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[ 7 novembre 2011 ] Imprimer

Droit administratif général

Deux nouvelles exceptions à la jurisprudence Septfonds

Mots-clefs : Répartitions des compétences, Tribunal des conflits, Contrôle de légalité d’un acte administratif, Droit de l’Union européenne

Le juge judiciaire, saisi au principal, est compétent pour apprécier la validité d’arrêtés litigieux contestés au regard du droit de l’Union européenne, a décidé le Tribunal des conflits dans un arrêt du 17 octobre 2011.

Le Tribunal des conflits vient de revoir sa jurisprudence en matière de contrôle de légalité des actes administratifs au regard du droit de l’Union. Désormais le juge judiciaire dispose de nouvelles compétences.

Les faits relatifs à cette décision concernaient la contestation d’arrêtés ministériels pris en application des articles L. 632-3 et L. 632-12 du Code rural et de la pêche maritime ayant rendu obligatoires des cotisations interprofessionnelles volontaires. Des producteurs de porc et de lait avaient chacun saisi le juge judiciaire afin d’obtenir le remboursement de ces cotisations en soutenant que celles-ci auraient été exigées en application d’un régime d’aides d’État irrégulièrement institué, faute d’avoir été préalablement notifié à la Commission européenne en application des articles 107 et 108 du TFUE. Le préfet de la région Bretagne, préfet d’Ille-et-Vilaine, estimant que la question portait sur la légalité d’actes administratifs réglementaires au regard du droit de l’Union et appliquant la jurisprudence Septfonds, a alors présenté deux déclinatoires distincts afin que le juge judiciaire pose une question préjudicielle à la juridiction administrative concernant la légalité de ces arrêtés. Le juge judiciaire ayant refusé, le préfet, par arrêté en date du 9 mai 2011, a élevé le conflit. Le Tribunal, prenant en compte les évolutions jurisprudentielles, annule ces arrêtés de conflits et donne compétence au juge judiciaire pour apprécier la légalité des arrêtés litigieux au regard du droit de l’Union.

Dans une décision Septfonds en date du 16 juin 1923, le Tribunal des conflits, décidait de l’incompétence du juge civil pour connaître de la légalité d’un acte administratif. Ainsi, l’examen de la conformité d’un acte administratif réglementaire à une norme communautaire ne relevait pas de la compétence du juge judicaire (T. confl. 19 janv. 1998, Union française de l’Express et autres c. la Poste et autres ; T. confl. 23 oct. 2000 , Boussadar). En pratique, le juge judiciaire devait donc surseoir à statuer et saisir le juge administratif d’une question préjudicielle relative à la légalité de l’acte administratif contesté par voie d’exception sauf lorsque l’acte réglementaire portait une atteinte grave au droit de propriété ou à la liberté individuelle (T. confl. 30 oct. 1947, Barinstein), ou lorsque de l’examen d’un acte réglementaire dépendait la solution du procès pénal (art. 111-5 C. pén.) ou encore en matière de fiscalité indirecte (T. confl. 7 déc. 1998, District urbain de l’agglomération rennaise c. Société des Automobiles Citroën).

Néanmoins, la Cour de cassation, se fondant sur la primauté des principes du droit communautaire sur le droit national avait considéré que le juge judiciaire était compétent pour apprécier la validité d’un acte administratif au regard du droit communautaire (Com. 6 mai 1996, France Telecom c. Communication média service ; Soc. 18 déc. 2007 et Civ. 2e, 20 déc. 2007).

La décision du Tribunal des conflits du 17 octobre dernier prend donc acte de ces évolutions jurisprudentielles. Ainsi, l’exigence d’une bonne administration de la justice et le respect d’un délai raisonnable permettent au juge judiciaire d’écarter une contestation non sérieuse concernant la légalité d’un acte administratif. Par ailleurs, le juge judiciaire, saisi au principal, peut écarter la contestation de l’acte administratif lorsqu’il existe une jurisprudence bien établie en ce sens. Enfin, la mise en œuvre effective du principe d’effectivité du droit de l’Union européenne (CJCE 9 mars 1978, Simmenthal) doit permettre au juge judiciaire d’apprécier la légalité d’un acte administratif au regard du droit de l’Union en interrogeant lui-même la CJUE ou d’écarter de lui-même un texte réglementaire contesté.

T. confl. 17 oct. 2011, Préfet de la Région Bretagne, Préfet d’Ille-et-Vilaine SCEA du Chéneau c. INAPORC M. C et autres c. CNIEL, n°s 3828 et 3829

Références

Acte administratif

[Droit administratif]

« Notion fondamentale du droit administratif, pouvant être analysée à partir de plusieurs points de vue conduisant à des définitions différentes :

1° Considéré sous l’angle de ses caractères propres :

- du point de vue organique, l’acte administratif est signé par une autorité administrative;

- du point de vue formel, l’acte administratif peut être unilatéral ou contractuel;

- du point de vue matériel, l’acte administratif unilatéral peut être un acte individuel, ou au contraire avoir une portée générale, et être alors un acte réglementaire.

2° Considéré sous l’angle de son régime juridique, l’acte administratif est tout acte relevant du droit administratif et de la compétence de la juridiction administrative, que cet acte soit unilatéral ou conventionnel, qu’il émane ou non d’une autorité administrative. »

Arrêté

[Droit administratif/Droit constitutionnel]

« Acte exécutoire à portée générale ou individuelle émanant d’un ou de plusieurs ministres (arrêté ministériel ou interministériel) ou d’autres autorités administratives (arrêté préfectoral, municipal, etc.). »

Contrôle juridictionnel

[Droit administratif]

Le contrôle exercé par le juge sur la légalité des actes administratifs est dit :

- normal lorsque le juge vérifie la compétence de l’auteur de l’acte, l’absence de vide ce forme, de violation de la loi et de détournement de pouvoir;

- minimum lorsqu’en présence d’un pouvoir discrétionnaire de l’Administration, le juge ne vérifie, du point de vue de la légalité interne, que l’exactitude matérielle des faits, l’absence d’erreur de droit, d’erreur manifeste d’appréciation et de détournement de pouvoir;

- maximum lorsqu’il confine au contrôle d’opportunité (théorie du bilan). »

Tribunal des conflits

[Droit administratif/Procédure civile/Procédure pénale]

« Juridiction la plus haute après le Conseil constitutionnel, placée au-dessus des 2 ordres pour juger les conflits de compétence entre les 2 ordres de juridictions et, aussi, pour régler les contrariétés de jugements rendus à propos de la même affaire par un juge judiciaire et un juge administratif (L. 24 mai 1872, art. 25).

Le Tribunal des conflits est composé paritairement de membres du Conseil d’État et de la Cour de cassation et présidée par le ministre de la Justice. En pratique celui-ci siège seulement dans les cas où il faut départager des opinions qui s’opposent en nombre égal (“ vider le conflit ”). »

Source : Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011.

■ « Point sur le Tribunal des conflits », Dalloz Actu Étudiant 8 sept. 2011.

T. confl. 16 juin 1923, Septfonds, Lebon 498.

T. confl. 19 janv. 1998, Union française de l’Express et autres c. la Poste et autres, n° 3084, Lebon, RFDA 1999. 189, note Seiller.

T. confl. 23 oct. 2000, Boussadar, n° 3227, Lebon 775.

T. confl. 30 oct. 1947, Barinstein, n° 983.

T. confl. 7 déc. 1998, District urbain de l’agglomération rennaise c. Société des Automobiles Citroën, n° 03123.

Com. 6 mai 1996, France Telecom c. Communication média service, n° 94-13.347, Bull. civ. IV, n° 125.

Soc. 18 déc. 2007, n° 06-45.132.

Civ. 2e, 20 déc. 2007, n° 06-20.563, RFDA 2008. 499, note Dupré.

CJCE 9 mars 1978, Simmenthal, aff. n° 106/77, Rec. CJCE p. 629, concl. Reischl.

■ Code rural et de la pêche maritime

Article L. 632-3

« Les accords conclus dans le cadre d'une organisation interprofessionnelle reconnue peuvent être étendus, pour une durée déterminée, en tout ou partie, par l'autorité administrative compétente dès lors qu'ils prévoient des actions communes ou visant un intérêt commun conformes à l'intérêt général et compatibles avec la législation de l'Union européenne. »

Article L. 632-12

« Les accords nationaux ou régionaux conclus dans le cadre de l'organisation interprofessionnelle constituée entre les producteurs de lait, les groupements coopératifs agricoles laitiers et les industries de transformation du lait par les organisations les plus représentatives de ces professions peuvent être homologués par arrêtés conjoints du ministre de l'agriculture et du ministre chargé de l'économie.

Si l'homologation est prononcée, les mesures ainsi arrêtées par l'organisation interprofessionnelle sont obligatoires pour tous les producteurs et transformateurs de la zone concernée. Tout contrat de fourniture de lait entre producteurs et transformateurs doit être conforme aux accords conclus, à peine de nullité pouvant être prononcée, notamment à la demande de l'organisation interprofessionnelle, et sans préjudice des sanctions qui peuvent être prévues.

Lorsqu'un accord inclut un contrat type mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 632-2-1, l'autorité administrative saisie aux fins d'homologation le soumet à l'Autorité de la concurrence. Celle-ci rend son avis dans le délai de deux mois ; si l'Autorité de la concurrence n'a pas rendu son avis à l'expiration de ce délai, l'autorité compétente peut homologuer l'accord.

L'autorité compétente dispose d'un délai de deux mois à compter de la réception de la demande d'homologation pour statuer. Lorsque l'Autorité de la concurrence est saisie, ce délai est de trois mois. Si, au terme de ce délai, l'autorité compétente n'a pas notifié sa décision, la demande est réputée acceptée. »

■ Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE)

Article 107 (ex-article 87 TCE)

« 1. Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.

2. Sont compatibles avec le marché intérieur:

a) les aides à caractère social octroyées aux consommateurs individuels, à condition qu'elles soient accordées sans discrimination liée à l'origine des produits,

b) les aides destinées à remédier aux dommages causés par les calamités naturelles ou par d'autres événements extraordinaires,

c) les aides octroyées à l'économie de certaines régions de la république fédérale d'Allemagne affectées par la division de l'Allemagne, dans la mesure où elles sont nécessaires pour compenser les désavantages économiques causés par cette division. Cinq ans après l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut adopter une décision abrogeant le présent point.

3. Peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur:

a) les aides destinées à favoriser le développement économique de régions dans lesquelles le niveau de vie est anormalement bas ou dans lesquelles sévit un grave sous-emploi, ainsi que celui des régions visées à l'article 349, compte tenu de leur situation structurelle, économique et sociale,

b) les aides destinées à promouvoir la réalisation d'un projet important d'intérêt européen commun ou à remédier à une perturbation grave de l'économie d'un État membre,

c) les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques, quand elles n'altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun,

d) les aides destinées à promouvoir la culture et la conservation du patrimoine, quand elles n'altèrent pas les conditions des échanges et de la concurrence dans l'Union dans une mesure contraire à l'intérêt commun,

e) les autres catégories d'aides déterminées par décision du Conseil sur proposition de la Commission. »

Article 108 (ex-article 88 TCE)

« 1. La Commission procède avec les États membres à l'examen permanent des régimes d'aides existant dans ces États. Elle propose à ceux-ci les mesures utiles exigées par le développement progressif ou le fonctionnement du marché intérieur.

2. Si, après avoir mis les intéressés en demeure de présenter leurs observations, la Commission constate qu'une aide accordée par un État ou au moyen de ressources d'État n'est pas compatible avec le marché intérieur aux termes de l'article 107, ou que cette aide est appliquée de façon abusive, elle décide que l'État intéressé doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu'elle détermine.

Si l'État en cause ne se conforme pas à cette décision dans le délai imparti, la Commission ou tout autre État intéressé peut saisir directement la Cour de justice de l'Union européenne, par dérogation aux articles 258 et 259.

Sur demande d'un État membre, le Conseil, statuant à l'unanimité, peut décider qu'une aide, instituée ou à instituer par cet État, doit être considérée comme compatible avec le marché intérieur, en dérogation des dispositions de l'article 107 ou des règlements prévus à l'article 109, si des circonstances exceptionnelles justifient une telle décision. Si, à l'égard de cette aide, la Commission a ouvert la procédure prévue au présent paragraphe, premier alinéa, la demande de l'État intéressé adressée au Conseil aura pour effet de suspendre ladite procédure jusqu'à la prise de position du Conseil.

Toutefois, si le Conseil n'a pas pris position dans un délai de trois mois à compter de la demande, la Commission statue.

3. La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché intérieur, aux termes de l'article 107, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'État membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale.

4. La Commission peut adopter des règlements concernant les catégories d'aides d'État que le Conseil a déterminées, conformément à l'article 109, comme pouvant être dispensées de la procédure prévue au paragraphe 3 du présent article. »

Article 111-5 du Code pénal

« Les juridictions pénales sont compétentes pour interpréter les actes administratifs, réglementaires ou individuels et pour en apprécier la légalité lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis. »

 

Auteur :C. G.

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