle illustration

Mots-clefs : Vie privée (Atteinte), Enregistrement clandestin (Retranscription), Publication, Référé, Information du public

Constitue une atteinte à la vie privée, que ne légitime pas l’information du public, la captation, l’enregistrement ou la transmission sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel.

En juin 2010, le journal Le Point et le site Mediapart publièrent des articles reproduisant pour partie la transcription d’enregistrements de conversations entre une femme milliardaire et son gestionnaire de fortune, réalisés clandestinement au domicile de celle-ci. Elle demanda, en référé (art. 809 C. pr. civ.), sur le fondement des articles 226-1 et 226-2 du Code pénal, le retrait des informations litigieuses des sites et journaux concernés ainsi que l’interdiction de toute nouvelle publication des retranscriptions. La cour d’appel, dans les deux cas, refusa d’accéder à ces demandes, mettant en avant la légitime information du public.

Saisie du problème, la première chambre civile rend deux arrêts de cassation en date du 6 octobre 2011, affirmant que « constitue une atteinte à l’intimité de la vie privée, que ne légitime pas l’information du public, la captation, l’enregistrement ou la transcription, sans le consentement de leur auteur des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel », et qu’il ressortait des propres constatations de la cour d’appel que les entretiens litigieux présentaient un tel caractère.

L’article 226-1 du Code pénal réprime le fait, au moyen d’un procédé quelconque, de porter volontairement atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui, notamment en « captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel » (art. 226-1, 1o C. pén.). L’article 226-2 incrimine quant à lui « le fait de conserver, porter ou laisser porter à la connaissance du public ou d’un tiers ou d’utiliser de quelque manière que ce soit tout enregistrement ou document obtenu à l’aide de l’un des actes prévus par l’article 226-1 ».

Pour rejeter les demandes, la cour d’appel avait estimé que les conversations enregistrées ne relevaient pas de la sphère de la vie privée (et donc, sortaient du champ d’application de l’art. 226-2). Elle avait déduit :

– de l’objet des propos enregistrés (propos, dans leur ensemble, de nature professionnelle et patrimoniale, rendant compte des relations qu’entretenait la milliardaire avec son gestionnaire de sa fortune),

– de la qualité de l’intéressée (principale actionnaire d’un grand groupe industriel français),

et de la notoriété de l’« affaire » elle-même (activité et libéralités faisant l’objet de très nombreux commentaires publics),

que les informations révélées concernaient la légitime information du public (v., en ce sens, la jurisprudence récente de la Cour de cassation autour de la notion de sujet d’intérêt général, et not. Civ. 1re, 3 févr. 2011, dans le cadre de l’affaire Clearstream). Un mauvais arbitrage entre vie privée et droit à l’information, d’après la Cour de cassation, qui rétablit donc la balance en faveur de la première.

Civ. 1re, 6 oct. 2011, no 10-21.822

Civ. 1re, 6 oct. 2011, no 10-21.823

Références

Référé civil

[Procédure civile]

« Procédure contradictoire et accélérée grâce à laquelle une partie peut, dans certains cas, obtenir d’un magistrat unique une décision provisoire, qui ne se heurte à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend.

Le juge des référés peut, même en présence d’une contestation sérieuse, autoriser des mesures conservatoires ou ordonner des remises en état, afin de prévenir un dommage imminent ou de faire cesser un trouble manifestement contraire à la loi.

Lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder au créancier une provision. Il peut prononcer des condamnations à des astreintes et aux dépens.

Le juge des référés peut ordonner l’exécution en nature d’une obligation, même s’il s’agit d’une obligation de faire, dès lors que l’obligation n’est pas sérieusement contestable.

La décision prise en référé est provisoire : elle n’a pas l’autorité de chose jugée au principal. En revanche, elle possède l’autorité de chose jugée au provisoire : elle ne peut être modifiée par le juge des référés qu’en cas de circonstances nouvelles.

Dans certaines procédures, il est dit que la procédure suivie sera en la forme des référés. Il s’agit d’un simple emprunt formel, le juge ayant alors le droit d’examiner le fond du débat. »

Vie privée

[Droit civil]

« Désigne, par opposition à la vie publique, la sphère des activités de la personne qui relèvent de l’intimité et qui doivent rester à l’abri du regard d’autrui : vie sentimentale, mœurs, état de santé, pratique religieuse, loisirs, etc. La loi proclame le droit au respect de la vie privée, la seule constatation de l’atteinte à la vie privée ouvrant droit à réparation. »

Source : Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011.

■ V. « Presse : publication d’actes d’enquête et action en référé », à propos de l’arrêt Civ. 1re, 28 avr. 2011, no 10-17.909, Dalloz Actu Étudiant 12 mai 2011.

Civ. 1re, 3 févr. 2011, no 09-10.301, Dalloz Actu Étudiant 18 févr. 2011.

■ Article 809 du Code de procédure civile

« Le président peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire. »

■ Code pénal

Article 226-1

« Est puni d'un an d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende le fait, au moyen d'un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui :

1° En captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ;

2° En fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé.

Lorsque les actes mentionnés au présent article ont été accomplis au vu et au su des intéressés sans qu'ils s'y soient opposés, alors qu'ils étaient en mesure de le faire, le consentement de ceux-ci est présumé. »

Article 226-2

« Est puni des mêmes peines le fait de conserver, porter ou laisser porter à la connaissance du public ou d'un tiers ou d'utiliser de quelque manière que ce soit tout enregistrement ou document obtenu à l'aide de l'un des actes prévus par l'article 226-1.

Lorsque le délit prévu par l'alinéa précédent est commis par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables. »

 

Auteur :S. L.


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